Pourquoi des milliers de profs attendent le Plan de Départ Volontaire
Découvrez pourquoi de nombreux personnels de l'Education Nationale attendent la réforme de la fonction publique pour démissionner.
Ils vont au travail à reculons, ne supportent plus les élèves et la salle des profs, certains font même des cauchemars. Oui, de nombreux profs n’aiment plus leur travail. Pourquoi ne quittent-ils pas simplement les rangs de l’Éducation Nationale ? Pourquoi attendent-ils le Plan de Départ Volontaire promis par le gouvernement ? Vous verrez que démissionner aujourd’hui n’est pas du tout avantageux et que certains préfèrent avoir recours aux arrêts maladie à répétition et au travail au noir en parallèle. Le Plan de Départ Volontaire est une porte de sortie, un espoir. Mais qu’en sera-t-il vraiment ?
Démissionner aujourd’hui de l’Éducation Nationale : le parcours du combattant
Vendredi, 16h30. Devant un collège, quelque part en France, les bus défilent et des ados boutonneux s’engouffrent à l’intérieur, smartphones à la main. J’ai rendez-vous avec Edgar (le prénom a été changé), prof malheureux déniché sur un forum. Nous nous installons dans un café.
Mais pourquoi Edgar n’a pas démissionné ?
En octobre dernier, Edgar fait une demande d’IDV (Indemnité de Départ Volontaire). Créée en 2008, elle a pour but de permettre aux agents de la Fonction Publique de changer de métier en obtenant une compensation financière.
L’IDV n’est attribuée que dans deux cas : si votre poste est supprimé ou si vous créez ou reprenez une entreprise. Mais attention, vous n’avez pas le droit de créer l’entreprise avant.
Petit extrait du B.O, la source ici.
Edgar travaille alors au noir depuis quelques mois pour tester son activité. Il enchaîne les heures, il a des cernes. Il ne souhaite pas prendre de risques en quittant l’Éducation Nationale sans être sûr qu’il pourra continuer à assumer financièrement pour ses enfants.
Il me dit qu’il pensait obtenir environ un an de salaire, de quoi l’aider à démarrer son entreprise.
En décembre, la réponse tombe :
“Après 25 ans de carrière, j’ai le droit à 6 mois de salaire brut, en 2 fois, sans avoir le droit de tester avant ma nouvelle activité… En plus, j’ai un délais de 3 jours après réception du montant de l’IDV pour décider. Même pas le temps de contacter les syndicats.”
Il faut dire qu’Edgar s’était voilé la face. Il n’avait pas bien lu les 5 914 mots du Bulletin Officiel, et surtout pas cette phrase là, perdue dans les limbes du blablabla de la réglementation :
Sacré Edgar ! Et en plus, il ne cotise pas pour le chômage. Dommage.
Alors il préfère refuser l’IDV, et continuer. Même s’il m’avoue qu’en fait il fait le minimum et qu’il est malheureux.
Edgar est-il le seul prof dans ce cas ?
Après avoir rencontré Edgar, je me questionne : est-il seul ? J’en parle à la maîtresse de mes enfants. Elle me dit :
“Oui, bien sûr que j’aimerais changer de métier. Je suis fatiguée, au bout de 30 ans de carrière j’aimerais faire autre chose. Je ne m’imagine pas encore ici quand j’aurai 60 ans. Mais pour ça il faut être courageux”.
Courageux !
C’est alors que je lance un sondage en ligne que je poste sur mes réseaux sociaux. J’obtiens 75 réponses. Ce n’est pas très représentatif mais 75% des répondants affirment avoir déjà pensé à démissionner. Et ça me permet de rencontrer Valérie.
Valérie est professeure des écoles, elle a 6 enfants et elle vit à Paris. Autant vous dire qu’il faut assurer un minimum pour nourrir toutes ces bouches et se loger convenablement. Elle a également fait une demande d’IDV et on lui a proposé 10 000 euros. Je vous rappelle qu’elle n’a le droit à aucune indemnité de chômage, et je rajoute que cette somme est versée en 2 fois (la première partie 6 mois après la démission sur présentation d’un K-Bis, la seconde 1 an après si l’entreprise créée est encore en activité). Valérie a un deuxième job sur internet, elle préfère également travailler au noir, la nuit, quand ses enfants sont couchés.
Elle me dit :
“J’ai des gros problèmes de santé. LOL. Alors quand j’ai trop de travail sur internet, je me mets en arrêt maladie. Et j’attends la suite.”
Si vous êtes en train de lire cet article, ne vous arrêtez pas là, c’est après que ça devient intéressant.
Bénéficier du Plan de Départ Volontaire : un espoir
“Promesse” électorale, la Réforme de la Fonction Publique comprend entre autre la restructuration de certains services, la privatisation de certains autres, l’établissement d’une prime au mérite et le Plan de Départ Volontaire. L’État compte bien avoir recours à un nombre plus important de contractuels qui coûtent moins cher. Je n’ai pas envie d’entrer dans le débat sur la moralité de ces objectifs. Mais bien appuyer sur le fait que ce plan aidera des profs déprimés à sortir la tête de l’eau.
Pourquoi le Plan de Départ Volontaire est-t-il plus avantageux que l’IDV ?
Le Plan de Départ Volontaire, ou PDV, consiste à proposer à certains fonctionnaires de quitter leur poste en leur proposant des conditions plus avantageuses que celles actuellement en vigueur.
Il faut dire que l’Indemnité de Départ Volontaire n’a pas été très suivie, et n’a pas coûté cher au gouvernement. Sur le site internet d’un syndicat (rendez-vous page 17 pour ceux que ça intéresse), je déniche le nombre de personnels de l’Éducation Nationale qui ont demandé l’IDV entre 2009 et 2018, ainsi que les montants moyens qui ont été accordés.
Nombre de profs bénéficiaires de l’IDV (2009-2018) |
Montant moyen 2009 |
Montant moyen 2018 |
Montant proposé en 2018 à Edgar |
Montant proposé en 2018 à Valérie |
3 294 |
35 000 |
18 000 |
15 000 |
10 000 |
L’espoir du PDV réside dans les montants prévisionnels et les conditions plus avantageuses. Le gouvernement prévoit (selon les médias) :
- une prime de 24 mois de salaire ;
- la possibilité de bénéficier des allocations de chômage.
Faisons un calcul tout simple en reprenant le cas d’Edgar.
Montant IDV |
Montant PDV |
15 000 euros bruts |
Salaire mensuel x24 : 2 100 x 24 soit 50 400 euros Droit chômage : 46.28€ net/jour pendant 730 jours soit 33 784 euros
TOTAL : 84 784 euros ! |
Ainsi, si Edgar perçoit l’intégralité de ses indemnités de chômage et de sa prime, et en partant sur l’hypothèse que le gouvernement paiera 1 300 € net le vacataire qui le remplacera, il faudra 5 ans et demi pour que l’affaire soit rentable pour l’Éducation Nationale.
Qu’espèrent Edgar et Valérie du Plan de Départ Volontaire ?
Si vous êtes vous-même fonctionnaire d’État, vous devez vous dire que ces montants font rêver (moi aussi !). Alors, que vont faire mes deux témoins avec cette jolie somme ?
Dès la réception de sa demande d’IDV, Edgar a contacté les syndicats. Il n’adhère à aucun en particulier, et c’est pour cette raison qu’il a envoyé un mail groupé. Il souhaitait justement savoir s’ils en savaient plus à propos de cette réforme. Aucun n’a pu lui fournir de réponse précise. Évidemment, la réforme n’est pas encore inscrite dans le calendrier gouvernemental. Lors de notre rencontre, je lui détaille les montants calculés plus haut, avec des informations glanées ici et là dans de grands médias.
Il ouvre alors grand les yeux, étonné, ou rassuré. Il me parle de ses projets de prendre de grandes vacances avec sa famille. Il s’imagine dans un hamac sur une plage de Thaïlande avec un cocktail à la main.
“J’ai beaucoup d’amis qui profitent depuis des années de longues périodes de chômage pour se refaire une santé. Je crois que je l’ai bien mérité moi aussi. Ensuite, je pourrai sereinement monter mon entreprise, et vivre la vie artistique dont j’ai toujours rêvé.”
En ce qui concerne Valérie, elle souhaite vivre de son nouvel emploi sur internet, plus rémunérateur mais moins stable. Cette somme pourrait servir à se mettre au vert et quitter la grisaille de la métropole parisienne.
Pour tous les autres profs qui n’aiment plus leur travail, l’indemnité versée au titre du Plan de Départ permettrait de démarrer une nouvelle vie. Globalement moins oppressante. Pour peut-être pouvoir choisir enfin l’endroit où ils souhaitent s’installer.
Attendre et espérer : qui seront les élus ?
L’objectif du gouvernement est de supprimer 50 000 postes dans la Fonction Publique d’État (source : l’Express). De plus, “Édouard Philippe a précisé que 4500 postes seraient supprimés en 2019 et plus de 10 000 en 2020”. Il est essentiel de noter qu’il n’y aura donc pas 50 000 postes supprimés dans l’Éducation Nationale.
Comment le gouvernement choisira-t-il les démissionnaires ?
Tous les enseignants auront-ils le droit de présenter leur démission ? La sélection sera-t-elle orientée en fonction des besoins de service ?
Quand on s’intéresse un peu au monde de l’Éducation Nationale, on comprend que les besoins en personnels ne sont pas les mêmes en fonction de l’Académie et de la discipline.
Ainsi, dans les Académies de Versailles et de Créteil, il est plutôt courant de voir des postes vacants à la rentrée scolaire et des enseignants qui ne pas remplacés quand ils sont malades. D’ailleurs, l’Éducation Nationale incite les étudiants à devenir Apprenti Professeur, à partir de la deuxième année de Licence (plus d’infos ici) avec une rémunération très confortable pour 2 demi-journées de présence. Mais ce n’est valable que pour des disciplines qui manquent cruellement de candidats : allemand, anglais, lettres, mathématiques.
Il faut noter également que le concours de professeur des écoles dans ces mêmes académies est plutôt accessible : il y a moins de candidats que d’offre !
Paradoxalement, et depuis 2010, il faut un bac +5 pour devenir titulaire. Il faut donc embaucher des contractuels pour compenser.
Il est donc tout à fait pertinent de se poser la question des modalités de la démission. Il n’y a que l’avenir que nous en apprendra plus.
Que fera le gouvernement s’il y a plus de demandes que d’offre ?
Je pose la question à Edgar. A vrai dire, il ne s’en était même pas inquiété. Pour lui, c’était une affaire réglée : il pose sa démission, il attend quelques mois que le Rectorat lui trouve un remplaçant, il empoche l’indemnité et adieu la salle des profs.
Mais cela risque de ne pas être aussi simple. D’abord, il faudra peut-être attendre plusieurs années. Ensuite, il est possible que les candidats au départ soient beaucoup plus nombreux que ce que le gouvernement et les syndicats envisagent. Si je me permets d’avancer cela, ce n’est pas simplement par intuition. Les résultats de mon sondage sont effarants : sur les 75 répondants, 41 attendent le Plan de Départ Volontaire, soit 55% !
Ce que le gouvernement proposera à ceux qui pourraient rester sur le carreau ? Impossible de le savoir.
Vous l’aurez compris,c’est une réforme qui va faire couler beaucoup d’encre dans les prochains mois et qui va être débattue dans toutes les salles des profs.
Vous êtes personnel de l’EN ? Aidez-moi à affiner les résultats de mon sondage ! 6 petites questions pour 2 minutes de votre temps.