Un Cosmos à rebours
Métaphysique de l’intuition.
Il est communément admis par les scientifiques qu’une étoile qui se situe à tant d’espace de distance ne renvoie son signal qu’au terme d’un certain passage dans le temps, ne laissant à l’œil lointain qu’une trace de son passé. Si nous appliquons le même raisonnement à n’importe quel évènement dont l’œil humain est le percepteur, cela signifie en pratique que cet évènement a toujours lieu dans le passé. Que chaque évènement a toujours lieu avant son observation. C’est donc à dire qu’une étoile doit se former, ou s’être formée, ou être sur le point de se former. Les éléments qui la composent ne peuvent que s’être agglomérés, que s’agglomérer, qu’être sur le point de s’agglomérer. Ce qu’implique cette connaissance du temps, c’est que l’intuition humaine soit toujours juste.
« Ce qu’il y a d’incompréhensible, c’est que le monde soit compréhensible », affirmait Einstein, qui ne parlait pas du cosmos. Rien n’a été exploré entièrement et ne le sera jamais. Non seulement le changement est toujours inattendu, mais nous n’avons aucune idée de ce qui est. Les étoiles sont représentées parfois comme des losanges, et il se pourrait bien qu’il en existe de cette variété géométrique. Il se pourrait bien également que nous n’ayons pas assez d’imagination pour nous figurer autre chose que l’espace et le temps. La sphère n’est pas la forme parfaite, sauf s’il s’agit de retourner au point de départ.
La suite des changements dont nous sommes témoins n’est pas la somme des mouvements que nous percevons. Il faut se figurer un enfant qui grandit. Même filmé(e), sa croissance échappe à la vue. Nous nous souvenons de lui bébé. Et c’est comme s’il avait toujours parlé. C’est même comme s’il avait toujours été là. S’il y a un sens à notre cohabitation avec lui, c’est parce qu’il a été généré. Et qu’il va prendre sa part à perpétuer l’ordre, chronologique au moins, des choses.
Ce que nous disent nos sens et notre intellect, qui n’ont jamais été qu’un et le même, c’est que l’ensemble perçu avance et ne recule pas. Seules les frustrations et les angoisses causées par notre passage éphémère nous encouragent à postuler l’inverse en fiction, et toujours temporairement, les personnages de notre création étant bien forcés de partir ou de mourir, ou l’univers de notre observation d’être désintégré. Malgré toutes les contorsions que nous faisons subir au temps dans nos réalisations littéraires ou cinématographiques, la narration est inaltérable, l’inaltérabilité de notre condition nous laissant impuissants à postuler un au-delà qui ne soit pas religieux. Nous ferions tout, imaginerions tout, pour rester reliés. L’obsession de la connectique est l’indice laissé par qui cherchent à construire un au-delà à domicile. Malheureusement, c’est un projet voué à la réussite. Le carcéral est comme le fœtal. Un crime à rebours.
Ce cosmos qui est déjà présent sans que nous en ayons conscience, toujours en devenir, toujours en potentialité, laisse rêver à un passé qui ne puisse pas être écrit ou calculé, né et enfermé. Ce cosmos des possibles s’oppose à l’intuition humaine, et celle-ci refuse de s’en laisser conter, déterminée à imposer son désir, ce désir qui adhère si bien à la matière qui l’entoure, cette matière prévisible, régulable, planifiable en mathématique. La nécessité que le temps commande n’est pas celle que l’homme commande, à moins que le temps ne soit instrumentalisé par un autre homme, ce dont le présent texte n’est certainement qu’une trace de plus.
Ne restent-il donc que l’espoir, le désir et le projet de connaissance ? L’expansion économique est-il le pendant terrien de l’expansion de l’Univers ? La mémoire n’existe-elle que dans la cervelle ? Pourquoi avoir élaboré la notion de karma ? La notion de résurrection ? Simples manipulations d’esprits par d’autres ? Torture de l’âme individuelle vouée à la disparition étendue aux corps qui l’acceptaient depuis des millénaires ? Projet de construction ou de destruction ? Les deux se confondent. Le moyen le plus sûr de bâtir une nouvelle maison, c’est de se poser sur un terrain où une ancienne a demeuré longuement. Les places sont chères.
Si demain une guerre nucléaire avait lieu, et que le petit caillou sur lequel nous nous débattons devait exploser, évidemment les répercussions à l’échelle cosmique ne nous concerneraient plus. L’intuition humaine aura été juste jusqu’au bout. Dans le fond, il n’est pas possible de ne pas se fier à notre intuition, pas possible de s’arrêter. Le mouvement ne peut cesser. Ce qui doit s’agglomérer doit s’agglomérer. L’Univers a besoin d’astéroïdes, et notre bonne vieille planète pourrait lui en donner quelques-uns.
L’épuisement des ressources, plus lent et pas moins grave pour la survie de l’espèce, rend la téléologie latente dans cette réflexion plus visible encore. Est-ce fatal ? Le Ciel pourrait-il au moment critique pourvoir à nos besoins en nous gratifiant d’un miracle ? L’équilibre dont nous avons besoin et que nous ne réclamons point par nos actes surviendra-t-il contre toute attente explicite ? Est-ce que quelque chose, in extremis, nous empêchera de disparaître ? Tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir.
J’ai postulé au premier paragraphe, et par la suite, que les éléments s’aggloméraient pour en former d’autres, j’ai postulé une harmonie de principe qui permet l’existence d’êtres plus complexes, jamais plus simples. Je n’ai pas postulé le conflit, la résistance. Je n’ai pas postulé la constitution dans la douleur. Et j’ai surtout, surtout, postulé la destination. Y en a-t-il une ?
Mon intuition est optimiste. Le programmé et le spontané ne peuvent être distingués. Ils sont comme les vagues de la mer. Le plan élaboré sur le temps le plus long se réalise généralement dans le temps le plus court. L’action irréfléchie peut avoir des conséquences sur une durée infinie. Dans cet autre monde au-delà de l’espace et du temps, dépourvu de souffle et de matière, hors de ce cosmos à rebours théâtre de nos crimes et de nos amours, nos gestes auront la signification que nos consciences voudront bien leur accorder. Oracles.