Sans-pap’ vertu clandestine

Témoignage : en janvier 2005, mon épouse et moi-même nous sommes vus convoqués devant un tribunal d’instance pour occupation d’un logement à Montévrain, en Seine-et-Marne, au-delà du terme prévu par la propriétaire, qui voulait revendre son bien après un an de location.
Nous nous acquittions des termes du bail de cette maison meublée par le paiement régulier du loyer, et avions à déplorer un retard de paiement de quinze jours. Nous étions contrits.
L’audience fut longue, car durant quatre heures, nous avons assisté au spectacle de la société civile qui ne s’en sort pas. Les cas étaient simples et ordinaires, de gens qui ne paient plus leur loyer, convoqués par leur organisme de HLM et invités à quitter les lieux.
Il est vrai que les impayés allaient de 7000 à 18 000 euros. Il est vrai aussi que certains cumulaient les condamnations, les présences abusives sur le territoire. Il est vrai aussi qu’au non-paiement de loyer, certains locataires ajoutaient le tapage nocturne, le non-respect du voisinage, les incivilités, bref, tout ce qu’on peut rencontrer quotidiennement dans une cité.
Les divers justiciables que nous avons croisés cet après-midi là avaient tous en commun d’être sans emploi et en fin de droits, les plus fournis en documents officiels touchaient le RMI.
Cet après-midi-là, d’expulsion il n’y eut point. Serait-ce que les juges étaient devenus cléments, un an et demi avant Cachan ? Nous avons vu repartir, le sourire aux lèvres et les mains dans les poches, les justiciables tels qu’ils étaient venus, libres et nullement inquiétés ; n’était le froncement de sourcils de la juge qui tentait quelquefois de faire de la pédagogie : "Vous rendez-vous compte, Monsieur, 18 000 €, c’est une somme ! allez, vous essaierez de donner 50 € tous les mois pour faire preuve de votre bonne volonté...".
Ce genre de scène, propre à vous arracher des larmes, a duré jusqu’à notre comparution.
Là, la première humiliation a été de ne pas recevoir de salutations en retour des nôtres adressées au collège magistral et au greffier. Visiblement bons citoyens, je veux dire de peau claire comme la juge elle-même, tous deux employés, la trentaine, payant nos impôts, et aux casiers judiciaires vierges, nous mettions le Tribunal dans le grand embarras de devoir faire appliquer la loi -pour une fois- et d’infliger des sanctions à des gens "comme eux". Angoissant, n’est-ce pas ? La fonction de magistrat ne doit pas être drôle tous les jours...
Expulsés
Face à nos arguments, qui ont consisté à rappeler la difficulté de trouver un logement quand on n’a pas de caution familiale à fournir aux bailleurs privés dans une région aussi saturée que l’ Île-de-France, le Tribunal nous enjoignit de continuer à payer le loyer dû (merci, c’est précisément ce que nous faisions), de régler les quinze jours de retard dudit loyer, de quitter les lieux sous trois mois avec l’aide de la force publique si besoin, et de régler 300 € à la propriétaire pour l’exposition de ses frais de justice. Je passe sur la majoration du loyer de 50 € par mois, une paille. (Pour la petite histoire, nous ne savons pas si la propriétaire avait grand besoin de se voir rembourser ses frais d’assignation. Toujours est-il que, selon son agent immobilier peu discret, elle a bien réalisé son opération immobilière pour 245 000 € trois mois plus tard.)
Enfin, voilà la réalité des tribunaux aujourd’hui en France, où se traitent avec sévérité les affaires courantes. Avec sévérité pour les mêmes vaches à lait, ceux qui travaillent, ceux qui paient mêmes leurs pensions alimentaires, leurs amendes, leurs impôts, leur loyer, et aussi votent, l’a-t-on oublié.
Je suis peut-être un cas isolé, me direz-vous, mais j’ai l’impression qu’il est plus facile de faire appliquer les sanctions prévues par la loi aux citoyens de la République. Les autres sortent du cadre. Extra-communautaires et clandestins ont pour eux la mauvaise conscience coloniale que les juges trimbalent aux basques, et finalement, les politiques avec eux, les médias avec eux.
Ce qui vient de se passer est énorme.
En prenant les écritures garantissant la non-interpellation des sans-papiers de Cachan durant le réexamen approfondi de leur situation, Nicolas Sarkozy ne fait pas autre chose que d’appliquer son cher principe de discrimination positive. On en voit les effets. Devant la pression devenue quasiment légitime de ces personnes prêtes à tout pour demeurer sur le sol français, il cède, et avec lui l’Etat, aux exigences d’un groupe de particuliers en état d’infraction. Leur a-t-on demandé, comme on m’a demandé à moi des frais de justice, de régler la consommation de deux ans d’électricité piratée à l’occasion du squat ?
Ouf ! La raison humaniste l’a finalement emporté, écrit-on dans La Provence... On nous présente cette issue de l’affaire de Cachan comme une victoire pour les sans-pap’. Les 370 personnes toujours clandestines mais relogées ont toutes les raisons d’être satisfaites. Comme ont pu l’être les quelques invités de Cachan au Stade-de-France pour le France-Italie de septembre 2006, arrivés en bus aux frais du département sous escorte policière.
C’est en vérité un aveu d’échec sans précédent de la capacité de la République à régler ses affaires par le droit, et non par son contournement.
L’affaire de Cachan, et surtout son issue, dont l’Europe entière rit sous cape, et que l’angélisme de gauche applaudit, c’est l’acte inaugural des concessions que la République devra faire à l’anarchie. C’est pour les étrangers qui se pressent aux portes de la France (500 000 d’entre eux viennent d’être régularisés en Italie qui peuvent désormais traverser la frontière invisible) et c’est pour les pays qui nous envient, la victoire d’une stratégie de colonisation par le nombre, par l’usure à l’immigration, et la victoire de ces stratégies de victimisation dont les médias sont si friands et si producteurs.
C’est l’accomplissement du reversement des valeurs d’un Etat de droit, et j’irai plus loin en disant l’accomplissement du non-respect d’une société accueillante. C’est cracher dans la soupe de son hôte et exiger qu’on apporte le dessert tout en demandant la garantie de pouvoir dormir tranquille. Et face à cette attitude nous n’avons que deux mauvaises solutions : la force ou la faiblesse. Les profiteurs de tous poils le savent.
A présent, l’heure des conséquences.
Comment l’Etat et ses représentants iront expliquer à leurs citoyens - qui heureusement ne mettent pas tous leurs enfants en contact avec la drogue et la prostitution comme dans certains squats- qu’ils doivent observer les jugements pris à leur encontre, qu’ils doivent payer les augmentations d’impôts locaux sans broncher, sans se constituer en gymnase, qu’ils doivent s’acquitter de leurs amendes de stationnement sous peine de voir les huissiers saisir leurs meubles et leur laisser le frigo la table et le matelas ? Comme le disait J. Chirac en 1978, le Français moyen, il devient fou !
Comment les maires des communes dont les logements sociaux manquent cruellement vont-ils expliquer qu’il n’y a pas de place disponible, comme pour ce couple du 4e étage avec deux enfants dont un petit handicapé qui attend depuis quatre ans un logement en rez-de-chaussée ? Là aussi, on leur objectera peut-être qu’il y a plus malheureux qu’eux, qu’il y a des gens qui n’ont même pas de papiers, rendez-vous compte, qu’ils ont un travail, eux, et que dès lors, ils ne doivent pas trop se plaindre et s’estimer heureux ?
Après les événements de 2006 qui ont vus la reconnaissance politique, médiatique et officielle des sans-papiers, rien n’empêcherait demain des revendications groupusculaires d’aboutir, coordonnées ou pas, relayées par des stars du show-biz ou pas, récupérées par l’extrême-gauche toujours, qui fourniront une matière infinie, faite de sans-toit, de sans-rien, de sans-travail, de sans-RMI, de sans-liberté, de sans-foi, de sans-justice, de sans-soin, de sans-Internet, de sans-sou, et j’en oublie.
Tous ces groupes représentés par des associations humanitaires, antiracistes quand il le faut, ou racistes s’il le fallait, feraient part de leurs exigences aux ministères de tutelle et poseraient devant les médias leurs conditions.
Voilà sûrement ce qui ne passe pas dans la gorge du citoyen de tous les jours, qui ne prétend pas penser. En plus de ne plus savoir pour qui voter ou pour quoi, il comprend mal qu’on puisse être en infraction et en même temps "exiger des conditions".
En 2007, ceux-là vont se souvenir de l’issue de l’affaire de Cachan.
D’ailleurs, je ne saurais trop conseiller à tous ceux qui ont maille à partir avec l’autorité d’invoquer la jurisprudence Cachan. Ceux-là sont convaincus en bons républicains que l’Etat n’a pas à prendre plus de gants avec des clandestins qu’avec ses propres ressortissants. Mais dès lors que le pas est franchi par un ministre irresponsable qui accumule les fautes lourdes... c’est tout la chaîne de l’autorité qui est rompue, et il faudra rire désormais à la barbe des ministres qui clament la sécurité. Nicolas Sarkozy a sapé les bases de l’autorité morale de notre nation, nous ne l’en félicitons pas.
Alors j’entends déjà les donneurs de leçons de la bien-pensance catholique et de la gauche boboïsante. D’abord, on peut être de gauche et ne pas être d’accord avec l’angélisme qui prime en matière d’immigration depuis trente ans. (Ah oui, ça, ça fait mal...). Tout le monde a vu et su les conditions épouvantables dans lesquelles ces personnes vivaient avant d’être expulsées avec leurs jeunes enfants, notez qu’à cette époque pas de Balasko-Besancenot à l’horizon... Tout le monde s’accorde à dire que cela n’était pas digne d’un pays comme la France. Mais beaucoup savent aussi que Marianne est bien bonne, et partant, qu’elle est souvent prise pour une conne. Le cynisme aurait-il changé de camp depuis Giscard ?
Pour finir, soyons sérieux, les Français ne sont pas racistes ou xénophobes, ils sont inquiets pour la survie de leur modèle social, de leur système de santé, pour leur système d’allocations-logement, leur système d’allocations familiales, leur système d’allocations de chômage, toutes aides sociales qui font rêver même un démocrate-chrétien italien...
Quant au mythe des régularisations massives, finissons-en : si les personnes entrées clandestinement sur le territoire devaient être régularisées systématiquement -comme le demande l’ultra-gauche de M. Besancenot- nous serions 90 millions en l’an 2020 et le SMIC serait à 400 €. Il serait temps alors de descendre dans la rue, réclamer le maintien du service public et du pouvoir d’achat.