lundi 14 novembre 2005 - par Michel Monette

Les limites du développement durable

À lire plusieurs économistes et autres respectables idéologues, on dirait que l’économie fonctionne en dehors de nous, comme une sorte de mécanisme universel donné une fois pour toutes. Puis soudain vient une idée, une graine de changement semée dans l’économie, qui prétend révolutionner ce mécanisme.

Tel est le durable, qui assure pouvoir germer dans le terreau capitaliste. En fait, ce terreau est tellement compact que la graine ne germera jamais.

Quand on veut que la terre produise, ne faut-il pas la retourner, complètement à l’envers ? Non, répondent les éconologistes. Ce sont les mêmes qui veulent changer le monde sans le bouleverser.

J’en entends déjà se dire : de la graine de révolutionnaire, celui-là !

Retenez-vous le temps de lire la suite. Vous jugerez bien assez tôt.

Vert (pardon vers) le précipice

Quand un automobiliste file à toute allure vers un précipice, est-ce que le fait de ralentir va l’empêcher d’y tomber ?

Voilà un dilemme auquel il nous faut trouver réponse durable. Quelques milliards d’êtres humains nous y poussent. Un détail.

Un détail qui ne concerne pas tant l’avenir de la planète que celui de ses habitants qui vivent en marge de la richesse.

Car si quelques centaines de millions de consommateurs tirent plus ou moins bien leur épingle du jeu, le reste de l’humanité, dont le mode de vie traditionnel - le vrai mode de vie durable en fait - a été désincarné par la survit dans l’attente que la grâce du capitalisme exauce leurs voeux d’enrichissement.

Il n’y a pratiquement plus de sociétés non intégrées aux réseaux d’échanges marchands. Partout, il faut gagner des sous pour vivre, mais partout aussi, il faut produire au-delà du nécessaire, ou accepter de se contenter, au mieux, de survivre.

La caution du durable

Le développement durable ne remet pas en question le niveau de vie des sociétés les plus riches, ni l’espoir que toutes les sociétés accèderont un jour à ce niveau de vie.

Comme il n’est évidemment pas question d’empêcher la population des pays pauvres d’atteindre le niveau de confort des pays développés, l’idée du développement durable est de définir des schémas qui limiteraient l’impact du développement sur l’environnement, leur empreinte écologique.

Wikipédia - Développement durable.

L’économie continue de rouler dans la même direction. Comment, dans ce cas, à la fois limiter les dégâts et amener les quatre-cinquièmes de l’humanité au niveau de vie des deux-cinquièmes qui créent déjà une pression énorme sur les ressources et sur l’environnement ?

Paul Valéry écrivait, en 1948, « Le temps du monde fini commence. » (citation dans Face à la montée mondiale du libéralisme forcené : pour une écologie politique et spirituelle, de René Barbier).

Paradoxalement, le développement durable pourrait empêcher l’émergence d’une conscience durable de cette finitude.

Une conscience, seule capable de vaincre la cupidité.



15 réactions


  • Jean-Phi Jean-Phi 14 novembre 2005 11:58

    Il faut, je vous l’accorde poser la question comme vous le faîtes. De mes recherches sur l’autre Développement, Personnel, celui là, le sentiment de résignation face aux défis du 21ème siècle me parâit être LA grande source de notre inertie.

    Comme je l’évoquais dans un article précédent il n’y aurait de salut planétaire que quand la « conscience » dont vous parlez, permettra non pas de clouer au pilori l’individualisme mais de le nourir du sentiment d’appartenance tant satisfaisant personnellement. La cupidité n’est à mon avis qu’une conséquence de cet étrange impression de n’être entouré que de « crétins » malveillants qui de toute façon nous rouleront dans la farine, dès que nous aurons le dos tourné.

    Voilà ma contribution optimiste à votre réflexion. Il faudrait peut-être aussi veiller à « accéssibliser » la notion de DD afin de rassembler le plus grand nombre. Sans vouloir accuser le moins du monde les organisations déjà conscientisées, elles font inconsciemment de l’ostracisme.

    Je développe cette réflexion sur le http://smily.be

    Bien à vous.


  • Alexandre Santos Alexandre Santos 14 novembre 2005 17:01

    Dévelopment durable et décroissance ne sont pas aussi opposés qu’on voudrait le croire.

    Et croyez-moi, un tenant du dévelopment durable sera plus sensible aux arguments de la décroissance qu’un conducteur de 4x4 :)


  • thomcom (---.---.184.2) 14 novembre 2005 20:46

    A quoi ça sert d’enfoncer ce genre de portes ouvertes (si rien ne change, on va dans le mur) ?

    C’est comme dire : « je suis pour l’humanitaire et j’en suis fier », ou « eh bien moi je suis contre le racisme ». Quelle audace !

    La question, c’est que faire ? que proposez-vous pour favoriser des actions concertées dans un système inintelligible et imprédictible y compris pour ses acteurs ? Les marges de manoeuvre semblent aujourd’hui bcp plus locales que « globales ». Alors critiquer le capitalisme... ça mange pas de pain. Mais ça ne contribue pas à réinventer la notion de performance de l’entreprise. Et soit dit en passant, nombre d’économistes, parmi les plus renommés puisque certains sont Nobel d’Economie, critiquent depuis belle lurette le danger d’un capitalisme uniquement libéral.


  • Michel Monette 15 novembre 2005 01:17

    Intéressante la réaction de thomcom. L’Europe est-elle plus en avance que l’Amérique ? Ici (au Québec et chez nos voisins Canadiens et Américains), les portes des consciences individuelles sont loin d’être ouvertes. Or la première étape dans toute volonté de changement est la prise de conscience. Après, on peut passer aux choix.

    La partie est loin d’être gagnée parce qu’un double discours domine : l’augmentation de la consommation et le développement durable. Or l’augmentation de la consommation crée des pressions qui déstabilisent les écosystèmes tout en prélevant trop de ressources non renouvelables. Les biologistes savent que les écosystèmes peuvent supporter un certain niveau de rejets, au-delà duquel ils et nous allons écoper. Les géologues savent pour leur part que certaines des ressources sur lesquelles nous comptons ne sont pas illimitées (le pétrole étant l’exemple qui nous vient spontanément à l’esprit, tellement il est essentiel dans nos sociétés dites développées, mais aussi dans le développement des économies dites en développement).

    La question se pose : le développement durable nous empêche-t-il de faire le choix de la décroissance (non seulement consommer autrement, mais surtout consommer moins pour que le reste de l’humanité consomme plus sans que cela provoque une catastrophe écologique) ? Si nous acceptons l’idée de consommer mieux et même de tenir compte de ceux qui vont nous suivre dans nos choix de consommation (quoique je doute que beaucoup pensent aux générations futures), sommes-nous prêts à consommer moins ? Poser la question, c’est y répondre.


  • Emmanuel Delannoy (---.---.33.113) 15 novembre 2005 22:51

    Michel,

    Je pense sincèrement qu’il faudrait parvenir rapidement à dépasser ce débat stérile opposant décroissance et développement durable. Les métaphores du train ou de la voiture qui foncent dans le ravin sont un peu éculées. On frise le procès d’intention : Comme si le développement durable c’était seulement « faire la même chose qu’avant, mais en plus soft, et en se donnant bonne conscience... »

    Non, le développement durable, c’est faire les choses de manière radicalement différente. Le problème n’est pas sur le fond : Il faut produire et créer de la richesse, mais on peut et on doit le faire autrement, et plus intelligemment. On peut et on doit aussi mieux la répartir.

    Le problème de l’expression développement durable, c’est que c’est un concept valise, chacun y met ce qui l’arrange et l’assaisonne à sa sauce, au risque de tuer une belle idée avant d’avoir même commencé à la mettre en oeuvre.

    Pour ouvrir la valise, et y mettre les fondamentaux, il faut les bonnes clés : Les voici selon moi : Responsabilité, Solidarité, Fraternité, et surtout beaucoup de créativité et d’imagination. On ne résoudra pas les problèmes d’aujourd’hui sans se débarrasser de nos préjugés d’aujourd’hui. Alors, ne critiquons pas les solutions de demain avec les arguments d’hier.

    Fraternellement,


  • Michel Monette 16 novembre 2005 01:17

    Je suis d’accord avec toi que ceux qui adhèrent pleinement à l’idée d’un développement durable font un pas dans la bonne direction. Le problème ici est la récupération de l’idée dans un discours qui ne remet pas vraiment en question la croissance : celle-ci n’est pas un problème puisqu’il y a le développement durable (belle caution à la croissance soutenue dans les pays les plus riches, alors qu’il faudrait non seulement consommer mieux, mais aussi consommer moins pour que le reste de l’humanité puisse consommer à tout le moins un peu plus).

    Je constate par ailleurs une grande difficulté à créer un dialogue entre ceux qui font la promotion du développement durable et ceux qui optent plutôt pour la décroissance. Peut-être suis-je passé à côté de rencontres importantes, mais je n’ai rien lu allant dans le sens d’une réconciliation.

    Si le concept de développement durable est récupéré par les tenants de la croissance soutenue, en revanche, personne ne récupère le concept de décroissance. En fait, la décroissance n’est pas forcément négative. Il s’agit essentiellement d’accepter que consommer moins ne va pas forcément entraîner une catastrophe économique.

    Pour ce qui est de l’idée de la voiture fonçant vers le ravin, elle est peut-être éculée, je veux bien te l’accorder, mais comme pédagogue et communicateur (de par ma formation et mes expériences de travail dans les deux cas), je trouve que c’est une métaphore parlante smiley


  • Emmanuel Delannoy (---.---.47.186) 16 novembre 2005 12:37

    Je te passe la métaphore smiley Ce qui me gène le plus dans le discours des « décroissants », c’est qu’il n’intègre que très mal le problème des pays en développenet et de l’extrême pauvreté. Effectivement, un dialogue et un rapprochement est possible, notamment pour se mettre d’accord sur des indicateurs pertinents (Empreinte écologique, IDH) et des outils de mesure type ACV (Analyse du Cycle de Vie). Consommer autrement peut dire aussi consommer moins, en termes de matériels et plus en terme de bien être. Je suis prêt, bien évidemment, à décroître, si on considère l’empreinte écologique. C’est une nécessité que nous devons tous partager. Mais attention aux discours culpabilisants ou jetant l’anathème sur certains acteurs de la société (politiques, entreprises). C’est plutôt contre productif pour ce que l’on cherche à faire.

    J’aime bien cette citation de Jean-François Kahn : « Le révolutionnaire qui réussira au 21ème Siècle, ce n’est pas un extremiste dans un monde modéré, mais un modéré dans un monde devenu extrème. »

    Emmanuel.


  • Michel Monette 16 novembre 2005 13:39

    Guillaume Duval d’Alternatives économiques, davantage critique de la décroissance smiley, part d’un autre angle de traitement (celui de la difficulté de concilier les deux camps) pour insister sur l’urgence des choix, peu importe que l’on soit tenants du développement durable ou de la décroissance :

    « Quoi qu’il en soit, et quel que soit le parti finalement choisi entre développement durable et décroissance soutenable, le temps presse : il faudra trouver les moyens de transformer profondément les modes de production et de consommation dans les années qui viennent. »

    Deux camps s’opposent sur les réponses à apporter aux problèmes environnementaux et aux besoins de la population.


  • thomcom (---.---.222.119) 16 novembre 2005 13:55

    J’ai beau vous relire, je ne vois toujours pas ce que vous proposez. Personnellement, je ne vois pas l’intérêt de votre discussion, si ce n’est celle de vous faire plaisir - ce qui j’en conviens n’est pas négligeable. Votre énergie, vos connaissances et vos réflexions ne seraient-elles pas plus utiles si elles s’attelaient à cette question : que faire ??? 48% des Français disent que « consommer mieux = consommer moins » (Enquête Ipsos du 4/11/05, p.12, disponible sur Ipsos.fr, voir lien). C’est dire l’enjeu qui tourne autour du débat qui vous anime. Le problème, c’est que par sa complexité, le système qui régit nos échanges ne semble pas être « pilotable ». Or l’efficacité dans le domaine qui nous intéresse nécessite la mise en place d’actions concertées. Y a-t-il une marge de manoeuvre au niveau global ? Si oui, quelles actions ? quelles concertations ? quelles incitations ? si non, comment susciter et entretenir « localement » ce désir du consommateur ? comment le canaliser dans un sens profitable à l’entreprise ? comment permettre à ce désir que nous avons tous de donner un sens à notre travail, de retrouver nos valeurs dans les produits et services que nous consommons... de s’exprimer ? Donner des leçons, pourquoi pas, mais alors sur les réponses à apporter, sur le diagnostic, c’est stérile. Ce qui pose question, ce sont les leviers d’implication : des entreprises, du consommateur, des salariés, de l’actionnaire, des fournisseurs, des partenaires sociaux... Interrogés individuellement, tous vous diront qu’ils sont pour une croissance qui respecte les générations futures. Alors comment traduire ce désir dans des actes concrets, sans compromettre le souci légitime d’une entreprise de maintenir sa rentabilité et l’emploi de ses salariés ?


  • Michel Monette (---.---.193.21) 16 novembre 2005 18:40

    Si nous consommons moins et que le monde en voie de développement consomme ne serait-ce qu’un peu plus, il me semble y avoir là de bonnes opportunités d’affaires (dans une économie vraiment mondialisée, évidemment), non ?

    Pour ce qui est de consommer moins, je viens de tester Google base avec le mot sustainable et je suis tombé sur un site qui me semble un bon point de départ : The Simple Living Network.


  • thomcom (---.---.105.246) 16 novembre 2005 19:49

    Peut-être y a-t-il là des « opportunités d’affaires », en effet. Mais elles sont à inventer : l’intérêt économique pour l’entreprise de s’investir dans des démarches de développement durable ne va pas de soi - je ne parle même pas des démarches de « décroissance » que vous envisagez. Le retour sur investissement se construit : par exemple en mettant en place des indicateurs de résultat qui permettront de communiquer en interne et en externe sur les premiers résultats, et d’avoir ainsi des retombées en notoriété, image et climat social. Ou bien en travaillant sur les valeurs de l’entreprise et les attentes de ses publics, pour concevoir des projets concrets permettant à la première d’exprimer sa « différence d’identité » et aux seconds d’améliorer leur estime de soi par une plus grande cohérence de leurs actes avec leurs valeurs. Ce ne sont que des pistes, et il en existe bien d’autres. Mais elles ont le mérite d’être concrètes, applicables et appliquées, et de sortir du yakafokon (consomme moins et qu’ils consomment plus). A l’heure où la légitimité même de l’entreprise est questionnée, parce que la production et l’accumulation de richesses ne garantissent plus la promesse d’un avenir meilleur, il me semble qu’il est plus utile de l’aider à donner un sens à son activité - et à le rendre visible et intelligible de ses publics pour qu’elle en retire un profit - que de lui jeter l’anathème et de l’accuser de nombrilisme ou de cynisme. Je suis preneur de vos arguments qui permettraient de convaincre un entrepreneur qu’il a un intérêt à « décroître ». Cordialement, thomcom.


  • Michel Monette 17 novembre 2005 01:17

    Je m’en excuse bien humblement si j’ai donné l’impression de jeter un anathème sur les entrepreneurs. Pour moi, le problème en est d’abord un de civilisation. Si les habitudes de consommation changent, forcément les entreprises vont s’adapter. Par contre, l’entrepreneur est aussi un visionnaire, si je ne me trompe. Si une tendance à consommer moins s’impose (par conscientisation ou par obligation), les entreprises les plus branchées sur leur environnement vont s’adapter plus vite que les autres. Moi qui consomme moins depuis quelques années, j’ai réalisé que les économies ainsi faites me permettent d’acheter des produits de bien meilleure qualité (donc forcément plus cher), lorsqu’arrive un besoin impossible à ne pas combler. Tiens, une autre piste à laquelle je n’avais pas songée pour les entreprises. Même un slogan peut-être : « Achetez peu, achetez mieux ».


  • Michel Monette 17 novembre 2005 04:56

    ADDENDUM

    Lu dans un texte de Laurent Laplante : « Le développement durable continuera d’être récupéré et trahi autant que le peace & love si la culture ne l’oblige pas à se remettre en question. »

    La culture et le développement durable http://www.cyberie.qc.ca/dixit/culture-dd.html


  • Guy Bouchard (---.---.66.86) 17 novembre 2005 23:22

    J’aime bien le Achetez peu, Achetez mieux. J’avoue essayer d’appliquer cette maxime le plus possible dans ma vie. Ce que j’aime aussi de cette phrase c’est qu’elle est compréhensible de tous.

    Je trouve le discours habituel aride. Je crois que pour passer, le discours en question doit être accessible. Les concepts c’est bien beaux mais il faut que monsieur tout le monde s’y retrouve et puisse les intégrer.

    Je crois que les gens ont de la bonne volonté mais il faut que l’application de ces idées ne soient pas trop difficile sinon ont passe à coté. Comment faire je me et vous le demande.


  • (---.---.94.242) 18 novembre 2005 09:40

    A Emmanuel,

    Oui, bien sûr, solidarité, fraternité, ... mais plutôt comme objectifs que comme moyens d’y arriver.

    Tu le sais, je pense que la propagation du comportement collectif vers le DD ou la Décroissance soutenable, passera d’abord par un changement radical de l’approche individuelle. A savoir :

    Le Développement durable est une formidable opportunité pour chacun d’entre nous de grandir, de s’inscrire dans la société, bref de devenir citoyen.

    Tant qu’on le présentera comme une contrainte on restera limité à une bande de joyeux rêveurs. Ils faut emmener le plus grand nombre avec nous. Ce ne sera pas avec des débats technico-pratiques. Cela passera dans la valorisation éthique et satisfaisante de l’attitude bienveillante.

    Bien à vous tous.

    Jean-Philippe


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