mardi 21 août 2007 - par Argoul

L’ouverture comme état d’esprit


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Ouvert, fermé, un esprit occidental ne conçoit pas qu’il puisse en être autrement - imaginez une porte. Noir ou blanc, bien ou mal, 1 ou 0 - l’Occident ne fait pas dans la nuance, peut-être parce qu’il est « à l’image de Dieu » et que tout le reste est vile matière...

fenetre-2.1187682733.jpgQuand la porte est fermée tout va bien : on est dans son domaine, au chaud, entre soi.
Dès que la porte s’ouvre commence la crainte, le frisson, l’aventure. Qu’y a-t-il donc au-delà de la porte ouverte ? La jeunesse est curieuse, elle désire y aller voir, explorer ; elle réagit par l’excitation. L’âge rassis est revenu de tout, il aspire au repos, à surtout que rien ne change ; il réagit par le refus. Réactif ou réactionnaire, il faut choisir.

Une fenêtre ouverte ? Ce n’est pas l’air du printemps, c’est le rhume qui entre !

« Tout le monde, sauf ma grand-mère qui trouvait que "c’est une pitié de rester enfermé à la campagne" et qui avait d’incessantes discussions avec mon père, les jours de trop grande pluie, parce qu’il m’envoyait lire dans ma chambre au lieu de rester dehors. "Ce n’est pas comme cela que vous le rendrez robuste et énergique, disait-elle tristement, surtout ce petit qui a tant besoin de prendre des forces et de la volonté." » (Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1).corsage-ouvert.1187682862.jpg

Une chemise qui s’entrouvre ? C’est obscénité adolescente, âge qui ne sait pas se tenir, sans cesse travaillé du dedans.
Swann s’émeut de l’ouverture du corsage d’Odette lorsqu’il lui refixe ses fleurs de catleya :

« Pendant quelque temps, ne fut pas changé l’ordre qu’il avait suivi le premier soir, en débutant par des attouchements de doigts et de lèvres sur la gorge d’Odette et que ce fut par eux encore que commençaient chaque fois ses caresses ; et, bien plus tard quand l’arrangement (ou le simulacre d’arrangement) des catleyas, fut depuis longtemps tombé en désuétude, la métaphore "faire catleya", devenue un simple vocable qu’ils employaient sans y penser quand ils voulaient signifier l’acte de la possession physique - où d’ailleurs l’on ne possède rien - survécut dans leur langage, où elle le commémorait, à cet usage oublié. » (Marcel Proust, id. 2. Un amour de Swann).

catleya.1187682878.jpgUne porte qui s’ouvre ? Et voilà le dehors qui s’instille, l’étranger, le virus, le différent qui remet en cause, inocule le mal et bouleverse !

« Puis, nous poursuivions notre route jusque devant leur porte cochère où un concierge différent de tout concierge, et pénétré jusque dans les galons de sa livrée du même charme douloureux que j’avais ressenti dans le nom de Gilberte, avait l’air de savoir que j’étais de ceux à qui une indignité originelle interdirait toujours de pénétrer dans la vie mystérieuse qu’il était chargé de garder et sur laquelle les fenêtres de l’entresol paraissaient conscientes d’être refermées, ressemblant beaucoup moins entre la noble retombée de leurs rideaux de mousseline à n’importe quelles autres fenêtres, qu’aux regards de Gilberte. » (Marcel Proust, id. 3. Nom de pays)changer-son-point-de-vue.1187682897.jpg

Alors un esprit qui s’ouvre, parlez ! C’est la remise en cause, l’hérésie, le chamboulement des façons de penser, en bref « le mal ».

« Les deux sœurs de ma grand-mère, vieilles filles qui avaient sa noble nature mais non son esprit, déclarèrent ne pas comprendre le plaisir que leur beau-frère pouvait trouver à parler de niaiseries pareilles. C’étaient des personnes d’aspirations élevées et qui à cause de cela même étaient incapables de s’intéresser à ce qu’on appelle un potin, eût-il même un intérêt historique, et d’une façon générale à tout ce qui ne se rattachait pas directement à un objet esthétique ou vertueux. Le désintéressement de leur pensée était tel, à l’égard de tout ce qui, de près ou de loin semblait se rattacher à la vie mondaine, que leur sens auditif - ayant fini par comprendre son inutilité momentanée dès qu’à dîner la conversation prenait un ton frivole ou seulement terre à terre sans que ces deux vieilles demoiselles aient pu la ramener aux sujets qui leur étaient chers - mettait alors au repos ses organes récepteurs et leur laissait subir un véritable commencement d’atrophie. » (Marcel Proust, Du côté de chez Swann, 1).

Le latin populaire, d’où vient le mot, dit bien le sentiment d’effroi de « l’ouverture » : un trou béant. Une image de l’enfer pour ces gens du bas-empire subissant invasion sur invasion, délitement de l’Etat et querelle des chefs. C’est fou ce qu’un pays peut conserver d’histoire lointaine dans son mental.

Ce n’est qu’au « beau XIIIe siècle », en ce temps optimiste d’explosion démographique, que le mot « ouverture » va désigner l’action d’ouvrir, toute simple.

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Ce n’est qu’au « siècle des découvertes », ce XVe siècle optimiste où la terre se dilate et où l’on découvre des hommes différents, que le mot « ouverture » va prendre son sens abstrait d’aborder un sujet, d’entreprendre, de négocier - tout ce qui « commence ».

L’« ouverture d’esprit », elle, ne date que de l’extrême fin du XVIIe siècle, juste lorsque commence ce « siècle d’or de la pensée française », optimiste, qui donnera les encyclopédistes et les libéraux, puis entraînera la chute des vieilleries d’Ancien Régime.

L’ouverture ne s’appliquera aux successions qu’au « siècle bourgeois  », vers 1835, lorsque les paysans enrichis par la spéculation sur les biens du clergé, et confortés par le Code civil Napoléon, prendront la mentalité d’accumuler... C’est fou ce qu’un pays peut conserver d’histoire sociale dans sa langue.fraise-la-ramene.1187682924.jpg

Ouvrir déplace ce qui empêche le libre passage. Telle est la définition « dès les premiers textes (1080) » que relève le Robert historique de la langue française dirigé par Alain Rey (1998). C’est aussi, notez-le bien, la définition du libéralisme dès sa fameuse devise première : « laissez faire, laissez passer ». L’inverse d’ouvrir est « fermer » : fermer les frontières, fermer l’accès au pouvoir, fermer les négociations. Déplorons-le, c’est trop souvent la pensée de « la gauche » en France, qui ne rêve de « changer la vie » que pour mieux enfermer l’homme dans la chimère de « l’homme nouveau ». Cela sous la contrainte d’Etat, guidé par la morale et inspiré par quelques textes « gravés dans le marbre » (sinon « scientifiques »). Point d’ouverture à qui connaît de soi la vérité ! Pravda jamais ne ment, foi de Lénine.

roses-fanees.1187682949.jpgAujourd’hui (cela n’a pas toujours été le cas), la gauche apparaît figée en politique, protectionniste en économie, conservatrice dans le domaine social, sans idée autre que de suivre aveuglément le spontané dans le domaine des mœurs. A l’inverse, c’est la droite qui prône la rupture, l’ouverture, la réforme. N’est-ce pas drôle ?

De quoi dérider ces fronts trop sérieux des cléricaux de tous bords. Barbus, austères, économes - chez les cohortes socialistes, ça ne rigole pas ! Dommage car, répétons-le, l’ouverture est l’apanage de la jeunesse, tout ce qui donne du neuf : le jour, l’entrée, la brèche, la lumière, l’orifice, le passage, l’échancrure, la vue.

« Un réveil d’enfants, c’est une ouverture de fleurs », disait Victor Hugo dans Quatre-vingt-treize. A voir grandir le Gamin, de plus en plus lui-même depuis tout petit, de mois en mois je m’en émerveille.

La gauche manque d’être jeune, la droite s’est renouvelée. A quand la relève ?



5 réactions


  • alex75 21 août 2007 18:12

    Très beau texte et très belles images ; un beau travail, bien agréable à découvrir en ces journées d’un été si particulier.

    « Chacun voit midi à sa porte » disait ma grand-mère... oui, il est bien difficile de prendre en compte le point de vue de l’autre (empathie) ; il est difficile de sortir des leçons apprises et des vérités toutes faîtes, car, quoi de plus commode que la pensée automatique (de droite ou de gauche) ?

    Changer de point de vue, renoncer à ces croyances personnelles qui sont si bien ancrées au fond de soi, ah comme ça fait mal sur le moment ! et comme on est content plus tard, de l’avoir fait.

    Rompre avec ce que l’on croit et ce que l’on aime est souvent le seul moyen d’évoluer, c’est ainsi que les hommes et les sociétés changent. Oui, pour sortir de l’erreur, il faut lâcher prise et s’aventurer vers l’inconnu par la prise de risque. Osons changer !

    Un grand chantier national pour la France de droite, de gauche, du centre, les cathos et les laïquards, le privé et le public, les ceci et les cela. cassons les moules, soyons nous-même, pensons et agissons librement !!!

    Ps ; « l’ouverture est l’apanage de la jeunesse » mériterait un long débat (sur le « jeunisme »).

    Comme disait Louis Aragon ; « C’est avec les jeunes sots qu’on fait les vieux cons ».


  • haddock 21 août 2007 18:19

    Faudrait même être tellement ouvert que la politique s’ échapperait par l’ entrebâillement ...

    Très agréable présentation .


  • yoda yoda 22 août 2007 01:25

    Tres bel article au servive d’un tres bel amalgame.

    L’ouverture de la droite (les reformes, la rupture) c’est une ouverture sur un esprit de fermeture.

    Qui est pour la fermeture des frontieres (aux hommes pas au capitaux bien sur), les hopitaux fermés, reduire (jusqu’a fermer ?) les services publics, que chacun se ferme sur lui meme en cherchant sa reussite individuelle aux depens des autres ??

    Quand la gauche, elle, en effet, se fige pathetiquement sur une ebauche ou une chimere d’esprit d’ouverture.

    A quand l’ouverture sur l’ouverture ?? smiley


  • Argoul Argoul 22 août 2007 11:52

    Vous l’avez peut-être noté - en dernière phrase - c’est d’un appel à la gauche qu’il s’agit, pas d’une glorification de la droite (qui n’en a pas besoin).

    Alex75 a bien compris : c’est bel et bien la jeunesse (d’esprit) qui manque aux Français 2007. Pourquoi ? Est-ce parce que la population vieillit et que la jeunesse devient un mythe, une construction irréelle (le jeunisme) ?


  • claude claude 22 août 2007 12:11

    merci pour ce beau texte et ces belles images.

    joli plaidoyer pour aller au delà des apparences. il y a du boulot sur la planche ! smiley


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