Si proche Orient
Les outrances, les clameurs, les émois servent la plupart du temps à cacher l’essentiel, les plus aptes à obscurcir emportant l’opinion générale. Malgré les apparences, l’histoire des relations entre l’Islam et les pays occidentaux est relativement simple à comprendre si on s’en tient aux faits.
Les conflits avec l’Islam sont aussi vieux que l’histoire des trois monothéismes. Au VIIe siècle, la civilisation des arabes n’allait guère au delà de celle attendue de tribus, leurs croyances religieuses s’apparentaient au fétichisme et ils passaient le plus clair de leur temps à guerroyer ou à piller des caravanes. La première croisade s'est déroulée de 1095 à 1099 car les Turcs seldjoukides refusaient de laisser le passage aux chrétiens en route vers Jérusalem. Cette croisade s'achèvera par un succès et par la création du royaume chrétien de Jérusalem. Celui-ci durera 354 ans pour s’effondrer lors de la conquête de Constantinople par les ottomans conduits par Mehmed II. Celui-ci instaura une règle qui autorisait le sultan à éliminer tous les prétendants mâles au trône. La prise de Constantinople est marginale pour l'Empire ottoman qui contrôle déjà la quasi-totalité des anciens territoires de l'Empire Romain d’Orient (Empire byzantin). Partout dans les Balkans, les bastions de résistance chrétiens cèdent et en Occident on s'accommode généralement bien de la domination ottomane.
Aux XVe et XVIe siècles, l'Empire ottoman était un empire multinational et multilingue contrôlant une grande partie de l'Europe du Sud-Est, de l'Europe centrale, de l'Asie occidentale, du Caucase et de l'Afrique du Nord (à l’exception du Maroc). En 1571, la marine ottomane est défaite par une flotte chrétienne principalement vénitienne et espagnole. Cet événement constitue le premier ébranlement de l'empire ottoman. L'Empire maintint cependant une économie structurée et une armée puissantes tout au long du XVIIe et d'une grande partie du XVIIIe siècle. L'Empire s'allia à l'Allemagne au début du XXe siècle et s'engagea dans la Première Guerre mondiale à ses côtés. La défaite conduisit à l'occupation d'une partie de son territoire par les puissances alliées au lendemain de la Première Guerre mondiale et entraîna sa partition, ses territoires au Moyen-Orient furent divisés entre le Royaume-Uni et la France. Les conditions draconiennes du traité de Sèvres conclu en 1920 éveillent le sentiment national turc autour de Mustafa Kemal Atatürk, qui chasse les Européens d'Anatolie et s'impose comme chef du gouvernement. En 1923, il abolit l'Empire ottoman pour fonder la République de Turquie.
Mais s’en tenir aux chefs de guerre pour cerner la nature des conflits serait très largement insuffisant.
La révolution industrielle en Occident débute vers 1750 par l’invention de la machine à vapeur et grâce à l’exploitation du charbon, donnant naissance à l’industrie qui se développera par vagues successives jusqu’à nos jours fournissant à la plupart des peuples des objectifs à atteindre.Technique et technologies auront des conséquences considérables sur les structures sociétales jusqu’à incarner modernité et progrès indépendamment des spectacles politiques. L'Empire ottoman a existé de 1299 à 1923. Économiquement, il reposait avant tout sur l’agriculture. La production industrielle, marginale, fut largement contrôlée par les minorités ethniques grecques, arméniennes et juives jusque vers 1915 ; seulement 15% du capital industriel appartenait à des Turcs. L’Empire ottoman passa pour l’essentiel à côté des révolutions industrielles qui pourtant fournissaient les principales forces si ce n’est de progrès mais du moins d’attraction qui attisaient les désirs mimétiques de la quasi-totalité de la planète.
Des efforts considérables d’occidentalisation furent faits par Kemal Atatürk premier président de la République de Turquie de 1923 à 1938. : suppression de l’Islam en tant que religion officielle, inscription de la laïcité dans la constitution, abolition des instances liées à la charia, droit de vote aux femmes… Modernisation et essor technologique impliquaient une distanciation d’avec le tissu religieux. La Turquie est alors dotée d’un régime autoritaire à parti unique. Toutes les expériences d’occidentalisation dans les pays musulmans se feront par après dans ce même cadre de régime autoritaire ou despotique : Nasser instaura un système de parti unique en 1956, Saddam Hussein nationalisa les industries du pétrole (et quelques autres) au début des années 1970 tout en utilisant tous les moyens possibles pour régner sans partage, Hafez el-Assad organisa un régime autoritaire, autour d’un parti unique, le Baas, Ben Ali accorda un statut à la femme tunisienne et permit d’augmenter la compétitivité économique de son pays tout en emprisonnant nombre de ses opposants.
Les élections Tunisiennes de 1989 montrent cependant que le peuple ne se voue pas sans nuance au ‘progrès’ technologique copié sur l’Occident : les islamistes représentent alors la première force du pays. L’ouverture démocratique se traduira de fait toujours et presque partout par une poussée des forces religieuses.
Deux mondes s’affrontent, caractérisés par un choc des démocraties technologiques contre ce que beaucoup considère comme une sorte d’obscurantisme incapable d’évolutions techniques ou scientifiques. Les réformes nécessaires à l’intégration du monde musulman au monde dit moderne (occidental mais aussi asiatique) ne peuvent apparemment être conduites que dans des régimes contraignants ou autoritaires afin de se préserver des poussées religieuses fortement ancrées dans les population de la majeure partie des pays musulmans. Le triptyque démocratie-occidentalisation-essors économique et technologique ne pouvant pas fonctionner, les occidentaux ont fourbi de nouvelles armes.
Les occidentaux ont appris à devoir tenir compte de leur opinion publique. En plus des coups d’état et des interventions militaires de tous types, une composante s’est ajoutée : les Droits de l’Homme. Les belles âmes d’un pays s’insurgent, souvent à bon escient, contre les innombrables dépassements plus ou moins barbares des États phares de la modernité. La dénonciation de la guerre du Viêt Nam à partir de 1964 se transforma en un vaste mouvement social. Il était urgent de canaliser ce genre d’indignation dans une direction plus convenable. Cette véhémence a été utilisée par les divers pays occidentaux pour souligner les manquements bien réels des gouvernements des pays musulmans... détachés du religieux, progressistes pour l’essentiel et qui tentaient d’atteindre le Saint Graal de la modernité, celle des leaders. La déstabilisation des régimes ‘progressistes’ en place, qu’elle soit nécessaire ou non, ne pouvait alors conduire qu’au chaos puisque rien ne permettait de les remplacer. Le feu croisé des exactions des uns et des remontrances liées aux droits de l’Homme des autres conduisit à une politique de la terre brûlée où plus aucun ordre construit ne subsiste dans les pays musulmans. C’est ce qui est arrivé en Irak, en Libye, en Syrie, en Afghanistan…
C’est aussi ce qui aurait pu arriver, mais avec une variante, en Turquie.
Fethullah Gülen est un intellectuel musulman qui vit en exil depuis 1999 aux Etats-Unis. Il prêche une forme de fondamentalisme teinté de nationalisme tout en exprimant sa foi en la démocratie. Son mouvement possède des ressources estimées à 50 milliards de dollars. Gülen a tout d’abord soutenu le gouvernement de Recep Erdoğan puis il émit des critiques à partir de 2010 jusqu’à ce que son organisation soit déclarée terroriste en 2014. Il est accusé d’avoir fomenté un coup d’État contre Erdogan en 2016. La tentative fit 290 morts, il s’en suivra une purge à grande échelle et 16 chaînes de télévision furent supprimées. La réussite comme l’échec du putsch contre Erdogan ne pouvaient que conduire à une déstabilisation durable de la Turquie. Les réactions de Erdogan permirent de le cataloguer parmi les autocrates irresponsables. Ce fut aussi un moyen de replonger durablement la Turquie dans un fond islamique qu’elle s’efforçait de quitter.
La ligne suivie est quelque peu nouvelle dans le cas de la Turquie. Il ne s’agit plus de favoriser tel ou tel régime plus ou moins complaisant à l’égard des intérêts occidentaux, il s’agit de détruire tout système politique émanant de Nations. Le but ? Privatiser le monde ! Les entreprises multinationales doivent se substituer dès que possible aux instances politiques jugées structuralement inaptes à conduire les destinées des peuples de la planète.
Il s’agit d’un aspect peu souligné de la poussée mondialiste.