Le système, c’est la vie !
Du point de vue de la philosophie, mais aussi du point de vue des sciences de la vie, toute vie fait système en s'organisant. C'est à cette condition qu'elle se développe et se reproduit. Si elle ne fait pas système, elle pourrit sur pied, s'étouffe elle-même. L'être est un "oui" à la vie, un "oui" à un mouvement toujours en marche.
L'ordonnancement vital des êtres est ce qui leur permet d'assurer leur survie et de résister à leur concurrence, à leurs prédateurs. L'ordonnancement n'est pas l'ordre au sens humain, c'est-à-dire artificiel, c'est une mise en marche efficace et harmonieuse qui tend constamment vers la croissance, vers le mieux. Cet ordonnancement naturel, spontané, n'est pas l'ordre autoritaire. Il s'agit d'une évolution vers l'en-avant qui garantit toujours la respiration et recherche obstinément de nouvelles voies pour se mouvoir, pour créer, innover.
L'ordre est tout au contraire une tentation humaine de régler la nature à son idée. Les excès de cette tendance en arrivent à étouffer le mouvement, à étouffer la vie. L'ordre, c'est donner des ordres même à la Nature, à ce qui est en nous le naturel (mais à quoi bon ? Ce naturel revient au galop...). Trop d'ordre étouffe la respiration. Appliquée à la gouvernance d'un état, la règle vaut aussi : trop d'ordre étouffe la respiration démocratique. A l'opposé, trop de désordre conduit à la désagrégation de l'être ou de la structure de gouvernement ; en physique cela se nomme l'entropie. La vie au naturel sait trouver son chemin dans le juste milieu, dans l'équilibre des choses.
Le système, qui est naturel, qui est la condition vitale de toute vie, est ouvert à son environnement, jamais fermé. Il se régule, suit les battements et les rythmes de la vie qui l'entoure. Il s'adapte le plus souvent sans heurts parce qu'il sent venir les changements. Le système procède à son auto régulation : il se corrige de lui-même. S'il ne le fait pas, c'est sa mort. Malheureusement, à l'échelle d'une organisation humaine, il se développe toute une série de résistances, de réactions de peurs irraisonnées, de manifestations d'intérêts divers et contradictoires, qui font que le système, au lieu de suivre le mouvement général de la vie autour, se sclérose sur place. Ces différentes tendances négatives peuvent coaguler et former une opposition radicale faisant barrage à la moindre velléité de changement pourtant indispensable. Une sorte de "pensée paresseuse" prend alors le dessus sur la pensée véritable et même sur l'intelligence collective : elle suscite des fantasmes de peur, esquisse des schémas simplificateurs pour manipuler les esprits, n'hésitant pas à recourir aux méthodes de réactivation de haines passées et de désignation de boucs-émissaires (un jour les Juifs, le lendemain les Roms, ensuite les musulmans...). Il s'opère comme une tournante dans ce processus abject qui n'épargne pas les assistés, les fonctionnaires, les banquiers, les chefs d'entreprise, etc. Et pourtant, pourtant ! Toutes ces catégories participent activement à la vie de la cité. Tous les rôles inventés par la vie économique et sociale ont leur raison d'être et leur utilité. On s'en aperçoit, mais trop tard, lorsque l'on a supprimé des dizaines de milliers de postes de policiers et de militaires, par exemple.
Certes, nous avons besoin de céder de temps en temps à la pensée paresseuse. Nous ne pouvons pas nous offrir le luxe d'être raisonnable et intelligent en permanence, ce serait trop fatigant. Mais au moins soyons lucides et réfléchissons avant de glisser le bulletin dans l'urne. Ne nous soumettons à aucun diktat, qu'il provienne de la bien pensance des élites dirigeantes (le "front républicain" des hypocrites ou du populisme : le ni-ni du nihilisme). Les populismes ont beau jeu de nous faire croire que l'on peut extérioriser le système pour le combattre comme un mal qui serait hors de nous. Postures vertueuses trompeuses, car nous ne vivons pas hors du système du vivant, nous y sommes : à l'intérieur ! Nous y participons. La vertu n'est pas l'oeuvre de l'intelligence naturelle, elle n'est que le fruit de dogmes. Elle est artificialité. Il vaut mieux lui préférer une justice bien ordonnancée, des règles établies dans le respect réciproque et le choix de règles de jeu non truquées qui laissent peu de place aux profiteurs.
Le sytème, le bon système, celui de la vie, est une organisation qui tend toujours à progresser. Or, il faut progresser vers quelque chose pour ne pas progresser seulement vers notre propre fin (et je la nomme : la mort !). C'est pour cela que les hommes ont créé la foi et l'idéal, et qu'ils se donnent des projets à poursuivre ensemble. Il faut de l'enthousiasme. Sans cela, le système devient délétère, soumis à un ordre idéologique qui n'a plus rien de naturel, qui n'est pas pragmatique. Et alors, c'est le désespoir qui s'installe avec la méfiance généralisée, les querelles et les invectives.
La vie est composition, la mort décomposition. Quand un corps social se fragmente à l'excès, qu'il porte en lui la division, qu'il se désagrège de trop, il tend vers sa mort.
Quand on veut nous imposer un système, notre réaction doit être de dire "non" dans un premier temps. Et l'on doit exiger de réfléchir sur ce que l'on cherche à nous imposer, on doit demander d'avoir la connaissance de tout ce en quoi l'on peut s'attendre. Quand c'est la vie qui fait système, quand l'ordre naturel des choses suit son cours, on ne peut pas lui dire "non". L'être ne peut que dire "oui" à la vie système, à la vie organisée instinctivement vers sa préservation, son développement et son mieux-être. Il convient en ce cas de réguler, de freiner les tendances mauvaises et, au contraire, d'encourager les initiatives qui poussent dans le bon sens. Il faut préserver et favoriser le système vital. D'aucuns prétendent qu'il faudrait faire table rase de ce qui est incontournable et, dans un mouvement d'opposition radicalisée, ils veulent renverser le système des valeurs : le bien devient le mal et le mal devient le bien ! Comme si les choses étaient aussi simples. Comme si on pouvait inverser les choses ainsi. Mais, la révolution n'est pas de renverser tout, elle consiste à suivre l'évolution en la régulant. On peut ainsi évoluer vers moins d'énergie nucléaire par une transition nécessaire, sans violence brutale inconsidérée que l'on regretterait après. Ou bien encore, ne pas attendre que la mondialisation soit si avancée qu'elle vienne nous cueillir à l'mproviste dans notre citadelle de solitude où l'on vivrait barricadés et retranchés.
On ne peut être qu'en mouvement au sein de la vie telle qu'elle est et non pas à côté de la vie, on ne peut pas survivre longtemps en vivant de manière fantasmée, à travers des schémas mentaux qui relèvent de l'utopie et souvent d'ailleurs totalement désuets.
Il ne faut pas renoncer à nos valeurs communes. Mais il faut concilier certaines valeurs avec le réalisme. En tous les cas, il ne faut jamais renoncer à la réflexion, jamais renoncer au dialogue entre nous.