mardi 24 avril 2012 - par Najat Jellab

Epître à Marianne…

Chère Marianne, toi ce beau visage de la France, je voulais te dire.

Quand quelqu'un se rend à une exposition, à un concert, ou qu’il découvre un chef d’œuvre qui lui plaît, il arrive qu’il évoque ses proches absents et s'en désole : "comme ceci plairait à tel de mes amis, cela à tel autre !" pense-t-il et il ne profite dès lors du spectacle qu'avec une légère mélancolie. C'est cette même mélancolie qu’aujourd’hui, en étrangère spectatrice que je suis, je ressens quand je te regarde. Mais ce n’est pas l’absence de mes proches que je déplore, c’est celle de l’élite de ton peuple, absente à elle-même, et qui de ta visée éternelle et universelle ne voit déjà plus rien, empêtrée qu’elle est dans la redéfinition de ce qu’elle voudrait que tu sois.

 Il y a dix ans déjà, un jour d’avril, un visage terrifiant d’extrême droite se dessinait sur les écrans cathodiques pour dire à des gens comme moi, que rien ne serait plus comme avant. A l’époque je faisais partie des étudiants étrangers sur ton sol, et je ne me lasse pas de le répéter, j’ai appris et grandi grâce à toi, et les mots ne sauraient témoigner de ma gratitude à ton égard.

Depuis dix ans, lorsque je te regarde, résonnent aussitôt les mots Laïcité, Communautarisme, République, Démocratie… Leur écho se confond tant et si bien que ces mots ne semblent guère avoir plus de sens que celui que chacun veut bien leur attribuer !

Pourrais-tu, chère Marianne, rappeler à tes professeurs, universitaires, intellectuels et politiciens, que les mots ont un sens, et qu’il faut cesser de les confondre. Je te l’assure, tu éviterais ainsi la défiguration dont tu es victime et qui attriste, tous ceux qui comme moi, t’ont tant admirée, aimée et étreint, mais qui aujourd’hui ont les bras rompus d’avoir aussi étreint un fantôme qui prétendait être toi ! Si le débat autour de l’islam en France semble si difficile, que ne commences-tu par rappeler le sens de laïcité et de communautarisme, deux mots si galvaudés par les sophistes et les démagogues qui ont rendu impossible toute vision d’avenir. Lorsque j’écoute les débats qui font rage sur ton sol, j’entends que la laïcité est synonyme de République, synonyme de Démocratie et qu’il ne saurait y avoir celles-ci sans le préalable de celle-là ! Marianne, tu comptes parmi tes citoyens des gens suffisamment instruits pour savoir qu’en Europe, il n’y a que toi, la France, et un autre pays, musulman, la Turquie qui avez eriges la laicite en rempart politique. Mais chez tes voisins, en Allemagne, par exemple, les institutions religieuses sont reconnues comme institutions qui participent au bien commun, l’Allemagne est une démocratie où les Eglises ont été partie prenante de la fondation de la République, Les Eglises y sont reconnues comme « corporations de droit public » et l’Etat soutient financièrement les Eglises catholique, protestante, méthodiste, mais aussi la communauté juive et musulmane.

Au Royaume Uni, les sikhs se sont vus reconnaître le port du turban à l'école et dans les services publics. Et concernant le foulard musulman à l'école, il est autorisé à condition qu'il soit à la couleur de l'établissement.

Quant à l’Italie, pays qui abrite le Pape, le catholicisme est patrimoine historique du peuple et la laïcité inscrite dans sa Constitution n’implique pas l'indifférence de l’Etat devant les religions, mais la garantie du maintien de la liberté religieuse dans un cadre de pluralisme confessionnel.

Pourtant, qui oserait dire de ces pays qu’il ne sont pas démocratiques ? D’autre part, qui oserait dire que république est synonyme de laïcité ? Il suffit de regarder les Etats-Unis pour avoir la reponse ? Souviens toi, cette démocratie que décrivait Tocqueville, ce pays où le président jure sur la Bible, ce pays où « In God we trust », et ce pays qui t’a sauvée à deux reprises au nom de la démocratie, quand le fascisme avait franchi ton seuil.

 

Ce que je voulais te dire, Marianne, c’est que tant que ce mot ne retrouve pas son véritable sens, celui d’une valeur et non d’un système, il continuera à tout et ne rien dire ! Chez toi, la laïcité est investie d’une mission d'émancipation, de libération des esprits d'un religieux identifié à la servilité. Mais si elle est érigée en système et transformée en laïcisme, elle sera toujours confrontée, comme dans tout système, à la dissidence. 

D’autre part, tu as sans doute remarqué comme moi, que depuis plusieurs années, le mot communautarisme est employé à tort et à travers pour signifier sans doute ce qu’autrefois on désignait par « ghettoïsation » « repli sur soi » et pour parler clairement « refus de s’intégrer à la société française ». Marianne, je t’en supplie, mets un terme à cette hérésie ! Car outre le fait que les opinions exprimées sur ces prétendus communautarismes ne sont qu'une observation superficielle de symptômes, elles se doublent de suggestions qui semblent conclure que pour remédier à toute détresse, il suffit de couper court à tout espoir !

 L’accusation de « communautarisme », -mot qui n’est entré dans le Petit Robert qu’en 2005- qui pèse sur des débats politiques récurrents, est tout à fait impropre et déplacée pour qualifier des revendications de visibilité sociale ; lesquelles remontent à bien avant l’introduction de ce mot dans la langue française courante. L’imprécision des termes initiaux du débat compromet déjà tout jugement. A dire vrai, l’emploi bien souvent aveugle du terme de « communautariste » traduit un état d’esprit équivalent en ignorance à celui dont a pu faire preuve un Mc Carthy quand il assimilait Charlie Chaplin, la gauche, les homosexuels et les drogués à des « communistes » et que la chasse aux sorcières, dénonçait tout « ennemi de l’Etat » en l’affublant d’une idéologie impropre à le qualifier. Aussi, examinons ce qu’est véritablement le communautarisme, incluant tous les éléments volontairement omis par ses détracteurs qui cherchent à le frapper toute entier de discrédit, quand il n’est qu’une approche valide et légitime de résolution du conflit qui oppose la volonté sociale particulière à la volonté sociale générale.

Depuis que j’ai quitté ton sol, Marianne, je vis chez ceux qui ont hérité de ta langue, et parmi eux j’ai beaucoup appris. Ils forment aujourd’hui le Québec au sein du Canada. Ils vivent, eux, selon les principes bien compris du communautarisme. Leur devise, figurant au-dessus de la porte principale du parlement ainsi que sur chaque plaque d’immatriculation est la suivante : « Québec, je me souviens » ! Dans le communautarisme, il ne saurait y avoir de « nous nous souvenons » sans le « je me souviens »… Nous sommes en Amérique du Nord, et charité bien ordonnée commence par soi-même. Bien qu’elle abrite en son sein une multitude de cultures, de religions et de nationalités, personne n’est dans l’impression que cette nation ait peur « d’aller de l’avant » ni qu’elle soit sous la menace d’une domination étrangère. Ce que le communautarisme souligne, Marianne, c’est le caractère constitutif des liens sociaux pour l'identité des personnes. Car l'identité de l'individu ne se manifeste pas par des choix volontaires -où les attachements qui peuvent le lier à autrui, au sein d'une communauté (famille, village, nation), ne joueraient aucun rôle constitutif- mais plutôt par une forme de compréhension de soi révélant des attachements communautaires qui lui étaient préalables. A ce propos, quelques lectures de Charles Taylor ou de Michael Sandel éclaireraient beaucoup les accusateurs du communautarisme qui emploient ce mot sans même savoir ce qu’il veut dire. Politiquement, ce communautarisme ne se traduit pas par des lois et concessions à l’intention de « groupes », il s’adresse à des individus, autonomes et responsables. C’est une philosophie individualiste et non de groupe ! Ainsi, la nation du « je me souviens », communautariste, permet à quiconque de s’honorer lorsqu’il le souhaite. Par exemple, quand un enfant ne se rend pas à l’école le jour d’une fête religieuse de tradition autre que catholique, tout le monde acquiesce devant l’initiative du parent qui ne l’a pas envoyé à l’école ce jour-là ; pourvu que personne ne fasse de prosélytisme. Ainsi, on pense que parce qu’il se souvient de lui-même, il se souviendra de la nation. Ce qui ne veut pas du tout dire que toutes les traditions et toutes les religions sont instituées en journées fériées ou en éloge à la paresse, mais que la loi reconnaît à chacun le droit à sa tradition culturelle. La mission du communautarisme est de faire coexister l’ensemble des individus, dans le respect de leurs libertés réciproques. Et, je t’assure Marianne, quand vient par exemple le jour de la Fête Nationale, celle-ci ne se résume pas à un défilé qui ne se regarde qu’à la télévision par un jour somnolent pour beaucoup, elle est plus enflammée encore que la fête de la musique dans les rues de ta capitale. Mais ce signe de « patriotisme » ne procède pas d’une volonté extérieure qui chercherait à imposer la commémoration ou l’adhésion aux individus, il est le fruit d’une volonté intériorisée de célébrer la volonté générale. Le communautarisme n’est nullement antinomique de patriotisme et nullement synonyme de repli identitaire ou de déni des valeurs d’autrui, comme ses accusateurs le comprennent. De plus, il est important de comprendre que comme aucun individu n’a besoin de la reconnaissance officielle de l’État nation pour célébrer sa tradition culturelle, si une revendication advenait de la part d’un groupe quelconque, qui interpellerait l’Etat sur une question le concernant, il ne s’agit déjà plus de communautarisme, car celui-ci légifère pour l’individu et non sur le groupe.

Et pour aller encore plus loin dans l’analyse de ces anathèmes jetés un peu vite à ce qui est compris comme étant des « intérêts communautaristes », l’attitude qu’ils révèlent rend impossible toute décision politique tant elle fait tourner indéfiniment le débat en rond. En effet, ceux qui dénoncent les « dérives communautaristes » désignent bien souvent de la sorte les revendications d’un groupe autre que le leur, oubliant parfois que leur point de vue n’est qu’une vue d’un point, et que même si cette vue était celle de la majorité en nombre, la majorité n’est en aucune façon synonyme d’universalité. Malgré cette distinction conceptuelle admise et avérée dans le langage, est pourtant dénoncé comme étant « communautariste » tout ce qui n’est pas « universaliste ». Si l’on pousse la logique universaliste elle-même à l’universel, doit donc être dénoncé comme communautariste - car non universaliste- toute revendication ou décision qui ne naîtrait pas ex nihilo ou qui n’obtiendrait pas l’unanimité ; non pas la majorité, mais bien l’unanimité. Ce qui disqualifie par avance toute politique et toute démocratie !

Mais je te rassure Marianne, il n’est pas question de nier ton Histoire et de prétendre que le communautarisme pourrait s’appliquer à ton modèle de société, car ta République est socialement et non individuellement instituée. Ainsi elle est disponible pour tous mais n’est pas vraiment investie par tous. Car de fait, n’importe qui pourrait bien disposer de toutes les langues, de tous les textes, ou de toutes les traditions du monde dans son assiette, s’il n’est pas doté des ustensiles nécessaires, il agira comme la cigogne invitée chez le renard, et ne pourra pas ou ne voudra pas participer au repas ! Pour prévenir le risque de couper tes citoyens d’eux-mêmes, Marianne, tu n’as, en effet, pas cédé la tâche de s’équiper aux individus et à leur famille immédiate, mais tu t’es dotée d’une autre institution républicaine : l’école, dont le but prioritaire est de lester tous tes citoyens d’un “ bagage culturel ”commun, sans lequel la plus grande part de leur environnement leur resterait étrangère. Ce qui signifie qu’une France, fidèle à Marianne, ne peut en aucun cas juger son modèle éducatif seulement à l’aulne de l’utilité économique- comme c’est le cas dans l’Amerique du Nord communautariste-. Et ce que toi, Marianne, tu as prescrit comme enseignement est avant tout un ensemble de systèmes de pensées transmissibles et reproductibles que tu as identifiés, pour ta République, non pas dans la foi, mais dans les humanités ! Outre les humanités, on peut ajouter le dessin, la musique et tout ce qui ne « sert à rien » si la seule visée est d’embrasser un métier. C’est donc seulement grâce à l’inclusion de ces humanités dans l’enseignement scolaire, humanités, qui « ne servent donc à rien » d’autre qu’à former des remparts contre l’aliénation, que la France peut conserver une cohésion sociale . Mais tu vois bien Marianne, qu’il y a une incohérence majeure et flagrante à se dire contre le « communautarisme » -qu’il faut maintenant baptiser autrement- et ne pas faire de l’enseignement des humanités une priorité. Car c’est le seul outil que tu as à disposition de tes citoyens, si tu veux qu’ils s’assoient à ta table, et perpétuent ton banquet. Et c’est à tes politiciens que revient cette tâche eux qui depuis dix ans complotent la destitution de tes valeurs, et simultanément s’étonnent devant le peuple de ce que celui-ci ne t`honore pas suffisamment !

Marianne, toi qui as inspiré tant d’hommes de tous horizons, toi qui rayonnes bien au-delà de tes frontières, parce que tu es garante de continuité, tu n’oublies jamais. Ton cœur est assez grand, assez beau pour réconforter encore beaucoup de chagrins, bien que quelques uns de tes gardiens terrifiants, ou de tes courtisanes aguicheuses, prétendent le contraire. D’autant que toi, tu sais que les victimes (ou ceux qui se sentent telles) ne seront pas toujours fatiguées, ou en colère, quand tu les auras rassurées, elles repartiront pleines de vigueur et d’enthousiasme et tu pourras en être fière, parce que tu te souviens, toi, que ceux qui t’avaient réclamés à cor et à cri, et auxquels tes gardiens avaient, dans les moments les plus troubles de leur histoire, interdit l’accès, ont aussi été ceux en qui tu as pu trouver le fer de lance de ta résistance, ceux qui ont participé à te rendre l’honneur qui est le tien. Quand bien même ta République devrait admettre en son sein des hommes et des femmes aux traditions périlleuses, c’est aussi parce que tu n’as jamais vaincu sans péril, que tu n’as pas triomphé sans gloire. Et quand bien même leurs revendications seraient difficiles à se représenter pour qui n’y a jamais été confronté, en faut-il donc si peu, pour tes gardiens peu éprouvés, pour prendre peur, s’affaiblir, et te croire à leur image, quand c’est à eux d’être à ton image, Marianne ?

Tu te souviens de ces jeunes gens à qui il est arrivé un jour de siffler la Marseillaise au prélude de quelque match de football, occasion habituellement si pleine de ferveur nationale. Je les compare à ces enfants qui, dans mon voisinage, faisaient du grabuge, le dimanche après-midi. Je sais que si je les avais réprimandés, ils auraient recommencé le dimanche suivant, encore plus fort. Aussi fut il beaucoup plus réjouissant pour tout le monde de leur apprendre les vertus du silence, de l’écoute, les vertus de Mozart, de Bach, (et pour la Marseillaise, de Rouget de l’Isle, pourquoi pas ?), de cette chose qui adoucit les mœurs : de la musique ! Je voulais te dire, Marianne.

 

Najat.



74 réactions


  • Suldhrun Suldhrun 24 avril 2012 15:54

    Le bonjour Najat

     Très beau texte poétique sur la communauté humaine , hélas le libéralisme sauvage ainsi que l islam étroit n en sont ...

     Point les poètes !


  • Kdix 24 avril 2012 18:42

     Très beau texte en effet, mais j’ai peur qu’il ne soit trop intelligent...


    • J-J-R 25 avril 2012 11:32

      Effectivement, les idolatres communistes qui sont légion sur Agoravox, préfèrent le charisme d’un gourou de la politique à notre Marianne, symbole de l’unité du peuple français et de la continuité de l’Etat au delà des clivages politiques et des changements de majorités. C’est en outre une garantie du vivre ensemble contre les communautarismes. 
       


  • Francois Waldstein 24 avril 2012 20:28

    En espérant que la lettre arrive à bon port...


  • Christian Labrune Christian Labrune 24 avril 2012 21:59

    @Najat Jellab

    J’étais vraiment jusqu’à cette lecture un partisan forcené de la laïcité et un défenseur acharné des principes républicains mais là, je suis vraiment convaincu par une argumentation d’une rigueur exemplaire. Dès demain, je milite pour qu’on autorise et même qu’on encourage le port du niqab, pour qu’on coupe la main des petits voleurs, qu’on encourage la polygamie et surtout qu’on lapide les femmes adultères, ces salopes. Il faut aussi qu’on interdise de toute urgence le blasphème, pour ne déplaire à personne. Le fouet ou, mieux, la pendaison, en pareil cas, me paraissent s’imposer.
    Il y eu la grande révolution des pays d’Afrique du nord, un merveilleux avenir se dessine pour ces peuples restés si longtemps sous la botte des tyrans, et nous, que faisons-nous en ce moment, nous en sommes à hésiter, pour prolonger de cinq ans notre servitude, entre un Ben Ali et un Mubarak français. Ce que je souhaiterais, c’est qu’on en finisse avec cette démocratie à la con et qu’un grand mouvement populaire amène enfin au pouvoir un grand réformateur, un Tarik Ramadan, par exemple. Avec Marianne, ça ferait un beau couple.


    • Najat Jellab Najat Jellab 24 avril 2012 22:22

      @ Christian Labrune, restez le militant que vous êtes ! je dis juste que Laicite , Republique et Democratie ne sont pas synonymes et que le communautarisme est un systeme politique et juridique qui n’a rien a voir avec l’emploi et le sens qu’on lui donne couramment dans les débats en France. Je vous rappelle, ou vous apprends, qu’au canada, aux etats-unis, il n’y a pas plus de polygamie ou de niqab qu’en France,..Vous ne croyez pas que ce serait un bon début de redonner leur sens aux mots ? parce que justement, quand certains pays vivaient sous les Mubarak, Ben Ali et autres, çà arrangeait tout le monde que les peuples soient analphabetes...jusqu’a ce que ce meme analphabetisme conduise au niqab, et a la servitude volontaire...Rendez vous compte, ils ont meme fini par faire croire que Jihad ca signifiait « descendre tous ceux qui sont contre nous »... alors que Jihad ca signifie « effort sur soi pour devenir meilleur »... Mais ce serait trop compliqué d’enseigner tout ça...Il vaut mieux que les mots n’aient plus de sens..


    • Christian Labrune Christian Labrune 25 avril 2012 00:16

      @Najat Jellab
      Ce que je trouve un peu étrange dans votre démarche, c’est que vous vous réclamez d’une Marianne tout à fait imaginaire, accordée à vos fantasmes, mais sans grand rapport avec la réalité des choses. C’est Marianne qui est laïciste et universaliste, et tout à fait hostile, traditionnellement, et même dès l’origine, au communautarisme. Il suffit de rappeler la phrase bien connue de Stanislas de Clermont-Tonnerre réclamant dès le début de la révolution « tout pour les Juifs en tant qu’individus, rien en tant que nation ». Le danger que veut éviter Marianne c’est qu’une communauté, quelle qu’elle soit, devienne en France un état dans l’état. Les choses ont au fond très bien fonctionné ainsi jusqu’à ces dernières années, mieux probablement que dans les pays anglo-saxons. Vous parlez du Canada, par exemple, mais la question des « accommodements raisonnables » y est une source permanente de conflits extrêmement difficiles à régler. Si on suivait ce modèle, on ne tarderait pas à avoir des citoyens du même pays qui vivraient sous des lois différentes. Ca commence en France où, dans les banlieues, sous l’influence des frères musulmans, l’existence des femmes devient de plus en plus difficile si elles n’acceptent pas de se plier aux coutumes archaïque qu’impose la religion. Songez aussi que dans ces mêmes banlieues, des jeunes manipulés refusent l’école de la république. Refusent par exemple qu’on leur parle d’athéisme dans les cours de philosophie ou qu’on leur explique la théorie darwinienne : pour ces jeunes plus ou moins fanatisés, l’homme ne saurait descendre du singe et il n’y a pas d’autre vérité que celle du Coran. SI vous trouvez que ce serait un progrès de consentir en France, pays de la philosophie des lumières, à cette sorte d’obscurantisme, ou bien que la condition d’esclave domestique est bien bonne pour les filles des banlieues, je trouve que c’est un peu inquiétant. Or cette acceptation quasi automatique de toutes les croyances, de tous les modes de vie, c’est bien ça qu’on appelle le communautarisme. Le plus grave, c’est que chaque communauté exige le respect et la tolérance mais n’a généralement aucun respect ni aucune tolérance vis-à-vis des traditions du pays d’accueil et encore moins vis-à-vis de celles des autres communautés. J’avoue que je ne comprends pas très bien ce que vous pouvez souhaiter et qui s’accorderait avec un minimum de réalisme.
       


    • Najat Jellab Najat Jellab 25 avril 2012 02:29
      @ Christian Labrune, bien entendu je m’adresse à Marianne, en tant qu’idéal, ou allégorie de la République,qui représente la liberté, l’égalité,la fraternité… elle n’est pas « réaliste » dites vous… je réponds, que c’est bien là le fond de mon propos. Marianne est un idéal transcendant vers lequel la République Française doit tendre, mais malheureusement les faits ne sont pas conformes à l’idéal. Bien sur que non, il ne faut pas céder à l’obscurantisme, et justement, l’école en France joue ce rôle fondamental. Vous me dites que le communautarisme, c’est l’acceptation de toutes les croyances, de tous les modes de vie… Mais pas du tout ! Ce dont vous parlez, ça s’appelle le relativisme cad que le sens, la valeur des croyances et des comportements se valent… et pourquoi à votre avis ? Parce qu’ils n’ont aucune référence absolue transcendante…aucun idéal, donc tout se vaut…Et c’est justement pour lutter contre ce relativisme qu’il est important que les idéaux restent parce qu’ils incarnent la volonté générale, sinon on se retrouve face à une accumulation de volontés particulières sans rien pour sublimer leur violence. 
      Et je dis bien que le communautarisme ne peut pas s’appliquer au modèle français, ce ne serait pas souhaitable du tout de chercher à s’inspirer du modèle canadien, parce que justement la France , je l’espère, reste un modèle alternatif au modèle anglo saxon. Mais je trouve extrêmement important de comprendre aussi ce que signifie le communautarisme, qui encore une fois, ne signifie pas repli identitaire comme on le croit. Je trouve votre citation parfaite pour illustrer ce qu’il est d’ailleurs« tout pour les Juifs en tant qu’individus, rien en tant que nation », c’est exactement cela le communautarisme !!!! C’est oui à l’individu, non au groupe ! Vous voyez bien qu’en France il est utilisé à contresens. Toutes proportions gardées, c’est comme si on réduisait le marxisme au stalinisme,,. 
      Quant à la question de savoir ce que je pourrais souhaiter, et qui serait réaliste, eh bien je crois toujours que la meilleure façon de combattre l’obscurantisme religieux, ce n’est pas d’essayer de bannir la religion en légiférant dessus, on n’arrive à rien du tout avec ces lois si on ne va pas chercher « de l’intérieur » ce qui va mettre un terme à cette ignorance crasse., et je crois que la meilleure façon d’y arriver, c’est tout simplement l’enseignement…

      Par exemple, vous me parlez de respect vis-à-vis des traditions du pays d’accueil, eh bien justement, si ces immigres connaissaient vraiment leur religion, ils sauraient que l’Islam –pour ne parler que de cet exemple- dicte aux musulmans le respect des lois et des coutumes du pays dans lequel ils vivent, quelles qu’elles soient, il y est tenu par le contrat que représente la carte de séjour, ou la naturalisation qui lui donne le droit de résider dans ce pays en sécurité et qui en échange lui impose le devoir de ce respect. 
      Il y en a, dites vous, qui refusent l’école, refusent qu’on leur enseigne le darwinisme… Mais c’est que l’Islam souffre du même relativisme dont je viens de parler : il y aurait les fondamentalistes, les salfistes, les modérés…. Tant de façons de vivre cette religion que l’islam en devient bien relatif et apparaît comme une sorte d’étalage dans lequel chacun pioche ce qu’il veut et forge son opinion personnelle ! Mieux encore, il forge une opinion a priori, sans même se donner la peine de lire ce qui en est le fondement. Or l’Islam incite à la recherche du savoir et cette incitation est démontrée par plus d’un verset , à commencer par le premier verset révélé au prophète Mohammed par l’ange Gabriel : « Lis, au nom de ton Seigneur (..). Lis ! Ton Seigneur est le très noble, qui a enseigné par la plume, a enseigné à l’homme ce qu’il ne savait pas »(sourate 96, verset1-5). Dieu incite donc Mohammed à lire, message que celui-ci propagera toute sa vie car « La supériorité de l’homme instruit au-dessus du dévot est comme celle de la lune, la nuit quand elle est pleine, au-dessus du reste des étoiles » dit-il dans un hadith. Alors à ces jeunes qui refusent l’école au nom de l’islam, mais de quel islam ils parlent ?!!!! 


    • Christian Labrune Christian Labrune 25 avril 2012 10:22

      @Najat Jellab

      Je ne comprends pas du tout l’espèce d’opposition que tenez à marquer entre communautarisme et relativisme. Sans une conception politique relativiste, le communautarisme ne serait guère concevable et les deux sont indissolublement liés. Cela dit, il faut distinguer plusieurs niveaux. Continuons, si vous le voulez bien par simplification, d’appeler Marianne la République et ses valeurs. Eh bien, Marianne n’est pas du tout ce que vous appelez un « idéal transcendant ». Marianne est, si j’ose dire, relativement relativiste en ce sens qu’elle admet, tolère, des croyances différentes qui sont, elles, de l’ordre de la religion, c’est-à-dire de l’ordre de l’absolu transcendant. Marianne ne fait pas de différence et ne marque aucune préférence pour tel ou tel système religieux d’interprétation du monde prétendant révéler quelque chose sur les fins dernières. Elle ne se préoccupe que de l’immanence : organiser la vie des citoyens de sorte qu’ils se supportent et n’en viennent pas à s’entre-tuer. Des dieux et de l’avenir des hommes après la fin du monde, elle ne se préoccupe absolument pas. J’ajouterai : elle a raison.

      Si Marianne n’était pas un peu relativiste, nous ne serions pas en République, l’état serait religieux comme l’était le communisme soviétique dépositaire d’une Vérité théocratique (La Pravda !) qui, pour lors, interdirait tout relativisme : le sens de l’histoire est connu, la lutte des classes mène au Paradis sur terre, il n’y a qu’une seule religion et Karl Marx est son prophète, au nom de qui on peut très bien fermer les églises des orthodoxes et persécuter tous les ennemis de classe parce qu’ils ont radicalement tort. En ce sens, vous avez raison, on ne peut pas « bannir la religion en légiférant dessus », cette position serait elle-même d’essence religieuse. L’athée que je suis, ennemi juré de toute forme d’euthanasie, pense qu’il faut tout à fait tolérer les religions et les laisser mourir naturellement de leur belle mort. Le catholicisme, par exemple, en France, est tout à fait à l’agonie et il n’y a aucune raison, puisqu’il n’a plus le pouvoir de persécuter personne, d’accélérer le processus létal.

      Vous oubliez que Marianne est héritière en droite ligne de la philosophie des lumières, du Traité sur la Tolérance de Voltaire, lequel inverse une ancienne vision du monde qui faisait prévaloir la transcendance et la Cité céleste chère à Augustin. Le seul monde dont il faille se préoccuper, pour lui, c’est celui où nous sommes : le paradis terrestre, écrit-il dans Le Mondain, c’est le monde où je suis ici et maintenant. C’est cela qui compte : l’immanence. Les hommes si cela les amuse peuvent bien rêver d’une survie tout à fait hypothétique après la mort, mais à condition qu’ils n’empoisonnent pas la vie des autres avec ces sortes de croyances.

      Vous me parlez de l’Islam. Il serait évidemment souhaitable qu’il en fût au même point que le catholicisme, mais pour toute sorte de raisons, il bouge encore. Il « dicte aux musulmans le respect des lois et des coutumes du pays dans lequel ils vivent » écrivez-vous. Oui, vous avez tout à fait raison : lorsqu’ils ne peuvent pas faire autrement, le Prophète les autorise à baiser la main qu’ils ne peuvent couper, mais s’ils le peuvent, leur devoir est aussi de faire triompher l’Islam. Vous savez aussi bien que moi qu’à Bruxelles où la communauté musulmane est plus nombreuse qu’ailleurs, des prêcheurs qui nous paraissent complètement cinglés prétendent réinstaurer le califat, comme s’ils étaient en terre conquise. C’est-à-dire installer un système où le politique qui organise la vie l’organiserait en fonction des principes religieux d’une seule religion. Je vous laisse à penser ce que Marianne pourrait penser d’un pareil objectif !

      Vous me parlez d’un Islam « modéré ». Un islam modéré serait un islam aussi moribond que le catholicisme. Si les papes avaient encore un quelconque pouvoir, nul doute qu’ils continueraient à persécuter comme ils l’ont fait pendant des siècles, c’est dans la logique de toute religion. Mais l’islam, dans des pays qui n’ont pas connu la philosophie des lumières, la laïcité et la tolérance qui en résultent, l’Islam qui prospère dans des pays où le niveau d’instruction moyen est très faible en est resté là où nous en étions encore en Europe à la fin du XVIe siècle. Les « modérés » dont vous parlez sont à peu près musulmans comme l’athée que je suis peut être catholique à l’occasion : si je vais à l’enterrement d’un catholique, je ne vais pas cracher dans le bénitier du goupillon ; par respect pour le mort et la famille, j’asperge d’eau bénite le cercueil. J’ai une grande passion pour l’architecture religieuse et il n’y a pas d’église à Paris que je n’aie visité ; si j’étais au Caire, je visiterais les mosquées. il y a tout un folklore religieux que je trouve charmant, même si je n’adhère évidemment à aucun dogme.

      Le 15 avril à Paris, de la Bastille à la Nation, il devait y avoir une manifestation des musulmans « modérés » contre l’islamisme radical. J’y suis allé et je n’ai vu personne. J’ai appris ensuite que cela avait été reporté. Depuis, j’ai cherché sur l’internet : rien. L’islam modéré à Paris n’existe pas. Je trouve que c’est tout de même inquiétant.

      Il y a eu une grande civilisation islamique à l’époque du califat des Abbassides et de la grande suprématie de Bagdad. Depuis, et avec l’effondrement progressif de l’empire Ottoman après Lépante, l’évolution des choses de ce côté du monde est assez préoccupante. Vous pouvez bien dire que l’Islam fanatique que nous voyons actuellement, celui qui agite les prêcheurs fous du Moyen-Orient obsédés par les versets et les hadiths qui préconisent l’extermination des Juifs n’a pas grand chose à voir avec l’idée que vous vous faites de cette religion qui en vaut bien une autre, mais les faits sont là et ce sont les musulmans qui en sont les premières victimes. Pour quelqu’un comme moi qui habite Belleville et ne pourrait vivre ailleurs, je vous assure que c’est un vrai crève-coeur de devoir vérifier quotidiennement les conséquences abominables du travail inlassable des Frères musulmans sur la condition des femmes musulmanes. La burqa a certes disparu, mais des femmes voilées de la tête aux pieds, j’en croise encore dix par jour. Ca c’est l’extérieur. A l’intérieur des têtes, ce serait probablement encore plus horrible à voir.

      En bref : je suis tout à fait prêt à accepter un certain relativisme, mais pas celui qui reviendrait à autoriser des individus à se comporter d’une manière inhumaine et à persécuter leurs semblables au nom d’une transcendance religieuse. Il est bien légitime de blasphémer, que diable ! et de dire tout le mal qu’on peut penser de la Bible ou du Coran, de coucher avec un autre que son mari sans craindre d’être lapidée, et de se promener tête nue, même si on est musulmane, sans être traitée de putain, comme il arrive maintenant souvent dans les banlieues. Ce n’est pas Marianne en tout cas qui pourrait cautionner de tels comportements ! C’est très emmerdant pour un Bellevillois moitié-chinois moitié-juif moitié-arable de devoir tonner contre l’Islam et le Coran, mais je ne vois pas comment, en l’état des choses, je pourrais faire autrement


    • Christian Labrune Christian Labrune 25 avril 2012 23:09

      Chère Najat,
      Je découvre tardivement votre réponse et les liens que vous me communiquez, dont je vous remercie. J’ai lu un peu vite et il faudra que j’y revienne ; comme je ne suis pas certain de pouvoir écrire beaucoup ce soir et que j’aurais quand même pas mal de choses à dire, je ne vous répondrai probablement que demain, mais je n’abandonne pas le débat !


  • aobc 25 avril 2012 01:02

    Bonsoir,
    quelques infos :

    1. Le Vatican est un ÉTAT
    Les organes du pouvoir législatif et exécutif
    Les organes du pouvoir judiciaire ==>
    http://www.vaticanstate.va/FR/Etat_et_Gouvernement/Les_organes_de_l_Etat/

    Quelques lois de l’Etat du Vatican
    http://www.vaticanstate.va/FR/Etat_et_Gouvernement/Lois_et_Decrets/

    2. exemple Allemagne / Èglise

    Travail « social »...........
    Allemagne[modifier]
    L’évolution est assez différente du fait que c’est un État Fédéral et qu’il n’ y a pas eu de loi de séparation entre l’Église et l’État. Ce sont les « Länder » qui organisent la formation des travailleurs sociaux et les communes qui ont la responsabilité de l’action sociale. Ce qui crée des disparités entre les régions. Les Églises, catholique et évangélique sont des considérées comme des associations de service et à ce titre financés par l’impôt, ce sont les plus grands employeurs d’Allemagne.
    http://fr.wikipedia.org/wiki/Travail_social

    Les Églises autorisées à adopter des règles particulières
    Il a en effet relevé que, dans cet établissement, les collaborateurs catholiques et réformés disposaient d’un même contrat de travail. Du fait qu’un remariage n’était pas un motif de licenciement chez les protestants, il ne pouvait l’être dans le cas d’un catholique.

    La justice allemande a confirmé à plusieurs reprises le principe du licenciement pour des motifs de loyauté, en se basant notamment sur les articles sur les Églises de la Constitution de Weimar, intégrés dans la Loi fondamentale de 1949. Le Tribunal constitutionnel fédéral l’a ensuite confirmé en 1985 dans une décision de principe.
    http://www.la-croix.com/Religion/Urbi-Orbi/Monde/En-Allemagne-un-tribunal-precise-le-droit-de-l-Eglise-catholique-a-licencier-un-collaborateur-remarie-_NP_-2011-09-12-710259

    Allemagne : L’Eglise catholique peut licencier un collaborateur remarié
    http://www.catholink.ch/detail/allemagne-l%E2%80%99eglise-catholique-peut-licencier-un-collaborateur-remari%C3%A9

    1) L’État participe au financement des communautés religieuses en Allemagne, en Belgique, au Danemark, en Espagne et en Italie
    - impôt cultuel et subventions directes en Allemagne
    http://www.senat.fr/lc/lc93/lc930.html

    L’Eglise, un employeur pas très catholique pour ses sacristains
    http://fr.myeurop.info/2012/04/02/l-eglise-un-employeur-pas-tres-catholique-pour-ses-sacristains-5069

    Cordialement, aobc


  • Najat Jellab Najat Jellab 25 avril 2012 22:08

    @Christian. Tenez, je vous ai trouvé quelques articles faciles d’accès pour tout le monde, dont un entretien avec le philosophe canadien Charles Taylor qui dit bien que le communautarisme n’est pas le relativisme. http://www.revue-republicaine.fr/spip.php?article1017

    http://www.philomag.com/article,entretien,charles-taylor-la-source-qu-il-nous-faut-atteindre-est-en-nous,575.php

    http://laurentbouvet.wordpress.com/2004/02/01/le-communautarisme-fondement-ou-aporie-de-l%E2%80%99identite-americaine/

    Si vous avez un petit moment, lisez-les, cela nous permettra de nous entendre sur ce terme de communautarisme comme philosophie politique Quant à dire que Marianne est relativiste, vous m‘en voyez bien triste, et indignée si cela m‘est permis : « Marianne ne fait pas de différence et ne marque aucune préférence pour tel ou tel système religieux d’interprétation du monde » dites vous, Mais cela ne suffit pas : elle est un symbole, cad qu’elle rend sensible des valeurs qui ne le sont pas (liberté, égalité, fraternité, et depuis 1905 sans doute laïcité) , elle a un pouvoir de rassemblement, de consensus, elle réunit et donc confirme a chacun son appartenance au même groupe, et parce qu’elle est un symbole, elle permet un universalisme concret conçu avec la diversité des normes et des cultures. c’est bien ça faire preuve de tolérance, non ?

    Et non, je ne crois pas qu’elle ne se préoccupe que de l’immanence, elle n’est pas immanence, sinon elle serait renversée , changée, au gré des gouvernements et des institutions… Marianne, comme le drapeau français, fait partie de l’id-entité Ce qui s’occupe d’organiser la vie des citoyens, c’est l’’Etat à travers les institutions, lesquelles changent , ainsi en France, vous en êtes a la Ve République, les institutions et l’organisation de l’Etat ne sont pas les mêmes entre 1848 et aujourd’hui, il y a même eu un Empire, une Restauration et un Régime de Vichy depuis, mais la même Marianne est restée, toujours là pour marquer la continuité.

    Vous avez raison de dire que la philosophie des Lumières a fondé le bonheur de l’homme dans l’immanence, et que depuis Nietzsche, Dieu est mort en Europe occidentale. Le problème, ou plutôt le double problème aujourd’hui est le suivant : d’une part,l’homme a toujours le même besoin métaphysique de donner sens à son existence sur terre, et il se trouve que cultiver son jardin ne lui suffit pas. La philosophie des lumières n’a pas répondu à tout. Mais, d’autre part, avoir la foi, est aujourd’hui synonyme de renoncement à son sens critique et d’abandon de la rationalité face au dogme. En fait, je vais même préciser : en tuant Dieu et en proclamant sans cesse sa mort depuis, Nietzsche et les suivants, penser Dieu, est devenu synonyme d’obscurantisme. Mais il ne suffit pas de se réfugier derrière Les Lumières et Nietzsche pour se prétendre plus rationnel et progressiste. Ce serait trop commode. Car Nietzsche ne dit pas « Dieu n’existe pas », ou « il ne faut pas croire en Dieu », mais que Dieu n’a plus de signification, qu’il a disparu de la conscience des hommes. Et si pour Nietzsche, il en est bien ainsi car l’homme peut alors devenir plus libre, il ne promeut pas l’athéisme pour autant. « Dieu est mort » équivaut à « Dieu est absent », et plus précisément : la raison a renoncé à penser Dieu car l’homme, désormais autonome, n’en a plus besoin. Est-ce que pour autant on a instauré le règne absolu de la raison ? Non, et ce serait d’ailleurs impossible ! Ah mais j’entrais vraiment dans le vif du sujet, je n’en finirais pas…

    Alors pour en revenir à l’islam, je veux d’abord préciser que je ne parle pas d’islam modéré comme un choix possible parmi d’autres, je dis que justement, j’en ai assez d’entendre qu’il y aurait des musulmans fondamentalistes, des modères qui sont les gentils, victimes des méchants ! Pour moi, il y a un Islam avec des courants, des écoles d’analyse, mais qui ne s’opposent pas puisque chacune est valide. Vous n’êtes pas sans savoir qu’en Islam, il n’y a pas d’église, par conséquent pas de médiation entre l’homme et Dieu, i.e personne ne peut imposer aux autres ce qu’ils doivent penser et c’est bien pour cela que chaque musulman est appelé à étudier par lui-même ! D’autre part, contrairement à la croyance répandue, le prosélytisme est contraire au lois de l’islam : « Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ? » (Coran, 10:99) … Les élucubrations du style il faut que les femmes se couvrent comme des fantômes, le jihad comme étant la guerre sainte et autres délires type taliban, je compare ces phénomènes aux… goulags du marxisme, jamais Marx n’a parlé de goulag, eh bien jamais Mohammed n’a prescrit cet « islam » délirant. Vous me dites que les faits sont là, je suis bien d‘accord ! Mais les fais ne reflètent que rarement les Idées. Je comprends que de voir les femmes voilées de la tête au pieds vous crève le cœur, il crève le mien encore plus, mais c’est le fruit d’une évolution des trente dernières années, alors que l’islam a quatorze siècles, vous voyez bien qu’il faut analyser ce phénomène non pas à partir de l’islam mais a partir des conditions politiques et sociales qui ont permis une telle situation.

    Pourquoi il n’y avait personne à la manifestation des musulmans « moderés » où vous étiez ? Je vais vous donner mon opinion très personnelle sur le sujet, et je vous le dis d’avance, elle est plus intuitive qu’étudiée mais soit : les musulmans éprouvent une sorte de peur injustifiée d’être qualifiés de « mauvais » musulmans s’ils s’opposent à d’autres, ouvertement, même s’ils les reprouvent au fond d’eux-mêmes, personne n’ose condamner personne. D’autant plus que dans un pays étranger, ils donneraient l’impression de « trahir » leur communauté… Mais je vais plus loin dans ce pourquoi : c’est que malheureusement, les musulmans manquent cruellement de grands intellectuels, et les quelques uns qui existent sont inaudibles. Pour une analyse plus sociologique, l’identité musulmane est trop fragile pour accepter d’être secouée, comme si cette identité n’était pas constituée de façon suffisamment solide pour pouvoir se heurter a la contradiction et à l’altérité. La seule façon de remédier à cette fragilité reste, je le crois, non pas de tenter d’occulter cette part constitutive de l’identité, mais au contraire, de l’asseoir par un vrai travail intellectuel.

    Je vous précise quand même qu’à titre personnel, élevée en tant que musulmane, je n’ai jamais porté le voile ailleurs que dans une mosquée, ne me suis jamais interdit d’entrer dans une synagogue ou une église, éprouve même une solennité certaine à assister à une messe où à allumer des chandelles pour Hanukkah, et je n’ai pas l’impression de renier mes origines puisque l’islam s’inscrit dans la continuité de la Révélation. Parce que je ne ressens ni honte ni culpabilité à être qui je suis – et je suis heureuse que Marianne ait de mon temps veillé à cela- je ne cherche pas a imposer par la violence je ne sais quel signe extérieur qui prouverait aux autres mon identité chancelante… Et je n’ai rien non plus contre les caricatures, les blasphèmes, les athées, évidemment, les agnostiques, etc…plus on est de fous, plus on rit !


    • Christian Labrune Christian Labrune 25 avril 2012 23:12

      @Najat
      Il y a un début de réponse à votre dernier message, mais je me suis trompé et au lieu de le suivre, il le précède. Il faut regarder plus haut.


  • Najat Jellab Najat Jellab 25 avril 2012 23:24

    Parfait, merci ! Prenez votre temps


    • Christian Labrune Christian Labrune 26 avril 2012 13:07

      Chère Najat,

      J’ai trouvé intéressant l’article de Bouvet : il décrit fort bien la structure communautariste, dès l’origine, de la société américaine et le renversement qui s’opère dans les années 60, lorsqu’on commence à mettre l’accent sur ce qui divise plus que sur ce qui rapproche, quand les communautés commencent à se percevoir, chacune dans son coin, comme des minorités opprimées.

      Les thèses de Taylor ne me paraissent pas acceptables et je vous dirai pourquoi en vous répondant puisqu’aussi bien vous n’en paraissez pas si éloignée.

      L’article de Justine Lacroix a failli m’être fatal : plusieurs fois j’ai été sur le point, en le lisant, d’avaler ma pipe, avec toutes les conséquences fâcheuses qu’on peut imaginer. En revanche, il y a un lien en bas de page qui renvoie à la critique d’un certain Vadier et qui m’a paru marquée au coin du bon sens. Il est seulement aussi inutilement jargonnant que son adversaire, et un peu injurieux, ce qui est bien inutile dans le débat d’idées.


      Vous voudriez que Marianne fût un symbole fédérateur des différences. Elle l’a souvent été, mais cela a cessé, et précisément avec l’apparition du communautarisme. A partir de ce moment-là, la France a commencé à être perçue, de l’intérieur des communautés, comme une instance oppressive tout à fait détestable. Si vous vivez au Quebec, il vous est peut-être difficile de le concevoir mais la réalité est ainsi faite. Il y a quelques années, à l’occasion d’un match de football, par exemple, lorsqu’on a joué la marseillaise, les jeunes de l’émigration, pourtant tout aussi français que moi, ont commencé à siffler et à hurler, cela a fait un certain scandale. Je suis maintenant à la retraite, mais il y a une quinzaine d’années, dans le lycée du 93 où j’enseignais, le type de graffito le plus souvent écrit sur la plupart des tables, c’était soit « Algérie en force ! » soit « Maroc en force ! ». Je n’ai jamais très bien compris ce que signifiaient ces formules guerrières et bizarres, je suppose que cela renvoyait encore au football, mais ces jeunes issus de l’immigration, qui sont pourtant nés ici, parlent désormais assez volontiers de ceux qui sont français de souche comme de « souchiens » qu’il vaudrait évidemment mieux orthographier « sous-chiens » ou, en verlan, de « céfrans », exactement comme s’ils étaient dans un autre pays, ennemi de la France où ils sont nés, ont grandi, et finiront probablement leur existence. C’est bien le même symptôme que dans l’Amérique des années 60 où chaque communauté commence à produire un discours doloriste et à se poser en victime persécutée. Tous se passe donc comme si on était au milieu d’une nation ennemie où l’on est installé mais à laquelle on tient à rester étranger. On voit naître peu à peu une sorte de xénophobie inversée. On veut avoir des droits et les faire valoir mais on ne se sent tenu à aucune espèce d’obligation. C’est aussi un phénomène de génération  : les plus vieux souhaiteraient sans doute que l’intégration soit possible, mais quand les journalistes vont dans les banlieues, ils privilégient les figures les plus caricaturales de ce type de position, si bien qu’une sorte de standard a fini par s’imposer, auquel tous finissent par se conformer. Je ne suis évidemment pas en train de porter un jugement moral sur ces sortes d’attitudes : le chômage et la misère sociale qui en résulte peuvent expliquer bien des choses, mais le fait est qu’entre les principes que vous posez et la réalité qu’on observe, il y a un abîme.

      Vous me dites que « l’homme a toujours le même besoin métaphysique de donner un sens à son existence ». Et ce sens lui serait fourni d’une manière quasi immédiate par son appartenance à une communauté. Là, il me semble que vous rejoignez Taylor, mais je ne pense pas du tout qu’une pareille exigence, concevable dans les siècles passés, soit compatible avec la façon dont un homme du XXIe siècle peut se représenter le monde et sa situation dans le monde. Vous évoquez Nietzsche. Il dit, effectivement, que les hommes ont tué Dieu, et non pas qu’il n’existe pas. Le souci de sa philosophie au marteau, c’est d’abord d’écraser l’infâme, comme disait Voltaire, de ratatiner la morale pourrie concoctée par Paul de Tarse.

      Cela ne veut pourtant pas dire que la question de l’athéisme ne soit pas essentielle. De fait, il faut bien distinguer entre deux sortes d’athéismes, celui des idiots qui « croient » que Dieu n’existe pas, exactement comme d’autres croient qu’il existe (et ces sortes d’athées n’hésiteraient pas à se prosterner devant lui afin de rentrer en grâce si par miracle il leur apparaissait), et les athées conséquents à qui l’existence ou l’inexistence de Dieu est tout à fait indifférente. Je suis de ceux-là, et si Dieu m’apparaissaient, je vous prie de croire que je ne lui accorderais rien, si ce n’est un formidable coup de pied au derrière ! C’est qu’on n’a pas du tout besoin d’un dieu quelconque : les sagesses de l’Orient, qui ne sont pas vraiment des religions au sens où nous l’entendons, se passent très bien de Dieu et avec leurs trois « religions » originelles, les Chinois sont parfaitement athées et ne s’en portent pas plus mal. Bayle s’efforçait déjà de démontrer, à la fin du XVIIe siècle, qu’une société d’athées ne serait ni meilleure ni pire qu’une autre.

      En fait, le seul mérite de Nietzsche c’est de faire apparaître ce qu’il y a d’arbitraire à l’origine de toute morale, de jeter le soupçon, après les moralistes français du XVIIe siècle, sur toute prétention à la vertu. Mais son refus du nihilisme le conduit tout droit dans le voisinage de Calliclès et fait privilégier, à cet éternel malade, l’énergie et la santé des plus forts. Au-delà du bien et du mal, finalement, il y a la force auto-légitimante, d’où la récupération par les nazis, ce que ne voient pas, semble-t-il, ses thuriféraires contemporains, et cela m’afflige.

      Dire au fond qu’il faut aux hommes des croyances pour assurer le lien social, comme le fait Taylor, c’est quand même désespérer du peuple et le mépriser à peu près autant que Voltaire pouvait mépriser cette « canaille » que seule la religion pouvait contrôler. En tant qu’intellectuel, Taylor se passe très bien des croyances, mais il pense qu’elles sont nécessaires pour ceux qui n’ont pas accès à la philosophie et il y a quelque chose de tout à fait pathétique dans sa prétention à vouloir fonder une morale qui échapperait au relativisme des moeurs. Il ne trouve rien de mieux que la conscience intérieure, cet « instinct divin » selon Rousseau, mais c’est une question sans solution qui débouche sur des apories. Dans « Fonder la morale », François Jullien essaie lui aussi de s’attaquer à cette question, lui aussi renvoie à Rousseau qu’il confronte au Chinois Mencius, mais son discours pourtant extrêmement nuancé et subtil ne m’a que faiblement convaincu. La vie me paraissant préférable à la mort qui est toujours irréversible, j’ai tendance à penser qu’il faut privilégier les systèmes qui permettent au plus grand nombre d’exister jusqu’au bout et d’assurer la paix collective, cela reste une préférence impossible à fonder. Ca, c’est la position modeste est sceptique de l’athée, qui n’a évidemment rien à voir avec celle des religieux qui trouvent, eux, dans la révélation, un fondement tout à fait indiscutable.

      Vous me dites que vous êtes lasse d’entendre toujours répéter les distinctions entre Islam et Islamisme. D’un certain point de vue, je suis d’accord avec vous et avec Wafa Sultan dans « L’Islam en question », qui considère l’Islam comme un bloc et nie qu’il puisse exister un Islam « modéré ». Mais pour Wafa Sultan, qui est née musulmane, l’Islam est proprement incurable, c’est-à-dire violent et mortifère, à rejeter en bloc. Vous me dites que vous êtes musulmane. Je veux bien, mais que faites-vous alors du cinquième verset de la sourate IX, Le repentir : « [...] Tuez les idolâtres partout où vous les trouverez, faites-les prisonniers, assiégez-les et guettez-les en toutes embuscades ; mais s’ils se convertissent, s’ils observent la prière, s’ils font l’aumône, alors laissez-les tranquilles, car Dieu est indulgent et miséricordieux ». Drôle conception de l’indulgence, non ? Il y aurait bien d’autres versets du même tonneau, et d’autres aussi qui prônent la paix et qui les contredisent, si bien qu’on peut indifféremment dire une chose et son contraire et justifier à peu près n’importe quoi. Quand vous me dites que Mohammed « n’a jamais prescrit cet « islam » délirant » je suis bien obligé de vous répondre que si, et que le septième article de la charte du Hamas, par exemple, s’autorise très bien d’un hadith qui préconise de massacrer les Juifs. Certains imams, à Paris, proches du CFCM, souhaiteraient expurger l’Islam de tout ce qui le rend incompatible avec les droits de l’homme et pourrait en faire, pour le coup, un vrai copain de Marianne, mais l’UOIF plus majoritaire est complètement manipulée par un Tarik Ramadan qui s’emploie à propager, lui, la bonne parole fanatique des Frères musulmans.

      La situation est donc très compliquée. Je vous parlais de cette manifestation avortée, des musulmans contre l’Islam radical. Finalement, elle aura peut-être lieu ce dimanche, mais s’y associent des organisations très contestables, comme Riposte laïque, désormais plus ou moins acoquinée avec le Front National, si bien qu’on ne sait plus trop s’ils n’entendent pas, en fait, combattre l’immigration et les immigrés plus qu’un fanatisme religieux. Je suis tout à fait d’accord avec ce que vous me dites des réticences que pourraient avoir à s’opposer à l’islamisme les musulmans de base : ils craignent d’être effectivement perçus comme des traîtres à une communauté qui a mis le doigts dans l’engrenage de l’islamic way of life et qui ne peut plus en sortir : qui ne s’impose pas le jeûne du ramadan est désormais un salaud. Qui ne se voile pas la tête (ce que, de fait, l’Islam n’a jamais imposé) est une catin, etc.

      Cet échange est un peu long - ça change des réactions de type SMS !-, et pourtant nous n’avons presque rien dit et j’ai un peu honte de tant de formulations à la hache qu’il faudrait pouvoir polir un peu ; la question des fondements d’une morale commune et des apories qu’on rencontre lorsqu’on essaie de penser la chose est tout à fait essentielle, mais nous ne pouvons que survoler tout cela.


  • Najat Jellab Najat Jellab 27 avril 2012 01:39

    Tout d’abord, je vous remercie pour vos commentaires qui forcent mon esprit à la réflexion et me donnent l’occasion de me replonger dans la lecture passionnante des Livres. 

    Je me permets de vous répondre en deux temps car j’ai beaucoup à dire... 

    Mais je vais commencer par Marianne : elle a souvent été un symbole fédérateur dites vous, mais cela a cessé, et précisément avec l’apparition du communautarisme. Alors ma question est la suivante : y a-t-il un lien de cause à effet ? Et si oui, a-t-elle cessé d’être fédératrice parce que les « communautarismes » (vous savez bien que je ne donne pas à ce concept le sens réducteur qu’il a en France, mais admettons-le pour un instant) sont apparus ? Ou bien, les communautarismes sont-ils apparus parce que Marianne a cessé de fédérer ? Vous comprenez bien que c’est une question capitale si on veut envisager quelque espoir de résolution de conflit entre la volonté communautaire et la volonté générale. Je comprends le rapprochement que vous faites avec les Etats-Unis des années 60, et la façon dont les Américains ont réglé ce problème a été notamment par l’introduction de la « discrimination positive » et des quotas. Je sais bien que cette notion d’ « affirmative action » fait hurler en France, elle me laisse perplexe aussi, mais je ne crois pas qu’un Obama eut pu être élu si les Etats-Unis n’avaient pas, par cette politique, normalisé la présence de minorités dans les postes décisifs. 

    Croyez-vous franchement que la France pourrait élire demain un fils d’immigré arabe appelé Barak ?...

    Je suis convaincue que c’est d’abord l’Etat qui par es politiques inclusives crée les conditions de possibilité de l’adhésion de ses citoyens. Si, pour certains, tout se passe donc comme s’ils étaient au milieu d’une nation ennemie où ils sont pourtant installés mais à laquelle ils tiennent à rester étrangers, quel rapport entretiennent donc ces gens avec la nation ? Qu’est-ce qui les empêche d’adhérer à un environnement qui a pourtant toujours été le leur ? Vous croyez que c’est leur islam ? Vous croyez qu’un beau matin, ils se sont rendus dans une mosquée, ont entendu dire par d’autres qu’il fallait refuser la nation française ennemie et « patatra », ils ont dit « oui » ?....Et comment se fait-il alors que tous les arabes et Africains musulmans que j’ai côtoyés dans Paris s’y sentaient très bien ? Ah mais, je dois dire, ceux-la avaient des pères ambassadeurs et ministres, peut-être qu’effectivement ça change des conditions de vie du 93 , une chose est sûre, le même islam ne constitue pas la même entrave selon les milieux sociaux. Alors qui est responsable de « réguler » les écarts sociaux justement ? 

    J’aimerais beaucoup poursuivre avec vous la discussion autour de la question des croyances nécessaires ou non aux hommes pour fonder le lien social. A vous lire, je comprends que non. Ma question est : comment serait-ce possible ? Peut-on être vraiment, absolument athée ? Quand je parle de croyance en Dieu/athéisme, en fait, j’inclus toutes les religions y compris les sagesses de l’Orient, et par Dieu, j’entends transcendance irrationnelle, impossible à fonder et démontrer par la raison. « Je vous en conjure, mes frères, restez fidèles à la terre et ne croyez pas ceux qui vous parlent d’espérances supraterrestres ! Ce sont des empoisonneurs qu’ils le sachent ou non »… Ainsi Parlait Zarathoustra, et il me parait proche de vos propos. Votre athéisme, même « conséquent » est tout aussi irrationnel que n’importe quelle croyance religieuse qui chercherait à fonder une morale qui permettrait au plus grand nombre d’exister et d’assurer la paix collective. Alors, qu’est-ce qui le différencie d’une croyance ? 



  • Najat Jellab Najat Jellab 27 avril 2012 01:53

    Je poursuis mon message précédent et finis ma réponse..


    Pour en revenir à l’Islam, je reconnais un problème au Coran, et non des moindres, c’est qu’il demande un haut niveau d’instruction et de maîtrise de la langue arabe pour être compris… Je vais donc préciser quelques points :
    - AUCUNE sourate dans le Coran n’enjoint quiconque à tuer les juifs, vous me dites que le Hamas cite un hadith et j’aimerais beaucoup savoir lequel et dans quel contexte… Car j’ai eu l’occasion un jour de m’entretenir moi-même avec le porte-parole du Hamas à Gaza, et il m’a lui-même bien confirmé qu’en effet, le Coran interdisait de tuer les juifs (comme tout être humain) et que les attentats n’étaient qu’une façon de se défendre dans le conflit armé qui les oppose à Israël… 

    Vous citez le cinquième verset de la sourate IX : « [...] Tuez les idolâtres partout où vous les trouverez, faites-les prisonniers, assiégez-les et guettez-les en toutes embuscades ; mais s’ils se convertissent, s’ils observent la prière, s’ils font l’aumône, alors laissez-les tranquilles, car Dieu est indulgent et miséricordieux . ». J’ai ouvert mon petit Coran pour vous et j’ai bien relu !
    Qui est désigné dans cette sourate et dans quel contexte ce verset a-t-il été révélé ? Vous lisez comme moi : les idolâtres ! J’insiste sur ce terme, Idolâtres qui traduit le terme « Muchrikines » en arabe. J’ai lu dans d’autres traductions francaises du Coran le terme « Polythéistes »,lequel me semble plus juste car cette sourate oppose les croyants du jeune islam, qui croient dans le « Tawhid » (c’est-à-dire a l’unicité de Dieu) et ceux qui croient dans le « Shirk » (c’est-à-dire ceux qui associent à dieu des idoles). Avant de poursuivre mon explication, je suis très heureuse que vous ayez choisi cet exemple car il illustre parfaitement cette tendance : on prend un passage du texte, on en considère la seule lettre sans référence aucune au contexte , et on se fait ainsi sa petite idée sur la question. Tiens, puisqu’on parle de Marianne, c’est comme si on prenait un passage de La Marseillaise, qu’on en extrayait ces phrases : « Aux armes, citoyens ! Formez vos bataillons ! Marchons ! Marchons ! Qu’un sang impur abreuve nos sillons », et qu’on en concluait : « La France pousse les Français à prendre les armes, et à marcher contre tous ceux dont ils jugeraient le sang impur ». Simplificateur ?... Chacun sait que ces phrases de la Marseillaise ont été écrites par Rouget Delisle en 1792 dans un contexte précis qu’était celui de la guerre entre la France révolutionnaire et l’Autriche royaliste et catholique. 
    Dans le verset qui nous intéresse, il ne s’agit ici pas d’une règle générale à appliquer telle quelle mais d’une mesure spécifique à la région de la Péninsule arabique, que les polythéistes arabes, établis en cités autonomes, avaient, dans la dernière partie de la vie du Prophète, un délai de 4 mois pour quitter avant de s’exposer au combat. Ce serait complexe et bien long d’expliquer tout ce contexte historique, mais je vous accorde qu’il existe des versets dans le Coran qui parlent de combats mais jamais ils ne confèrent à ces derniers l’objectif de contraindre des non-musulmans à se convertir à l’islam. Tout au contraire, contraindre un non-musulman à se convertir à l’islam est interdit par le Coran :« Pas de contrainte en religion » (Coran 2/256). Par contre, 
    au moment de la révélation, Mohammed et ses jeunes « apôtres » étaient poursuivis notamment par la tribu de Quraysh qui voulaient éliminer ce groupuscule qui prétendait introduire une nouvelle religion à la Mecque. Pour éviter la guerre, que de toutes façons les musulmans très peu nombreux auraient perdue, Mohammed a choisi d’émigrer et de s’installer à Médine. Cette émigration ( appelée Hégire) était, selon le Prophète, la seule façon d’éviter le conflit direct. Sauf que les Quraysh l’ont poursuivi jusqu’à Médine, (soit 500 kms plus loin) et c’est a ce moment là qu’ont été révélés des versets enjoignant les musulmans (qui ne voulaient pas de la guerre, parce qu’ils pensaient qu’ils ne feraient pas le poids) à se défendre, j’insiste sur le fait qu’il s’agissait d’une obligation « divine » de se défendre,dans ce contexte bien défini dans le Coran, et non d’un appel général à déclarer la guerre(car la seule guerre qu’autorise l’islam, est celle qui consiste à se défendre, non à attaquer, c’est ce qu’on appelle le « petit jihad », le grand jihad consistant à travailler sur soi-même pour atteindre la vertu..). 
    Aujourd’hui , les incultes, les ignares et les malhonnêtes croient que cet appel à la guerre contre les Idolâtres – est un appel « perpétuel » dirigé contre tous les non musulmans. Pas du tout, quand le coran parle des « mushrikines », ils désigne les païens polythéistes de la péninsule arabique (aujourd’hui ils n’existent plus puisque tout le monde y est converti a l’islam) . Il ne désigne absolument pas les Juifs ou les Chrétiens : Les Juifs sont désignés par le terme « Al-Yahûd » ou « Bani Isra-il » (Les Enfants d’Israel) et les Chretiens par le terme « Nazaréens » 

    Les Yahud, restent, selon le Coran, le peuple élu
    « À bon escient, Nous les choisîmes parmi tous les peuples de l’univers » (sourate 44 intitulée la Fumée, Ad-Dukhân, verset 32).
    Je vous accorde qu’il existe en effet des passages qui critiquent la manière dont les Enfants d’Israël se sont détournés du message authentique qui leur avait été révélé : « ils désobéirent à Dieu et se montrèrent ingrats face aux faveurs divines qui leur avaient été accordées. Ils perdirent la Thora originelle et introduisirent leurs propres mots et leurs propres interprétations dans les livres divins. Ils devinrent arrogants et prétendirent qu’ils étaient les fils de Dieu ; ils ne cessaient de vanter leur position de peuple élu de Dieu (4 : 155 ; 5 : 13). Dieu suscita parmi eux Son Prophète Jésus afin qu’il leur montre plusieurs miracles et qu’il les guide vers le droit chemin. Cependant, ils le refusèrent, essayèrent de le tuer, et prétendirent même qu’ils l’avaient effectivement tué bien qu’ils en furent incapables (4 : 157-158 ). » Voila donc pour les citations. Les critiques sont ainsi dirigées contre un groupe de gens spécifique pour leurs actions spécifiques et ne relèvent pas d’une « malédiction » qui serait jetée contre un peuple parce qu’il serait juif. Le Coran fait d’ailleurs remarquer que de telles critiques ne sont pas dirigées contre l’ensemble des Juifs : il ajoute qu’ « il est, parmi les gens du Livre, une communauté » de pieux et de vertueux, ordonnant le convenable et interdisant le blâmable, qui tentent de s’encourager les uns les autres à atteindre l’excellence, et ce, par des actions de charité et de bonté ». Le Coran précise bien que de telles personnes sont assurées que quoiqu’elles fassent de bien, rien ne leur sera dénié et qu’elles recevront entièrement leur récompense de la part de Dieu (3 : 113-115 [8]). Alors je ne vois vraiment pas d’où vous tirez l’idee que l’Islam incite a la violence contre les autres religions et peuples, le seul vrai Juge demeurant Dieu… 
    J’ajoute que de nombreux passages bibliques critiquent également les Juifs. Il vous suffit de lire la Bible Hébraïque, en particulier les livres de Michée (3 : 1-12 ) et d’Osée (8 : 1-14) dans lesquels ces prophètes condamnent les Juifs « qui exècrent la justice et qui tordent tout ce qui est droit » et qui « construisent Sion avec le sang et Jérusalem avec le crime ». De la même manière, dans le Deutéronome, Moïse avertit Israël que Dieu « enverra contre toi la malédiction, le maléfice et l’imprécation dans tous tes travaux, de sorte que tu sois détruit et que tu périsses rapidement, pour la perversité de tes actions, pour m’avoir abandonné. » (Deutéronome, chapitre 28, verset 20). Dans l’Evangile de Matthieu (23 : 13-39 [11]), Jésus réprimande continuellement les Juifs pour leur hypocrisie et leur injustice, et les condamne pour les meurtres qu’ils commirent contre les anciens prophètes. Il dit : « Jérusalem, Jérusalem, toi qui tues les prophètes et lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants à la manière dont une poule rassemble ses poussins sous ses ailes…, et vous n’avez pas voulu ! ». Alors qui oserait, en se fondant sur ces passages, déclarer que la Bible et les prophètes hébreux étaient eux-mêmes antisémites et qu’ils appelaient à l’élimination de l’actuel peuple d’Israël ?! De la même manière, contester des passages coraniques en les accusant d’autant est un total contresens. 

    Je tiens a préciser que je n’essaie pas de convaincre qui que ce soit sur un plan théologique, ce n’est pas sur le registre de la foi que je me situe mais sur celui de la seule sémantique. Je vous rassure on ne fait pas dire au Coran tout et son contraire sauf a ne pas le connaître. 
    Je ne peux rien dire contre Wafa Sultan parce que je crois que ce genre de voix doit se faire entendre et même que je soutiens une bonne partie de ses propos. Il faudrait meme plusieurs wafa sultan, ce serait tres sain pour les musulmans aujourd’hui : Je suis d’accord avec elle quand elle dit que les musulmans doivent abandonner le recours à la violence, au meurtre et à la destruction pour défendre leurs causes. Je suis d’accord avec elle quand elle appelle les musulmans à se remettre en question, à se demander ce qu’ils peuvent apporter à l’humanité au lieu de geindre et de se plaindre. Mais la ou je ne suis pas du tout d’accord c’est quand elle laisse entendre que l’islam contient intrinsèquement les germes de la violence et de l’arriération. Il a aussi été un fantastique moteur de progrès des sciences et des idées, Je trouve sa position politiquement très courageuse donc je ne peux que la soutenir mais en même temps, intellectuellement malhonnête, donc je suis aussi obligée de pointer un abus : le problème, ce n’est pas l’islam, ce sont les musulmans qui ne connaissent pas l’islam ! 



  • Najat Jellab Najat Jellab 27 avril 2012 04:28

    Ah, j’oublais, dans mon petit lexique, de préciser que les athées, eux, sont désignés par le terme « kuffar » ou « kafirune », ils sont considérés comme ceux qui « nient les signes de Dieu », mais étant donné que les athées étaient bien peu nombreux dans la péninsule arabique, le Coran en parle beaucoup moins que des polythéistes. Evidemment, comme dans les autres religions, les athées sont promis a la damnation... Mais ce n’est pas le problème du musulman... smiley


    • Christian Labrune Christian Labrune 27 avril 2012 14:09

      @Najat

      Je ne songerais pas à contester ce que vous me dites de la responsabilité de l’état dans la première partie de votre réponse : la politique d’urbanisation qui a été menée à partir des années soixante dans les banlieues parisiennes a été quelque chose de désastreux, on a créé de véritables ghettos et quand la crise économique est arrivée là-dessus dix ans plus tard, les choses ont commencé à aller de mal en pis. Ce qu’il y a eu de plus grave, c’est à partir du milieu des années 80, la destruction par les socialistes du système d’instruction publique. Vous le disiez dans un de vos premiers messages, rien n’est plus important que l’instruction. Or, il s’en faut bien aujourd’hui que les bacheliers français, surtout dans ces sections techniques où se retrouvent surtout les enfants de l’immigration, soit équivalent à celui d’un certificat d’étude entre les deux guerres  : on peut être bachelier et ne pas pouvoir comprendre ce qu’on lit, on est surtout incapable de s’exprimer d’une manière cohérente et on sort du lycée sans le moindre bagage culturel. J’ai vu des élèves à bac+2 qui pensaient que Jeanne d’Arc vivait aux alentours de 1835 et situaient Louis XIV après Napoléon. Dans ces conditions, les jeunes qui arrivent sur le marché du travail avec de faux diplômes se trouvent inévitablement refoulés. On les a trahis, pensent-ils – ils n’ont certes pas tort ! - et ils entrent dans la spirale du ressentiment. Incapables d’analyser le monde et leur situation dans le monde, ils adhèreront à toutes les idéologies fumeuses qu’on leur présentera. Cela vaut non seulement pour les enfants de l’immigration, mais même encore pour ceux d’autres milieux un peu plus favorisés qui pâtissent aussi de la destruction du système d’enseignement. La clientèle du Front national est semble-t-il surtout composée de jeunes déculturés. Le Fn d’un côté, les Frères musulmans de l’autre, ça nous promet un avenir plus qu’inquiétant et une belle régression vers l’irrationnel.

      Je ne suis pas hostile a priori à la discrimination positive si elle peut être un facteur d’intégration ; des expériences ont été tentées, on a essayé par exemple de faire en sorte que les moins mauvais élèves des banlieues puissent entrer plus facilement à Sciences Po ou dans certaines grandes écoles ; je ne sais pas trop où en sont les choses et je crains qu’on n’ait surtout cherché à créer une espèce de vitrine. Cela ne touche de toute manière qu’une partie infime de la population étudiante.

      Vous me demandez si on peut être « absolument athée » et votre question me surprend, c’est comme si vous me demandiez s’il est vraiment possible que j’existe ! Eh bien oui, j’existe : je pense, je suis, cela est indubitable, comme dirait Descartes. De cela au moins je suis sûr, et tout aussi bien du fait que, touchant aux très anciennes spéculations sur l’origine du monde et les fins dernières, je n’ai aucune lumière particulière. Il y a des milliards de galaxies dans l’univers, chacune contenant es milliards d’étoiles autour desquelles gravitent des milliards de planètes, et vous ne me ferez pas croire que ce qui peut se passer sur l’une d’entre elles à des millions d’années-lumière vous obsède nuit et jour ! Je gagerais même que vous n’y pensez presque jamais et je ne songerais certes pas à vous le reprocher. A Laplace qui s’entretenait avec lui de ses travaux relatifs à la physique et aux mathématiques, Napoléon avait fait cette question : « Et Dieu, dans tout ça  ? », et l’autre lui avait répondu : « Sire, je n’ai pas eu besoin de cette hypothèse ! ». C’est une réponse que je trouve tout à fait admirable. Il y a toute sorte de choses que nous ne comprendrons probablement jamais, vous et moi. A la très ancienne question de la métaphysique : pourquoi y a-t-il le monde et non pas, plutôt, rien je doute que vous puissiez jamais répondre, et moi non plus. S’il y a quelques petits éclaircissements à attendre, ils viendront peut-être des développement de la cosmologie scientifique, mais certainement pas des « révélations » contenues dans de vieux livres poussiéreux. Si je vous écrivais pour vous dire que sur l’écran de mon ordinateur, hier soir, Dieu m’est apparu comme à Abraham (dans le désert des buissons s’enflamment, mais on vit maintenant dans des appartements où ce sont les écrans qui projettent de vagues lueurs) et qu’il m’a commandé ceci et cela, vous ririez, vous penseriez que votre correspondant doit être assurément enfermé à Saint-Anne dans une chambre capitonnée, que peut-être au moment où vous lisez ses élucubrations, on lui a peut-être déjà passé la camisole de force. On pouvait faire croire ces sortes de choses à des pauvres bougres il y a quelques millénaires, mais aujourd’hui, ça n’est plus du tout possible et c’est probablement ce qui fait que depuis les dernières apparitions de l’ange Gabriel au VIIe siècle, Dieu est devenu singulièrement discret. Vous ne pouvez donc pas dire que « mon » athéisme est irrationnel. La croyance, qui anticipe sur la certitude rationnelle est assurément irrationnelle, mais certainement pas le doute et la suspension du jugement, l’épochè chère à Sextus Empiricus. « Ce qui ne peut pas s’exprimer, il faut le taire » écrit Wittgensteins, pourtant lui-même un peu mystique, à la fin de son Tractatus. En tout cas, si ce personnage ridicule qu’est le dieu du monothéisme se présentait devant moi, ma première réaction ressemblerait à celle de Dom Juan lorsqu’il voit s’incliner la tête de la statue du Commandeur, je me demanderais ce que j’ai mangé, bu ou fumé, je me demanderais si ma perception n’est pas altérée « par quelque vapeur » et j’irais immédiatement consulter un psychiatre, ce qu’Abraham ni Muhammad ne pouvaient faire, évidemment. C’est bien dommage pour eux et surtout pour nous  !

      Vous me parlez longuement de l’Islam. Je vais vous répondre, mais probablement ce soir, c’est plus prudent  : rien ne permet au sceptique que je suis d’affirmer que d’ici là il n’aura pas reçu lui aussi la visite d’un ange. En tout cas, je l’espère et je vous supplie instamment d’intercéder en ma faveur auprès d’Allah  !


    • Christian Labrune Christian Labrune 27 avril 2012 20:18

      @najat

      Il faut que je finisse de vous répondre à propos de l’Islam, en faisant un peu plus attention que ce matin : je vous expliquais que les jeunes Français étaient incapables d’écrire des phrases cohérentes, et ma propre phrase, ou une autre tout à côté, était elle-même parfaitement incohérente ! Ensuite, j’évoquais Abraham au lieu de Moïse à propos du buisson ardent. Il serait temps que je relise la Bible, comme je fais en ce moment avec le Coran, mais j’avoue que tout cela m’assomme ou me met en fureur, selon les moments de la journée.

      Je n’ai pas inventé le septième article d’une charte du Hamas qu’on trouve en tapant simplement « charte du Hamas » dans Google. Je vous recopie en fin de page ce septième article. Vous verrez bien par là l’utilisation qu’il est toujours possible de faire de n’importe quel verset particulièrement violent du Coran. Je ne me risquerai pas à discuter l’interprétation que vous donnez du verset 5 de la neuvième sourate à propos du massacre des idolâtres. Vous me dites que cela valait dans une situation historique tout à fait particulière, dans une époque de violence atroce très éloignée de notre sensibilité moderne. Je pense que c’est effectivement ce type de lecture que devrait privilégier un islam intelligent, mais ce n’est malheureusement pas celui-là qui prévaut parmi les imams qui font actuellement la pluie et le beau temps dans l’exégèse coranique. Pour eux, tout cela doit être pris au pied de la lettre : ce que Dieu a pu dire au Prophète vaut pour tous les temps et ne peut en aucune manière être remis en question. Si Dieu a voulu que les femmes adultères soient lapidées, il faut continuer à les lapider, et battre celles qui résistent aux volontés de leur seigneur et maître. Il faut continuer à couper la main aux petit voleurs, et punir le blasphème. Ce ne sont pas de simples thèses théoriques, tout cela est très bien appliqué dans certains pays. Certains ont même envisagé en Egypte une loi, en 77, qui punirait l’apostasie alors que le Coran en laisse le châtiment à la discrétion de Dieu seul. Et quand les talibans ou les Iraniens cassent la figure aux femmes qui sont insuffisamment empaquetées, c’est quand même bien aussi de l’Islam qu’ils se réclament. C’est cette religion-là que je déteste et qui me rend tout à fait islamophobe, je ne vois pas de mot plus approprié.

      Entendons-nous bien, le type de religion que vous paraissez défendre ne me dérange pas plus que le christianisme agonisant (pas celui de l’Inquisition !) ou le bouddhisme. Votre point de vue me fait penser aux analyses d’Abdelwahab Meddeb que j’entends souvent sur France culture et qui m’a souvent donné la curiosité d’aller voir du côté du soufisme, par exemple. Vous allez même jusqu’à défendre Wafa Sultan qui, si elle n’est pas athée (je crains pour vous qu’elle ne le soit un peu), est quand même à tout le moins déiste, mais si vous étiez actuellement en discussion non pas avec un athée des plus accommodants en matière de dogmes, mais avec un salafiste ou un Frère musulman du genre Tariq Ramadan, je pense que vous passeriez un très mauvais quart d’heure et qu’on ne laisserait pas de vous menacer des pires châtiments dans l’autre monde : vous prenez trop de liberté avec les textes, vous dirait-on ! Au fond, vous vous êtes fait une religion tout à vous, mais pas très orthodoxe, et c’est ce qui précisément vous rend sympathique. Vous n’avez rien d’une fanatique ; chrétienne, vous seriez probablement jésuite, mais je ne sais pas s’il existe une position équivalente dans l’Islam. Je sais bien qu’on a beaucoup critiqué les jésuites, mais ce sont les seuls en tout cas avec qui il puisse être agréable de controverser  : la réflexion et le doute ne leur font pas peur.

      Je ne sais pas où en sont les choses au Québec, mais ici, l’avenir de l’Islam ne ressemble pas du tout à la religion qui vous est chère et c’est bien cela qui m’inquiète, autant pour la France que pour les musulmans eux-mêmes que je vois de plus en plus malheureux et de plus en plus disposés, par ignorance probablement, à devenir leurs propres oppresseurs. Ce sont des prédicatrices comme vous qu’il nous faudrait !


      LA CHARTE DU HAMAS

      ARTICLE SEPT Le fait que tous ces musulmans, partout dans le monde, adhèrent aux principes du Mouvement de la Résistance Islamique, le soutiennent et soutiennent ses principes et positions ainsi que sa lutte, prouve que le mouvement Hamas est universel. Et il est bien équipé pour cela du fait de la clarté de son idéologie, de la noblesse de ses buts et de ses objectifs. C’est sur cette base que le Mouvement doit être jugé et évalué, et son rôle reconnu. Ceux qui lui nient ce droit, évitent de le soutenir, ferment les yeux sur les faits, intentionnellement ou non, doivent se réveiller. Ils verront que les événements les ont dépassés et qu’aucune logique ne justifie leur attitude. On doit apprendre des exemples du passé. L’injustice du parent proche est plus dure à supporter que la frappe de l’épée indienne.

      « Nous t’avons envoyé le Livre, le Coran, contenant la vérité, qui confirme les Ecritures qui l’ont précédé, et qui les met à l’abri de toute altération. Juge entre eux tous selon les commandements d’Allah et garde-toi en suivant leurs désirs de t’éloigner de ce qui t’a été donné spécialement. Nous avons assigné à chacun de vous un code et une règle de conduite.

      Si Allah l’avait voulu, il aurait fait de vous tous un seul peuple ; mais il a voulu éprouver votre fidélité à observer ce qu’il vous a donné. Courez à l’envie vers les bonnes actions ; vous retournerez tous à Allah. Il vous éclaircira lui-même l’objet de vos différends » (Coran, V, 52-53).

      Le Mouvement de la Résistance Islamique est l’un des maillons de la chaîne de la lutte contre les envahisseurs sionistes. Cela remonte à 1939, et à l’émergence du martyr Ezzedine al-Qasem et de ses frères, les combattants membres des Frères Musulmans. Elle s’allonge pour s’unir avec une autre chaîne qui est la lutte des Palestiniens et des Frères Musulmans lors de la guerre de 1948, puis les opérations du jihad des Frères Musulmans en 1968 et plus tard.

      Si les maillons ont été éloignés les uns des autres et les obstacles mis par les valets du sionisme sur la route des combattants, le Mouvement de la Résistance Islamique aspire à la réalisation de la promesse d’Allah, quelque que soit le temps que cela prendra. Le Prophète, qu’Allah le bénisse, a dit  : « Le Jour du Jugement dernier ne viendra pas avant que les musulmans ne combattent les juifs, quand les juifs se cacheront derrière les rochers et les arbres. Les rochers et les arbres diront, O Musulmans, O Abdallah, il y a un juif derrière moi, viens le tuer. Seul l’arbre du Gharkad ne le dira pas, parce que c’est un arbre des juifs » (rapporté par Boukhari et Moslem).


  • Najat Jellab Najat Jellab 28 avril 2012 19:20
    @Christian, vous m’avez fait rire ! 
    Vous avez raison de dire que je passerais un mauvais quart d’heure en face d’un Tariq Ramadan ou équivalent – surtout quand leur éloquence donne à la barbarie un visage humain- pour la seule raison que leur exploitation de l’ignorance m’inspire tant de colère que j’aurais sans doute du mal à contrôler la température de mon corps. Mais cela ne lui donnerait pas raison pour autant car je ne fonde pas ma conception de l’islam sur ce qui m’arrange mais sur une étude des textes et rien d’autre. Suis-je proche du soufisme ? Je ne peux que l’espérer sauf que je tiens à préciser que le soufisme n’est pas un « islam modéré » mais au contraire un islam « avancé » si j’ose dire. Pour préciser, l’islam n’est en fait qu’une étape dans la religion musulmane qui comporte trois degrés : l’islam (qui consiste à respecter les cinq piliers) doit être suivi de ce qu’on appelle l’imân (la foi),puis de l’Ihsân (l’excellence)… Ces trois degrés sont symboliquement comme les trois couches d’un seul fruit : l’écorce correspond à l’Islam, la pulpe à l’Iman (degré de la foi) et enfin le noyau à l’Ihsan et à la Vérité (Haqiqah ). Mais on ne peut accéder au degré de l’Imân sans passer par celui de l’Islam, ni à celui de l’Ihsân sans celui de l’Imân. Le soufisme, c’est donc une profonde connaissance, un degré de « Vérité » plus élevé, permettant d’atteindre la vertu, la noblesse de caractère. Donc si le dogme de l’islam est là pour définir la doctrine musulmane, il ne suffit pas. Il serait même stérile s’il n’était pas accompagné de l’excellence du comportement et une bonne action accomplie est meilleure pour la foi que des discussions dogmatiques interminables. Et il serait souhaitable que les prédicateurs invitent à ce dépassement plutôt qu’à laisser croire que l’islam est un je ne sais quel appel au meurtre. . 
    Le soufisme est donc tout le contraire du doute en matière de foi, car il est non seulement connaissance intellectuelle mais aussi une connaissance vécue. Et pour en revenir à votre comparaison avec les jésuites, en effet, si j’étais catholique, je me considérerais sans doute proche des jésuites en ce qu’ils s’approchent de l’idée de libre-arbitre , concept très important dans le Coran : 
    « Dieu n’impose à chaque âme que ce qu’elle peut porter, elle sera rétribuée selon se qu’elle peut porter, elle sera rétribuée selon ce qu’elle aura accompli et elle sera punie selon le mal qu’elle aura fait. »
    Sourate 2. la Vache (Al-Baqarah) Verset 286

    Quant à l’idée du Destin (Maktoub), qui serait plus proche de l’idée de « prédestination » chez les jansénistes, elle existe également, mais il s’agit d’une sorte de « prescience » divine, et non d’un déterminisme. Pour illustrer la distinction, c’est comme si un père, par la connaissance qu’il a de son fils, prévoiyait que celui-ci s’adonnerait à la violence. Si ce dernier le fait, ce ne sera pas parce que son père l’y aura contraint, mais sa prévision se confirmera. Par contre, le fils demeure libre de refréner ses passions, de maîtriser son comportement, de cultiver ses bonnes tendances, de donner généreusement etc…


    • Najat Jellab Najat Jellab 28 avril 2012 19:57

      oups, excusez les heaneaurmes fautes d’orthographe que je viens d’apercevoir et que je ne peux plus corriger...


  • Najat Jellab Najat Jellab 28 avril 2012 19:46
    Revenons-en à cette histoire de Hamas…

     « Le Jour du Jugement dernier ne viendra pas avant que les musulmans ne combattent les juifs, quand les juifs se cacheront derrière les rochers et les arbres. Les rochers et les arbres diront, O Musulmans, O Abdallah, il y a un juif derrière moi, viens le tuer. Seul l’arbre du Gharkad ne le dira pas, parce que c’est un arbre des juifs » (rapporté par Boukhari et Moslem).

    Comme a chaque fois que je lis ce genre de citation qui vise à « dénoncer » l’islam , j’ai, en le lisant, presque senti un soupir de soulagement de votre part, tant elle porte un coup violent. Je l’avoue, ce coup a failli m’être mortel  

    Alors laissiez-moi vous prévenir, ceci est un morceau passionnant dans la prophétie musulmane !
    Présenté ainsi, ce hadith semble confirmer une promesse divine de tuer les juifs avant la fin des temps et le Hamas serait là pour accomplir cette promesse… ? Ah ! Je comprends mieux maintenant, pourquoi Tsahal plante tant de gharkads autour des colonies et de Jérusalem... 
    Trêve de plaisanteries.
    Tout d’abord la charte du Hamas n’est ni le Coran ni la sunna, et c’est dans ces sources là qu’il faut aller chercher les questions et les réponses pour bâtir une opinion sur l’islam. Si on se contente de citations sur internet et de toutes les falsifications qui les accompagnent, je comprends qu’on en arrive à « l’islamophobie » ambiante ; même si je ne comprends pas comment on peut employer ce terme d’islamophobie : on ne peut pas être islamophobe ! pas plus qu’on ne peut être « platonismophobe » ou je ne sais quoi… On peut, par contre, être antisémite – terme qui me parait plus approprié, puisqu’il désigne aussi bien la haine des juifs que celle des arabes. 

    Première précision, et vous verrez pourquoi les textes originaux ont leur importance : la citation est fausse. Il n’est pas écrit « avant que les musulmans ne combattent les juifs » mais « avant que VOUS ne combattiez les juifs ». Vous pouvez le vérifier, il s’agit du hadith numéro 177, Volume 4 du Sahih Al Bukhari. Et si vous lisez le hadith numéro 179, juste quelques lignes plus loin, la phrase est répétée, exactement la même, sauf que le terme « Juifs » est remplacé par le terme « Turcs », ce qui donne : « Le Jour du Jugement dernier ne viendra pas avant que vous ne combattiez les Turcs »… 
    Si on ne sait pas de quoi traitent ces prophéties, il faudrait immédiatement ruer dans les brancards, puisque l’Islam appelle au meurtre des turcs ! D’autres musulmans !! 

    Mais je vais tout même essayer de vous résumer ce à quoi ce hadith fait référence, pourquoi, une fois de plus, sorti de son contexte, on lui fait dire n’importe quoi et que d’un point de vue purement pragmatique, il ne sert franchement pas la cause du Hamas. 
    Vous lisez comme moi qu’il s’agit d’une prophétie sur le jour du Jugement dernier, jour qu’attendent aussi bien les juifs, les chrétiens que les musulmans et ce hadith porte sur les signes annonçant ce jour appelé dans la Bible l’Apocalypse et « Qiyamah » dans le Coran (sourate 75), ce qu’il conviendrait de traduire par « La Résurrection ». 
    Ce jour, dans le Coran, comme dans la Bible, est celui du retour de Jésus Christ sur terre. Donc ce hadith prophétise sur ce qui doit arriver à la fin des Temps. Mais déjà que peu de gens lisent le Coran véritablement, encore moins connaissent les hadiths et leur contexte… 
    Alors que dit précisément le Coran sur les événements entourant cette seconde venue de Jésus sur terre ? Pas grand-chose, si ce n’est que ce retour se fera à l’approche du Jour Dernier et sera l’un des signes majeurs de son approche :
    « [Jésus] sera un signe de [l’arrivée imminente de] l’Heure. N’ayez donc aucun doute au sujet [de l’Heure] et suivez-Moi. » (Coran 43:61)
    Par contre, selon les hadiths, Mohamed a annoncé qu’à la fin des Temps, avant cette Resurrection, Dieu enverrait une épreuve décisive : l’apparition de l’Antéchrist (en arabe le Dajjal qui signifie « charlatan, trompeur ») - qu’on ne trouve mentionné nulle part dans le Coran mais uniquement dans les hadith. Ce Dajjal est un homme qui règnera sur terre et, pendant son règne, tous ceux qui ne croiront pas en lui seront dans d’énormes difficultés matérielles. Mohammed a annoncé qu’ensuite Dieu ferait retourner Jésus fils de Marie (en arabe : « al-Massîh Issâ ibn Maryam », « massîh » étant la forme arabe de « messie ») pour la confrontation avec le Dajjal. La présence du Dajjal sera de quarante jours : mais les trois premiers jours auront une durée anormalement longue, Ce Dajjal se déplacera à une vitesse extraordinaire et il ne restera aucune cité de la terre où il n’entrera, exception faite des villes de la Mecque et de Médine . Certains Hadîths disent aussi qu’il ne pourra pas entrer dans l’esplanade des mosquées à Jerusalem. Mais, toujours selon les hadiths, un jeune musulman démasquera le Dajjal, ce jeune musulman sera le Mehdi et organisera une résistance militaire aux armées du Dajjal, sans grand succes. Le Mehdi et son armée seront assiégés par les armées du Dajjal quand le Messie, Jésus fils de Marie, arrivera auprès d’eux ; au moment où le Dajjal verra Jésus, il perdra toute consistance (littéralement : « il fondra ») ; puis il s’enfuira . Jésus le poursuivra, le rattrapera près de la porte de Lod, où il mettra fin à sa vie. 
    Puis Dieu révélera à Jésus que Gog et Magog sont sur le point de déferler sur la terre, et lui ordonnera d’emmener avec lui les croyants se réfugier sur le Sinaï. 
    - La sourate les prophètes, (sourate 21) versets 95-96-97 les évoque :
    « Il est défendu [aux habitants] d’une cité que Nous avons fait périr de revenir [à la vie d’ici-bas] ! Jusqu’à ce que soient relâchés Yajouj et Majouj (Gog et Magog) et qu’ils se précipiteront de chaque hauteur..

    Puis Jésus priera Dieu de détruire ces forces du mal, prière que Dieu exaucera. Alors s’ouvrira une ère où la paix regnera sur terre durant 7 ans (ou 40 selon l’interprétation des hadiths et de l’age de la mort finale du Christ). Durant cette période, Jesus rassemblera tous les hommes sous la même foi, car Dieu lui aura, entre temps, enseigné le Coran. Donc selon l’eschatologie musulmane, Jesus reviendra completer sa mission de messager sur terre, 
    Apres la mort de Jesus, tous les musulmans de la terre- donc tous ceux qui auront cru en Jésus- seront saisis par une brise et « soufflés » dans l’au-delà. Ceux qui demeureront sur terre seront les mécréants, et ils seront les seuls à être témoins de la fin de ce monde, de la fin des Temps.

    Autrement dit, même si selon le hadith, « Vous » combattrez les juifs –reste à savoir qui est inclus dans ce « vous »- ce combat se situe chronologiquement avant le Jugement Dernier, mais après la venue de l’Antéchrist, après l’apparition du Mehdi, et après le retour de Jésus sur terre…
    Vous comprenez pourquoi je vous disais que ce hadith ne servait pas la cause du Hamas ? Il faudrait donc que les palestiniens se croisent les bras en attendant le Messie…


    Donc non seulement cette prophétie ne concerne absolument pas les musulmans et juifs de l’Histoire, mais je me demande bien pourquoi ce Hamas n’engage pas de meilleur « chargés de comm » qui appelleraient à autre chose qu’à l’inaction…
    Soit dit en passant, je ne soutiens pas du tout le Hamas, mais je ne transforme pas les victimes en bourreaux pour autant. 

    Salam !


  • Najat Jellab Najat Jellab 28 avril 2012 20:25

    Mais je ne saurais trop insister sur l’importance de l’instruction et surtout sur le fait de donner envie aux jeunes gens d’aller lire, de chercher les bonnes informations et pas seulement de se contenter de la violence et de la confrontation des ego ! Il faut donc commencer par un vrai « pacte de non agression » et ce pacte, il n’y a que l’Etat qui puisse veiller a son respect au lieu de le nourrir par des débats politicards qui font reculer tout le monde. 


    • Christian Labrune Christian Labrune 29 avril 2012 10:27

      Au moment d’envoyer celui-ci, je vois un autre message de vous. Je ne l’ai pas encore lu et c’est donc au précédent que je réponds ici. Ma réponse au suivant viendra un peu plus tard.

      @Najat

      Vous continuez à me citer des versets du Coran, mais je trouve quand même que, du point de vue de l’Islam, vous mériteriez de ne jamais fréquenter les jardins fleuris où coulent bien des ruisseaux, parce qu’enfin, je ne vois pas qu’il puisse y avoir dans l’Islam – et pas plus que dans les autres religions – le moindre espace pour une liberté. Si c’est Allah qui décide de tout, c’est lui qui a voulu que certains soient musulmans de naissance et d’autres tout à fait infidèles et promis aux pires supplices, ce qui ne procède tout de même pas d’un grand souci de justice ! La seule liberté qui leur reste, c’est d’avoir suffisamment la trouille, une fois avertis de ce qui les attend, pour se convertir à la religion d’Allah. Je dis bien : la trouille. L’islam est soumission, et tous les hommes naissent en principe soumis à Dieu, mais pas moi : dès que j’ai pu commencer à penser, la pensée s’est confondue pour moi – et pour bien d’autres ! -, que vous le vouliez ou non, avec l’insoumission et l’autonomie du jugement. Et c’est par là qu’on voit à quel point les monothéismes sont désormais condamnés à mort : ils ne peuvent perdurer que parmi des populations crédules qui marchent au bâton et à la carotte : si tu fais ce qu’on te demande, à toi les jardins bien arrosés, sinon il t’en cuira éternellement. Ton intérêt est donc de croire et de filer doux. Mais à partir du moment où s’affine une réflexion sur la philosophie et la morale, les choses commencent à devenir plus problématiques. La question de l’intérêt, en particulier, fait problème. Si je vous parlais du soufisme, c’est parce qu’il répond -du moins, me semble-t-il – à un questionnement à peu près comparable à celui des grands mystiques chrétiens du XVIe : la religion de Thérèse d’Avila, celle de Saint-Jean de la Croix, par exemple, en prise avec une morale aristocratique qui s’est considérablement affinée, s’efforce de transcender cette question tout à fait basse et vulgaire de l’intérêt que les protestants aussi ont essayé de contourner avec la notion augustinienne de prédestination. Ce qui est très surprenant par exemple dans l’argument du pari pascalien un siècle plus tard, c’est la distance qui sépare le pauvre Blaise de la morale d’un La Rochefoucauld pourtant son contemporain : d’un seul coup, on en revient à des préoccupations de boutiquier : vous avez intérêt à parier que Dieu est. Sans doute, mais la morale du libertin n’a que faire de l’intérêt à long terme et de l’investissement qu’il présuppose. D’un côté, donc, une morale aristocratique qui voit la générosité dans la dépense ; de l’autre côté, une morale de notaire bourgeois, celle de Pascal, préoccupée d’économie et de rendement des placements religieux.

      Le Dieu des monothéismes, et particulièrement celui de l’ancien testament, pour quiconque raisonne, est un monstre abominable. Il n’est pas encore le Deus absconditus incompréhensible et caché de la théologie augustinienne : il est encore humain et très humain, il parle, s’agite et se met en colère ; bref, se comporte avec la bestialité des hommes de son temps. On le voit très bien avec cette histoire tout à fait irrécupérable du sacrifice d’Abraham. Elle est irrécupérable, et pourtant elle est récupérée dans toutes les religions du Livre. Elle est irrécupérable par ce que le bonhomme tout-puissant qui commande à ce pauvre bougre d’égorger son fils se comporte comme un tyran sanguinaire qui veut régner par la trouille et y réussit très bien. Abraham a tellement peur des conséquences ou bien est tellement bluffé par son « amour » de Dieu (cela revient au même) qu’il n’hésite pas à lever le couteau. Vous trouverez évidemment des crétins qui essaieront de récupérer l’irrécupérable. J’ai entendu la prédication d’un pasteur protestant, il y a quelques années, qui essayait de justifier ça. Des psychanalystes diront par des raisonnement tout à fait biscornus et spécieux que cela marque symboliquement la fin de la notion de sacrifice, puisque le sacrifice n’a pas lieu, etc. Ils refusent de voir ce qu’il y a de proprement monstrueux et de tétanisant pour l’esprit (ils sont eux-mêmes encore tétanisés) par cette histoire horrible qui est la mère de tous les fanatismes.

      Vous pouvez bien imaginer que si Dieu m’apparaissait pour me commander d’aller égorger non pas un proche que je connaîtrais à défaut d’un fils que je n’ai pas, mais Najat Jellab que je n’ai même jamais vue, qui de surcroît est musulmane, de l’autre côté de l’Atlantique, je lui dirais immédiatement d’aller se faire f... ! Et je suis aussi bien persuadé que, même si vous vous réclamez de la soumission islamique, vous ne vous comporteriez pas autrement si c’était à vous qu’Allah s’adressait. C’est ce qui nous distingue radicalement des fanatiques d’Al Qaida et des Tariq Ramadan. Avant les prescriptions des religions antiques, nous faisons passer une morale construite par la pensée philosophique, laquelle est quand même un peu plus subtile que celle de la Bible ou du Coran. La conclusion que j’en tire, c’est que notre rapport à la religion est purement folklorique. Etant né dans le Berry, la province de France la plus archaïque, celle des sorciers, cela me fait toujours quelque chose d’entendre des joueurs de vièle avec leurs gros sabots. Et de même, ayant passé des heures dans les églises à subir des leçons de catéchisme, j’aime infiniment le silence et la lumière des édifices religieux, je ne me sens pas étranger aux préoccupations des grands mystiques, à l’histoire de l’Eglise et des conciles, aux conflits entre les religions ; j’ai passé ma vie à écouter la musique de Bach qui est extrêmement marquée par la mystique chrétienne, mais cela n’intervient absolument pas dans ma compréhension de la réalité des choses. Je comprends très bien, lorsqu’un athée made in christianisme accuse assez radicalement l’islam, que vous teniez à le défendre, mais je ne pense pas qu’il soit plus défendable que les autres monothéismes. Je vais même finir cette page par une prophétie : il y a des agonies lentes, comme celle du christianisme, et d’autres difficiles, comme celle de l’islam. L’agonisant se redresse et se met à hurler en s’agitant ; et puis, d’un seul coup, ils s’aplatit et tombe dans la rigidité cadavérique. Le XXIe siècle sera peut-être religieux, comme l’avait prédit Malraux, mais je puis vous assurer avec une tranquille certitude que le XXIIe sera complètement débarrassé du monothéisme.

      PS- Je tape très vite, j’y vois mal ; par paresse, je ne me relis qu’une seule fois et c’est insuffisant pour éliminer toute les fautes. Je vous prie de m’en excuser.


    • Christian Labrune Christian Labrune 29 avril 2012 11:51

      @Najat
      Je veux bien que le hadith à la fin du septième article de la charte soit un faux, qu’il ne corresponde pas du tout à ce qu’une exégèse correcte imposerait, qu’il y soit question des Turcs et non des Juifs et que cela doive se passer non pas dans le monde actuel mais à la fin des temps. Je veux bien que les gens qui ont concocté cet article soient des faussaires, cela ne m’étonne pas vraiment, et que ce ne soit pas LE véritable islam. On peut bien dire aussi que les massacres des croisades que décrit Amin Maalouf ou l’extermination systématique des Indiens d’Amérique par les Espagnols, tout cela n’est pas très conforme aux enseignements des évangiles, que tout cela n’est pas très chrétien, mais c’est quand même en se servant du prétexte de la religion chrétienne ou de l’islam et en poursuivant des objectifs politiques que, dans tous les cas, on tue et on massacre.

      Ce qui me heurte, ce n’est pas une essence de l’islam qui n’existe pas et que je rendrais responsable de tant d’atrocités, mais ce qui m’est donné à voir d’un prétendu « islam » au quotidien. C’est comme si on spéculait sur les intentions : il est toujours possible que les intentions soient pures, mais quand elles produisent des catastrophes, on peut aisément faire l’économie des intentions, elles ne comptent guère au regard des faits. Que le Hamas et les prêcheurs fous d’Iran ou d’Arabie Saoudite inspirés par de mauvaises intentions qui n’aient rien à voir avec les intentions pures des « vrais » musulmans fassent circuler un faux islam comme on fait circuler une fausse monnaie, c’est bien possible, mais elle se donne quand même pour la vraie et dans les échanges au quotidien, nul n’y voit que du feu.

      Si j’étais un peu plus avancé dans la connaissance de l’Islam, ce que vous m’écrivez à propos de l’eschatologie selon Muhammad m’intéresserait au même titre que, par exemple, les débats sur le monophysisme au concile de Chalcédoine, c’est-à-dire d’un point de vue purement historique, mais il est inutile de vous dire qu’il m’est tout à fait indifférent de savoir si ce sont les catholiques ou les monophysites qui ont raison. Ce serait aussi vain que de discuter les thèses d’Aristote à propos du phlogistique. Et il ne me viendrait pas non plus à l’idée, à vrai dire, de me moquer d’une physique d’Aristote désormais complètement périmée : le pauvre bonhomme avait fait ce qu’il pouvait, à partir des très maigres connaissances dont il disposait.

      Et je ne pense pas non plus que vous puissiez croire quoi que ce soit touchant à la venue du Dajjal qui « se déplacera à une vitesse extraordinaire » ! Ce que je sais et ce que vous savez aussi bien que moi touchant à la fin de notre monde, c’est que dans quatre ou cinq milliards d’années la terre sera progressivement absorbée par le soleil si, avant cela, elle ne rencontre pas une grosse météorite ou si un sursaut gamma du côté des trous noirs qui sont au centre de la galaxie ne nous fait pas crever quasi instantanément. L’eschalogogie musulmane vaut bien l’eschatologie chrétienne et tout cela, désormais, ce sont des contes à dormir debout aussi périmés que la science primitive d’Aristote. Les contemporains de Paul de Tarse croyaient que la parousie était pour bientôt ; la plupart pensaient et craignaient en être témoins. Personne ne l’attend plus, Dieu merci, même parmi les chrétiens. Si par conséquent le vrai et authentique musulman croit dur comme fer au retour de Dieu sur terre pour un jugement dernier qui séparera les bons des méchants, je me dis que l’antique et « vrai » islam, qui se contente de répéter des vieilles prophéties, est peut-être moins criminel qu’un faux qui appelle au meurtre mais je range tout de même sa croyance dans le tiroir des vieilles histoires antiques qui ont fait leur temps.

      En tout cas, si l’instruction dont vous me parlez à la fin consistait, entre autres choses, à informer les jeunes de ce que sont les « vraies » religions par opposition aux « fausses » que les politiques s’appliquent complaisamment à entretenir pour susciter les divisions, je ne serais pas trop d’accord parce que je ne vois aucune distinction pertinente entre les vraies et les fausses. Le clivage, pour moi, du point de vue de la culture, se fait plutôt entre le scepticisme hérité de la pensée rationaliste et le système des croyances hérité du Livre. Et sI on applique le scepticisme au fait religieux, il ne reste plus grand chose des religions.


  • Najat Jellab Najat Jellab 29 avril 2012 21:44
    @Christian. Tout d’abord, je vous rassure, en effet, je n’irais pas plus vous égorger que je ne m’égorgerais moi-même, et je crains que cette histoire d’apparition de Dieu, même au pire fanatique d’Al Qaida, n’ait déjà été réglée par Mohamed quand il a déclaré que Dieu n’enverrait plus de messager après lui et qu’il n’apparaîtrait pas avant le retour de Jésus… 
    Je ne dis pas non plus que je crois à l’Antéchrist ni aux prophéties diverses, mais que s’il faut prendre cet exemple pour montrer que la seule connaissance objective des textes permet de dénoncer leur falsification, exploitation, et par la même occasion le caractère infondé des accusations qui portent sur l’islam, je n’hésite pas à le prendre et à le traiter comme la dogmatique invite à le faire, sinon mes arguments se situeraient sur un plan non recevable pour celui qui y adhère. 
    Si par exemple dans l’un de vos messages vous me disiez que vous éprouviez haine mépris ou méfiance vis-à-vis des gens qui pratiquent le tennis parce que ce sport causerait tant de blessures qu’il déformerait le corps, je serais bien obligée, de la même façon, de prendre une raquette et de taper dans la balle pour vous montrer que jouer au tennis n’est pas ce que vous décrivez, mais que les blessures résultent d‘une méconnaissance technique du jeu. Cela ne prouverait pas pour autant que le tennis serait mon sport préféré ni le seul qui permettrait une meilleure santé du corps. 

    Je ne suis pas une missionnaire de l’islam, mais je le défends fermement quand je perçois des provocations injustifiées. Et puisque justement, il pose problème dans la sphère politique, il faut bien que la philosophie vienne au service de la politique et aucun philosophe ne convaincra un religieux s’il ne lui parle la langue qu’il connaît, s’il ne situe sur un terrain commun. 
    Vous semblez, comme il est d’usage de le faire, opposer la religion à la philosophie puisque, comme on le dit couramment, la première a pour objet la Révélation et la seconde la Raison. Très bien, vu ainsi, tout est simple, et on ne voit pas pourquoi ni comment dans la sphère politique nous rencontrons tant de problèmes puisque les deux s’occupent de domaines si disjoints. Mais, s’il y a conflit, c’est qu’il doit y avoir un ou des domaines communs. 

    Il y a deux façons pour la philosophie d’appréhender le religieux : la première consiste à ne pas s’en occuper, feindre d’ignorer son existence par méfiance, c’est qu’on peut appeler la laïcité de statu quo, et qui comme vous l’avez aussi remarqué a permis le vivre ensemble mais semble traverser de fortes turbulences , et la deuxième consiste à déclarer les éléments qui composent la religion comme inacceptables, c’est ce qu’on peut appeler la laïcité de force et les deux appréhensions me paraissent incompatibles dans la mesure où il est nécessaire à la laïcité de force de s’occuper du religieux si elle veut le déclarer inacceptable. Inversement, si la laicite de statu quo ne s’occupait pas du religieux il lui serait impossible de le déclarer inacceptable. Ces deux appréhensions sont réciproques : le religieux peut ne pas s’occuper de philosophie ou bien la déclarer inacceptable. Par exemple en taxant les philosophes d’atheisme... Ceci vaut si l’on se situe du point de vue intérieur à chaque sphère. Mais d’un point de vue extérieur à la philosophie et à la religion, il peut être possible d’établir qu’une partie seulement de la sphère philosophique est incompatible avec la religion et une partie seulement de la religion peut être incompatible avec la philosophie. Mais si l’on reste d’un point de vue seulement intérieur a chaque mode de pensée, on est contraint à la réciprocité des perspectives. Si toutefois l’une veut être capable de juger l’autre, il doit être possible de construire un sol commun, et où la question de l’acceptable et de l’inacceptable devient enfin décidable. 
    Etablir une ligne de démarcation entre les deux serait à mon avis une erreur, les deux disciplines se rencontrent constamment, s’entrecoupent, se contredisent, ou feignent de s’ignorer mais il faut, pour le bien commun, identifier leur interférences et j’en vois au moins trois : 

    - la philosophie, ou la raison, ne peut ni anéantir ni donner naissance à une religion. Toutefois, il arrive que la philosophie, par sa critique et les crises qui en résultent, prépare le terrain pour une nouvelle expérience ou pour une transformation des représentations religieuses. Ainsi la philosophie de l’Antiquité tardive a ouvert la voie à l’évangile. 

    - La valeur d’une religion se mesure non pas à partir d’une norme absolue, intemporelle et universelle, mais dans le cadre de son environnement culturel. Une religion capable d’organiser son univers de pensée en fonction de l’image du monde qui est, capable d’accommodation (pour reprendre un terme de Calvin), continue de s’imposer. 
     Ainsi, le protestantisme a tiré sa force de ce qu’il a su s’adapter ou même fonder l’éthique du capitalisme comme l’a si bien montre Max Weber. . 

    - La religion comporte une exigence pour la philosophie : les expériences religieuses font partie des contenus de réalité que la philosophie doit penser. Il lui faut les prendre en compte au même titre que les données scientifiques, s’interroger sur leur statut et leur signification, et non les nier ou les dissoudre. Une pensée incapable de leur faire place- et droit- présente des carences graves d’un point de vue strictement philosophique.
    Pour ces raisons vous avez tort de considérer que le vrai clivage se situe entre le scepticisme rationnel et le dogmatisme religieux : je ne vois pas de clivage sauf à vouloir pour l’un la démission de l’autre ; ce qui est impossible. 
    Je reçois également votre prophétie concernant un XXIIe siècle débarrassé du monothéisme avec beaucoup de circonspection car mieux que le capitalisme, le monothéisme a toujours trouvé en lui les moyens de se régénérer, non pas par la trouille que l’homme a de Dieu, mais parce qu’une société ne peut pas rester longtemps dans un climat de vacuité culturelle et spirituelle, ainsi va le mouvement du balancier. 
    A titre personnel, j’ai mes moments plus que libertaires et impertinents, bien entendu.




    • Christian Labrune Christian Labrune 30 avril 2012 11:35

      Najat,

      Vous n’hésitez pas à renvoyer aux textes « comme la dogmatique invite à le faire », je l’avais bien remarqué (!), mais le problème, c’est que cela ne permet pas de trouver un terrain pour la communication qui permette d’aboutir à des vérités communes, fussent-elles provisoires. Si jétais chrétien, je vous assènerais aussi comme des vérités intangibles des phrases de la doxa chrétienne et nous n’aurions plus, au terme de la discussion, qu’à nous casser la figure. Mais je ne pense pas qu’il y ait UNE Vérité cachée à mettre à nu, il y a seulement DES erreurs tout à fait manifestes à détruire, le vrai n’étant que ce qui, provisoirement, résiste encore à la raison critique. Etant athée, c’est-à-dire refusant de rien croire sans démonstration, je me place sur le terrain de la raison commune où la question des « autorités », au sens médiéval du terme, est tout à fait exclue. Si vous mettez ensemble des gens ordinaires de différentes religions, ils finiront par s’entretuer en s’assommant à coups d’autorités contradictoires, ou par se tourner le dos, mais si ce sont des mathématiciens, qu’ils soient chinois, arabes ou américains, non seulement ils se tolèreront très bien tout en se critiquant, mais ils parviendront à s’entendre à la perfection sur les énoncés théoriques dont ils auront débattu après une chasse impitoyable aux communes erreurs de raisonnement, lesquelles seront reconnues par chacun sans difficulté. Je parle ici des mathématiques, mais c’est qu’elles ont toujours été un modèle pour la pensée philosophique : « nul n’entre ici s’il n’est géomètre » !

      Votre exemple du tennis est habile mais ne me convainc pas. Les blessures, au tennis, sont des accidents : l’objectif du jeu n’est jamais d’obtenir des déchirures ligamentaires ! En revanche, l’objectif, dans un cas comme celui du sacrifice d’Abraham, puisque c’est de cela que nous parlions, ce n’est pas de délasser le croyant par un jeu d’adresse, c’est d’obtenir sa soumission inconditionnelle à Dieu, laquelle passe non pas seulement par la nécessité d’infliger à l’autre des blessures, mais même de faire fi de tous les sentiments d’humanité et de le tuer si Dieu l’exige. Les guerres de religion qui en ont été la principale conséquence n’étaient tout de même pas des parties de plaisir ! Et puis, les religions, du point de vue des religieux eux-mêmes, ne sont pas des instruments dont il faudrait définir par un mode d’emploi le bon usage. Elles n’ont pas une fonction utilitaire, elles sont une fin en soi, la fin des fins, ce que n’a jamais été le jeu du tennis.

      Vous opposez deux formes de laïcités  : « de statu quo » et « de force », la première ne s’occupant pas du fait religieux, la seconde prétendant le contrôler, mais c’est une alternative quand même un peu théorique, et qui ne prend guère en compte la réalité des choses. Aussi longtemps que la religion reste du domaine de la vie privée, je ne vois pas pourquoi on s’en occuperait davantage que des fantaisies alimentaires ou sexuelles des citoyens. Cela ne devient préoccupant que si l’existence de ceux qui sont extérieurs à une croyance commencent à subir des impositions gênantes. Par exemple, lorsque des élèves de terminale ferment leurs cahiers et refusent de prendre des notes (cas banal dans les banlieues) lorsque le prof aborde la théorie de l’évolution ou, en philosophie, la logique de l’athéisme, comment voulez-vous que la question de la laïcité ne se pose pas ? Au reste, vous le reconnaissez vous-même à la fin du paragraphe : philosophie et religions se rencontrent constamment. Mais vous faites de la philosophe – et c’est constant dans ce que vous m’écrivez – une sorte de sphère tout à fait équivalente à celle de la religion, ce qui est évidemment abusif : la liberté de pensée philosophique n’est limitée par aucun interdit, pas même par le principe de non-contradiction, et si demain un philosophe proposait une philosophie de l’incohérence comme on a pu concevoir une mathématique non-euclidienne un peu défrisante au début, cela serait plutôt fascinant. Mais en fait, cela existe déjà, et c’est la religion du « credo quia absurdum » d’Augustin, la « folie de la croix » paulinienne ou les incohérences du Coran relevées par Onfray aux pages 220 et suivantes (édition de poche) de son Traité d’athéologie. Ce sont les créationnistes américains ou les musulmans des banlieues qui refusent d’entendre parler de Darwin. La philosophie, elle, est sans préjugé : elle examine sans a priori les arguments des uns et des autres sans jamais refuser de les entendre.

      Vous me permettrez de remarquer que votre conception du rôle de la philosophie est un tantinet finaliste. Ce n’est pas « la philosophie de l’Antiquité tardive qui a ouvert la voie à l’évangile », c’est plutôt le christianisme qui a fait main basse, par l’intermédiaire de Porphyre (pourtant très hostile aux chrétiens) et de quelques autres, sur la métaphysique de l’UN de Plotin. Peut-être bien que Dieu a quelque peu manipulé Plotin pour qu’il fournisse le matériel théorique utile à l’élaboration du symbole de Nicée-Constantinople, mais le pauvre n’y était pour rien et aurait probablement refusé de s’y reconnaître. En tout cas j’aurais, comme vous pouvez bien l’imaginer, de sérieuses réserves à faire sur l’intervention dans cette affaire de la divine providence.

      De même, vous parlez de la « valeur » des religions ; on s’attend à ce que vous évoquiez les fins dernières, mais vous rabattez cela sur leur rôle social, que je ne songerais évidemment pas à contester, moi qui admire tant la civilisation des Abbassides. Le protestantisme a probablement été habile à créer aussi de la valeur, mais c’est au sens économique du terme – et de fait, vous évoquez la théorie de Weber – mais cette valeur-là n’a pas grand chose à voir avec l’axiologie et vous en conviendrez. Quelle jésuite vous faites, quelquefois, chère Najat !!!

      Vous m’écrivez enfin « vous avez tort de considérer que le vrai clivage se situe entre le scepticisme rationnel et le dogmatisme religieux : je ne vois pas de clivage sauf à vouloir pour l’un la démission de l’autre ; ce qui est impossible. » Le fait que vous ne le voyiez pas, ce clivage, n’empêche pas qu’il existe, et j’aurais plutôt tendance à penser que vous ne voulez pas le voir parce que vous tenez à maintenir en l’état les religions telles qu’elles sont et parce que vous voudriez qu’elles fussent reconnues par les philosophes eux-mêmes d’une dignité égale à celle de la philosophie. Mais c’est moi, cette fois, qui vous répondrai : c’est impossible. Quand des chrétiens me parlent du Jésus fabriqué tardivement par les évangiles et me racontent en long et en large ce qui lui est arrivé le jour où il entrait dans Jérusalem comme s’il s’agissait de faits avérés et historiques alors qu’on n’a même aucune preuve absolument certaine de l’existence du bonhomme et de sa crucifixion, comment voulez-vous que mon scepticisme ne se mette pas en branle ? Quand des musulmans me racontent que Muhammad a reçu ses révélations de l’ange Gabriel, valables jusqu’au jour du jugement alors que si on veut défendre le Coran et le rendre moins choquant, il faut nécessairement l’historiciser - ce que vous faites très bien !- comment voulez-vous que je ne me pose pas des questions ? Le puritanisme actuel me dégoûte un peu mais je me demande aussi comment il se fait que Dieu, si puritain dans toutes ses manifestations, ait pu consentir qu’un quinquagénaire consommât un mariage avec une gamine de neuf ans ! Bref, toutes ces belles histoires ne sont pas sans intérêt littéraire, mais la fiction n’est quand même pas la réalité et c’est ce que je pourrai dire encore pour expliciter plus clairement l’idée de ce « clivage ».

      Lorsque vous écrivez en réponse à ma « prophétie » (et si j’emploie un tel terme, c’est que je ne prends pas vraiment au sérieux !) que les sociétés ne peuvent pas rester indéfiniment dans « un climat de vacuité culturelle et spirituelle », c’est très méchant ! Ainsi donc, je serais, comme tous ceux de mon bord, une espèce de matérialiste sans âme, un « vrai pourceau d’Epicure », comme on aurait dit au XVIIe siècle, et donc moins qu’un homme. Mais il existe une spiritualité athée, qu’un Comte Sponville s’est attaché à définir. On peut très bien vivre sans la « sale espérance », pour parler comme Camus, d’une vie éternelle où on sera récompensé au centuple (toujours le rendement !) du bien qu’on aura fait. Si je donne de temps en temps un euro au mendiant (les religieux n’ont pas le monopole de la charité !) la différence c’est que je n’attends pas qu’un dieu m’en restitue à la fin une centaine et c’est donc tout à fait désintéressé. D’un point de vue strictement moral, cela ne me paraît pas vraiment le signe d’une infâmie.

      Je vous parlais dans un précédent mail d’une manifestation des Français musulmans contre l’islam radical. Elle a bien eu lieu, mais fort modeste s’il faut en juger par le seul article que j’aie pu trouver sur internet, d’un journal que je n’apprécie guère et vers lequel pointe l’adresse que je recopie ci-dessous.La croix
      http://www.la-croix.com/Actualite/S-informer/France/Paris-une-centaine-de-musulmans-rassembles-contre-le-radicalisme-religieux-_NG_-2012-04-29-800664


  • Najat Jellab Najat Jellab 1er mai 2012 04:32

    Christian, je viens de lire vos remarques. Par manque de temps je ne peux vous répondre ce soir mais demain ce sera chose faite !


  • Najat Jellab Najat Jellab 1er mai 2012 04:34

    Christian, j’ai bien lu vos remarques ! Par manque de temps, je ne peux vous repondre ce soir, mais demain, ce sera chose faite !


  • Najat Jellab Najat Jellab 1er mai 2012 19:53
    Christian. 

    Puisque vous commencez par l’exemple des mathématiques comme modèle de terrain d’entente, il faut admettre avec Pascal, dans De l’esprit géométrique, que la dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent et elle n’est que faible si elle ne va jusqu’à connaître cela. Même au sein de la géométrie, ordre de démonstration rationnel le plus parfait possible pour la raison humaine, la raison est contrainte de reconnaître ses limites : le discours déductif de la raison est fondé sur l’intuition de vérités premières que sont les principes indémontrables de certaines réalités (l’espace, le temps, les nombres etc…). Ces principes ne résultent pas d’un discours déductif de la raison mais de l’intuition du cœur ( faculté qui chez Pascal dépasse la raison) être rationnel suppose donc d’admettre l’irrationnel. Je dirais même que plutôt que d’opposer le rationnel à l’irrationnel, si nous acceptons cette vue plus nuancée des catégories, cela nous permet d’introduire l’idée d’un passage d’un niveau à l’autre de la connaissance, mais que pour accéder au second, il faut poser le premier. 
    Vous voyez en quoi pour le pauvre petit Blaise –au demeurant mathématicien- dont vous railliez précédemment les préoccupations de boutiquier, le pari est beaucoup conséquent et rationnel, je dirais aussi raisonnable, qu’un placement aux taux d’intérêts douteux, et qui ne viendront peut-être jamais. L’irrationnel est un appel vers la rationalité. 
    J’ajoute que depuis, la découverte des géométries non euclidiennes est venue briser complètement la liaison qu’on avait jusque là entre la géométrie et l’espace : que deux droites parallèles puissent avoir un ou plusieurs points d’intersection me parait tout aussi « irrationnel » et indémontrable –si je me fie au seul bon sens- que de croire en l’homme invisible… Pourtant la géométrie non euclidienne est aujourd’hui celle qu’on peut appeler la géométrie pure, qui a relégué l’ancienne à une branche de la physique. 
    Si nous faisons des mathématiques, comme effectivement Platon invitait à le faire, les prolégomènes à la philosophie, vous conviendrez donc que dans ces notions préliminaires se trouvent des notions irrationnelles. Pour autant, la raison ne les rejette pas mais s’en sert même pour fonder une science. 
    Il n’y a d’ailleurs qu’à constater l’usage que fait Platon des mythes et des allégories comme permettant d’accéder à la Vérité. Rappelez vous par exemple le mythe d’Er dans la République, ce soldat qui, mort sur le champ de bataille, observe ce qu’il advient aux âmes après la mort, lesquelles sont récompensées ou punies pour s’être conformées ou non à la sagesse. 
    Ce mythe, si je me contente de le prendre à la lettre, il me parait aussi douteux que n’importe quel best seller américain sur de prétendues near death experiences visant à prouver l’existence d’une vie après la mort… Et il faudrait alors purger les dialogues de Platon de toutes leurs lignes « irrationnelles » car non « philosophiques ». Mais vous savez comme moi que les mythes visent à combler les apories, et qu’admettre cet irrationnel (mais irrationnel qui obéit à une logique tout à fait rationnelle qui lui est interne) permet aussi d’initier un mouvement vers le vrai. En attendant, la sagesse consiste à savoir que je ne sais pas. 
    En ce sens je considère la philosophie non pas comme équivalente à la religion – ce qui constituerait un crime contre l’humanité– mais je considère qu’il y a un terrain commun à la philosophie et à la religion c’est précisément que tout ce que je sais c’est que je ne sais pas, sauf que la première sous entend ou espère qu’un jour je saurai par la raison, la seconde sous entend Dieu est et sera toujours « invisible ». De cela je tire que la religion peut être une hypothèse de la raison ; ce que je vais tenter de formuler le plus clairement possible : que l’irrationnel soit la forme philosophique de la religion et que la philosophie intègre en elle le problème et rationalise l’irrationnel. Vous voyez que j’ai pour la philosophie une ambition sans borne …
    Par exemple, le hasard est une manifestation de l’irrationalité dans la nature, dans la mesure où la nature obéit à des lois déterminées, compréhensibles par la raison. 
    Mais cela ne veut pas dire pour autant qu’admettre le hasard, ce soit nier l’ordre de la nature. Il n’implique pas la négation du déterminisme, il est une hypothèse irrationnelle mais bien réelle de la nature. Sans doute que la connaissance « rationnelle de l’irrationnel « pose une double question, celle des limites de la raison, un peu à la manière de Kant avec sa fameuse question : » Que puis-je savoir ? "(et sa réponse a été que nous n’avons accès qu’aux objets de l’expérience possible, ce qui n’est pas le cas des objets métaphysiques) et celle de savoir si en reconnaissant les difficultés d’un tel exercice de la raison on travaille pour ou contre la raison, c’est-à-dire si d’un point de vue pratique, en reconnaissant les limites et l’impuissance de la raison, on « donne le bâton pour se faire battre ». Mais du point de vue strictement de la raison philosophique –et non politique- savoir que l’on ne sait pas, c’est toujours savoir quelque chose, ce qui est préférable à ne pas savoir.
    Je vous accorde tout au plus la difficulté que j’ai à exclure la théologie de la philosophie dans la mesure où elle est un champ des possibles donc un champ de la philosophie au même titre que l’épistémologie. Mais de la même façon qu’il ne me viendrait pas à l’idée de déclarer la géométrie non euclidienne nulle et non avenue uniquement parce que je n’ai jamais vu deux droites parallèles se croiser, je ne peux pas non plus réfuter la théologie par l’argument qui consiste à trouver l’hypothèse de Dieu non recevable. Je dois, pour penser la théologie, en admettre les axiomes. 
    Quand je vous citais l’exemple du tennis, je voulais illustrer au moins deux points : 
    -je ne pourrais jamais rien dire du tennis si je ne fais pas l’effort d’y jouer.
    - Pour y jouer, je me dois d’en accepter les règles qui sont pourtant arbitraires et dont les interdits vont contre tout bon sens : par exemple, il me parait insensé de me demander de faire en sorte que mes balles de service tombent dans le carré délimité à cet effet quand ma force et ma vitesse de frappe peuvent envoyer la balle bien au-delà ; d’autant que cette règle ne sert pas mes intérêts puisqu’elle rend mon jeu tout à fait prévisible, ce qui nie mon libre-arbitre…

    Pourtant, c’est uniquement au prix d’efforts equivalents de la raison qu’il devient impossible de faire dire au Coran qu’il invite au meurtre des juifs par exemple. 
    A propos, j’ai repensé à cette fameuse charte du Hamas, pour dire que ses rédacteurs se sont probablement vus bien obligés de falsifier un hadith à défaut d’avoir pu trouver quoique ce soit dans le Coran invitant à combattre les Juifs, sinon, croyez bien qu’ils l’aurait cité en priorité.


    Que ma conception du rôle de la philosophie soit finaliste, ceci tient sans doute à l’inclinaison naturelle qu’a mon esprit à penser le monde à travers le prisme idealiste hegelien, « l’œil du concept ». Par conséquent, je ne dirais pas que Dieu ait quelque peu manipulé Plotin pour qu’il fournisse le matériel théorique utile à l’élaboration du symbole de Nicée-Constantinople, mais que ce symbole n’est pas le fruit du hasard ni de l’imprévu (ce qui serait irrationnel). Le réel étant rationnel (et n’oublions pas que le réel c’est l’Esprit) donc intelligible, je dirais, si je devais schématiser, que Plotin serait l’absolu, la pensée pure et metaphysique de l’Un, lequel devient ensuite existence extérieure à la pure pensée, dissolution de la pensée dans le temps et dans l’espace à travers le symbole de Nicee-Constantinople par exemple. En troisième lieu, l’absolu retourne de son existence extérieure, de son aliénation de lui-même vers lui-même ; dans ce retour, il devient la pensée qui se connaît elle-même, qui existe en soi pour soi et le rôle de la philosophie consiste à rendre ce mouvement intelligible et peut-être , je l’espère, à y contribuer. 

    Je vois que vous répétez constamment cette idée de « rendement » comme si la religion était un commerce ou une spéculation avec Dieu ! Il faut alors vous empresser de me montrer la direction du God Trade Center, parce que j’ai quelques actions encombrantes dont je me débarrasserais volontiers, et je suis sûre que mon courtier se ferait un plaisir de renflouer ses propres comptes. D’autant que si l’on considère qu’un jour de jeûne suffit à Dieu pour pardonner deux ans de péchés, ma foi, c’est plutôt rentable. Oui, j’imagine assez bien ce jeu où il suffit d’être bon calculateur pour gagner sa place au paradis, Par exemple, si on se fait tuer sur le terrain de jeu du jihad, on est martyre, et on va direct au paradis sans passer par la case départ ni toucher 20000. N’est-ce pas génial ? Ou encore si on a refusé, dans sa vie, les avances charnelles d’une femme, on double la mise : paradis multiplié par 2, jackpot ! Bon sang, il faut que je range mon Monopoly dans l’étagère de la Bible et du Coran parce que jusque là il m’avait manqué un exemple concret pour illustrer toutes ces métaphysiques bien obscures. 
    Vous voyez bien que cela devient ridicule ! Si on accomplit un acte de foi, c’est justement en fonction de cette foi uniquement. La seule intention qui doit habiter le croyant, c’est d’appliquer ce qu’il croit faire partie de sa nature de créature de dieu et ce qu’il croit conforme et apte à le mener à la perfection de l’ordre divin. Autrement dit, la seule foi confirmée est celle qui agit en soi pour soi. 
    Faire le ramadan parce que cela rapporte des bons points est la meilleure manière pour rendre ce mois de jeûne complètement vide de sens, et donc nul même pour Dieu, car je crois savoir que, selon les textes, Dieu est suffisamment parfait et omniscient pour savoir qu’on se joue de lui… 
    Vous allez me dire que les faits nous font bien penser le contraire. Encore une fois, c’est bien le problème ! Quand on dit qu’un prétendu musulman se fait sauter sous prétexte que 70 vierges l’accueilleront les bras ouverts, - le ferait-il alors pour une seule ou deux de ces vierges ? Peut-être qu’il n’en exige même pas 70 au fond… ? - on justifie le terrorisme par des élucubrations qui montrent bien que l’on a une conception bien infantile des textes. Vous me direz encore que les musulmans connaissent bien les chiffres quand par exemple ils prient la nuit du Destin parce que la prière vaut alors « mille fois plus ». Mais c’est une façon de parler comme on parlerait à un enfant en lui disant que s’il est « sage » on le récompensera d’un bon dessert. On ne le récompense pas pour qu’il nous obéisse aveuglement, on le fait en attendant qu’il atteigne une maturité suffisante pour que cette injonction n’ait plus besoin de s’imposer à lui par une volonté extérieure, et on espère aussi que cette intériorisation de l’injonction lui permettra une vie meilleure pour lui et pour les autres. 

    Ce commerce dont vous parlez est celui d’une foi totalement immature, comme elle est immature, elle ne peut pas avoir la prétention d’être vraie ni juste, ni libre en effet. 
    Mais je vous répondrais qu’on ne jeune pas pour gagner ses points, ni parce que c’est un pilier indiscutable, on jeûne pour apprendre par le corps, la patience mais aussi la privation. Non par pur mazochsime ni goût malsain de l’ascétisme, mais pour vivre dans sa chair ce que peut ressentir quelqu’un qui a faim, (et prendre conscience de la valeur de ses biens pour en éviter le gaspillage). 
    De cette façon, pour reprendre votre exemple du mendiant, non seulement je lui donne un euro mais je milite politiquement pour ses intérêts et je n’hésite pas à me mêler corps et âme de ce qui a priori ne me regarde pas et par des actes qui pourraient même aller à l’encontre des intérêts de ma petite personne. 
    Ce qui s’appelle la sympathie, mais qui comporte une concrétisation me semble-t-il plus opératoire et plus risquée que celle qui consiste à compatir de loin. 

    Quand je parlais donc de vacuité culturelle et spirituelle, je ne parlais pas du « matérialisme » que vous citez, je n’attends pas plus que vous que Dieu me récompense car non seulement mon action est désintéressée mais elle prend une ampleur beaucoup plus vaste. 
    En ce qui concerne Compte Sponville et autre Luc Ferry qui tentent désespéramment de nous définir une « spiritualité athée » pour le premier ou une « transcendance dans l’immanence » pour le second, bien que je sois la première à manifester un goût certain pour l’oxymore- surtout quand elle est suffisamment féconde pour produire un nouvel ordre- ne voyez-vous pas qu’il se donnent bien du mal pour pas grand chose ? 
    Etant moi-même très intéressée par les travaux de Husserl sur l’intentionnalité, voyons ce qu’il en est. Loin des concepts de transcendance métaphysique de la pensée grecque (cosmos) ou transcendance divine issue des religions monothéistes, Husserl défend l’idée que tout visible se donne toujours sur un fond d’invisible, que toute présence suppose une absence, toute immanence une transcendance cachée. En d’autres termes, « toute conscience est conscience de quelque chose ». La transcendance est donc un fait, un constat, une dimension incontestable de l’existence humaine inscrite au cœur même du réel. Mais il s’agit là d’une transcendance non métaphysique. Joli tour de passe-passe phénoménologique ! Or justement, ce « quelque chose » n’est pas « quelqu’un ». Dieu n’est pas « quelqu’un » mais précisément « quelque chose ». Comte Sponville lui-même fait état de ses propres expériences mystiques où il a rencontré ce « quelque chose ». Alors appelez-le « quelque chose », si le mot Dieu vous fait trop peur. Pour ma part, je préfère appeler un chat un chat même si le concept de chat reste indéfinissable, invisible ou qu’il n’est plus à la mode et que pour être politiquement plus correct on préfère l’appeler « expérience de l’immanence transcendantale par laquelle je reçois un sentiment océanique mais qui n’est pas métaphysique »… Vous pouvez toujours essayer de noyer le poisson, sans mauvais jeu de mots… 


    Vous me dites détester le puritanisme,, je partage avec vous ce rejet. Mais s’il y a une religion que vous ne pouvez pas accuser de puritanisme, c’est bien l’islam ! Bien entendu, je ne vis sur une autre planète - et je vois bien que le corps est devenu très tabou dans les pays musulmans, mais encore une fois, cela ne tient pas a l’islam, mais à la connaissance tronquée qu’on en a. Mohammed était loin d’être puritain, il a d’ailleurs prononcé une phrase bien connue qui le résume bien : « j’ai aimé trois choses de votre monde, les femmes, le parfum et la prière » (dans cet ordre…). Vous voyez donc que la sensualité du corps précède la pratique religieuse. Je pourrais vous en dire bien davantage sur ce sujet mais vous m’accuseriez de prosélytisme cette fois…
    Que les salafistes aient réussi à imposer leur barbarie, je pourrais difficilement le contester, mais ce salafisme, ou plus exactement wahhabisme a été théorisé au XVIIIe siecle, soit 11 siècles après l’avènement de l’islam et en a une lecture insensée qui ne vise qu’à l’oppression politique des peuples ; oppression si bien orchestree qu’elle a rendu la servitude volontaire…


    • Najat Jellab Najat Jellab 2 mai 2012 04:48

      Pardon d’avoir féminisé l’oxymore, c’est mon coté militant populiste... 


    • Christian Labrune Christian Labrune 2 mai 2012 16:37

      Najat,

      La distinction de Pascal entre un esprit de finesse et un esprit de géométrie m’a toujours paru de l’ordre de ces choses auxquelles il conviendrait d’appliquer le principe du rasoir d’Ockham. C’est un concept inutile et factice. C’est depuis ce temps-là qu’on oppose, d’une manière tout à fait calamiteuse, les littéraires et les matheux. Je trouve que vous êtes bien imprudente de faire de Pascal un modèle de pensée philosophique après ce que j’en avais dit et qui reposait sur de solides préventions. Il est en effet raisonnable, dit en substance le bonhomme, pour la raison, de se « soumettre ». Et de se soumettre à quoi ? A la révélation. Cela, à mes yeux, le discrédite définitivement comme philosophe. Il est, comme Nietzsche, même s’il va pas du tout dans le même sens, un penseur malade qui veut penser pour se soigner. Il n’est pas non plus cet « l’effrayant génie » que Madame Perrier, s’est efforcée de faire apparaître dans la biographie qu’elle a écrite de son frère. Alexandre Koyré aurait même tendance à le considérer plutôt comme un bricoleur qui emprunte beaucoup à ses prédécesseurs sans inventer grand chose. Quand on regarde ses démonstrations mathématiques - sur la cycloïde, par exemple -, on voit qu’il est très en retard sur Descartes plus vieux pourtant, et largement, d’une génération. Il n’a pas du tout intégré la méthode analytique en géométrie ; il est astucieux, certes, mais il utilise un marteau-pilon pour écraser des mouches. Quant à sa description d’un monde infini qui semble faite pour donner le vertige au libertin, avec cet univers « dont le centre est partout et la circonférence nulle part », on ignore trop souvent que c’est une citation sans guillemets de Nicolas de Cues qui n’est même pas lui-même l’inventeur du concept. Bref, pour moi Pascal est un charlatan qui essaie de réconcilier autant qu’il peut, à la manière des sophistes, la religion avec la science, mais je suis bien loin d’avoir pour lui la même estime que j’aurais pour un Teilhard de Chardin animé par la même ambition, mais dont bien des intuitions me paraissent autrement heuristiques.

      Evidemment, on ne peut rien fonder. Nous le disions à propos de Nietzche et de la morale, on peut le dire aussi à propos des sciences et même des mathématiques, surtout depuis le théorème d’incomplétude de Gödel que je croyais que vous alliez m’asséner et qui vous eût été bien utile, d’autant plus que je ne serais pas vraiment en état d’en discuter, cela excède mes capacités. Je l’ai échappé belle !

      « être rationnel, m’écrivez-vous, suppose donc d’admettre l’irrationnel ». Je trouve que vous y allez quand même un peu vite et que ce que vous mettez sous le terme d’irrationnel est un peu flou ; les exemple que vous donnez pour étayer cela ne me convainquent pas.

      J’ai eu tout à fait tort dans mon précédent mail de parler d’une philosophie qui pourrait envisager sinon approuver qu’on abandonnât le principe de non-contradiction, et d’évoquer à ce propos les géométries non-euclidiennes qui parurent un peu suprenantes à leur apparition, comme plus tard, aussi, la théorie de la relativité, et vous auriez dû me critiquer sévèrement sur ce point au lieu de profiter, comme vous le faites, d’une naïveté que vous me supposez pour mieux m’enfoncer dans mon erreur ! Ces géométries n’ont en effet rien d’irrationnel à partir du moment où l’on suppose une courbure positive ou négative de l’espace. La somme des angles d’un triangle sur une sphère, par exemple, cesse d’être égale à deux droits. Cela se démontre, se calcule, cela n’a rien de mystérieux ni d’irrationnel. Il vaudrait mieux, dès lors, penser à la théorie quantique. Les physiciens disposent là de formalismes « qui marchent », mais tellement paradoxaux du point de vue du simple bon sens qu’ils avouent être incapables de les « comprendre ». Einstein en était terriblement irrité au début mais il a dû s’y faire. Cela implique-t-il que le monde soit irrationnel ? Je ne le pense pas. Simplement, la raison – pour l’instant, mais depuis le début  ! -, rencontre des difficultés, mais cela n’empêche pas les physiciens de chercher la théorie de grande unification qui permettrait de clarifier les choses. S’ils se rangeaient à la position de Pascal, ils auraient mille fois plus de raisons que lui (on en sait plus, le mystère s’épaissit) d’abandonner carrément la recherche et de dire avec le sophiste janséniste : « [l’homme] tremblera dans la vue de ces merveilles [de la nature] ; et je crois que sa curiosité se changeant en admiration, il sera plus disposé à les contempler en silence qu’à les rechercher avec présomption ». Bref, on arrête tout puisque la science est un chemin qui ne mène nulle part, et on se jette à plat ventre devant Dieu. L’exemple de Pascal nous fait voir que c’est ou la science/philosophie ou la religion, mais pas les deux à la fois : elles sont incompatibles et s’excluent réciproquement. Sur ce point, il a tout à fait raison, mais c’est le choix qu’il fait que je réprouve et je doute que vous puissiez parvenir indéfiniment à ménager longtemps la chèvre et le chou.

      Vous me dites plus bas que le hasard serait une « manifestation de l’irrationalité dans la nature ». Non, pas du tout : quand vous lancez une pièce de monnaie, ce n’est pas du tout par hasard qu’elle tombe d’un côté plutôt que de l’autre. Il est vrai que depuis une trentaine d’années, la physique du chaos s’est développée. On pensait encore dans les années 50 qu’on pourrait, en affinant les méthodes d’observation et de calcul, prévoir longtemps à l’avance l’évolution de la météo, par exemple. On en était resté à une conception laplacienne du déterminisme : connaissant les paramètres d’un système et son état à un moment t, on pourrait décrire son état à l’instant t+x ou t-x. On sait aujourd’hui que cela vaut pour les systèmes simples, mais pas pour les systèmes complexes sensibles aux conditions initiales. Par conséquent, il y a toute sorte de systèmes, dont ceux qui relèvent de la mécanique des fluides ou de la cosmologie, dont on sait aujourd’hui qu’on ne pourra jamais prédire exactement l’évolution parce qu’il faudrait, pour la modéliser des ordinateurs qui puissent faire un sort à chaque particule du système. Cela n’empêche évidemment pas le déterminisme de s’appliquer au niveau de ces éléments selon des règles qui sont, elles, parfaitement rationnelles.

      L’argument de l’intérêt est absolument central dans toutes les religions du Livre obsédées par la question d’un salut personnel et d’une vie éternelle in paradisum. C’est l’intérêt qui commande aux chrétiens comme aux musulmans de donner deux sous au mendiant, de s’abîmer les genoux en se traînant par terre, de s’abstenir de la fornication, de jeûner, etc. Bref, de s’empoisonner l’existence.

      Je ne dis pas qu’il n’y ait pas eu chez les gens instruits une tentative pour dépasser cela. Dans le quiétisme de Madame Guyon, par exemple, aussi bien que chez les grands mystiques, on essaie de faire passer l’amour de Dieu avant l’amour-propre, on tâche de s’anéantir dans l’extase et la contemplation, mais vous ne trouverez pas de religieux, sinon dans certaines variantes, peut-être, du gnosticisme (on y trouve tout !) qui soient allés jusqu’à vouloir renconcer à leur salut. Au reste, du point de vue des autorités religieuses, c’est toujours dangereux pour le fonds de commerce de la religion : Madame Guyon quelque peu persécutée par Bossuet s’est vite retrouvée à la Bastille, et Fénelon a connu la disgrâce.

      La relation du croyant ordinaire à Dieu, dans toutes les religions du Livre, est de l’ordre de la prostitution. Je veux bien me donner à Dieu, jouer s’il le faut la comédie du pur amour, mais c’est quand même donnant-donnant. A cela s’ajoute très vite la crainte superstitieuse : si je ne fais pas ce qu’il faut, et si Dieu existe, il risque de m’en cuire ! En France, le jeûne du ramadan est devenu depuis vingt ans une obligation absolue. Je me souviens (il y a de cela plus de dix ans) que des élèves venaient quelquefois me dire, à la sortie du cours en manière d’excuse : « M’sieur, on a un peu de mal à se concentrer, en ce moment, mais c’est qu’on fait le ramadan ». Ah bon, leur disais-je, avec une expression d’étonnement calculée : si cela vous embête, il ne faut pas le faire et, d’une manière particulièrement perverse et diabolique, je sortais de mon cartable une ou deux barres chocolatées dont je m’étais muni en arrivant au lycée et que je leur proposais benoîtement. Le soir, quittant l’établissement et passant devant le distributeur automatique, je trouvais des groupes de filles qui me demandaient l’heure. Encore dix minutes ! S’exclamaient-elles, crevant de faim et de soif ! Ces jeunes n’avaient évidemment aucune raison, surtout après un cours sur la philosophie des Lumières, de se comporter d’une manière tellement irrationnelle, et je ne laissais pas de leur rappeler la phrase de Racine dans la préface de Phèdre : « la seule pensée du crime est regardée avec autant d’horreur que le crime même ». C’est-à-dire que simplement penser à manger ou à boire, pendant le ramadan, et oser se plaindre d’une contrainte que la raison n’impose pas, c’est exactement comme de se goinfrer en cachette. Je ne vous dis pas ce que j’ai pu entendre d’adultes qui s’imposaient cette contrainte. Ils n’osaient évidemment pas me dire que c’était Allah qui leur commandait la chose, et ils n’hésitaient pas à trahir leur religion en inventant toute sorte de raisons profanes adaptées à l’interlocuteur rationaliste qui les attendait au tournant, du genre : ça fait du bien pour la santé. Après ça, je me sens mieux, etc. Il y a donc bien deux religions : une religion du peuple qui est très simple et qui fonctionne sur le principe de la carotte et du bâton et une religion pour les intellectuels (en apprence la même), mais en forme d’usine à gaz, avec un labyrinthe de tuyaux qui semble fait pour égarer l’esprit.

      Vous évoquez Husserl. C’est aussi mon philosophe préféré, celui auquel je reviens constamment, et cela me fait vraiment plaisir de voir que là nous nous rencontrons vraiment. Mais je crains que vous ne le tiriez dans une direction que je trouve contestable en parlant de transcendance pour dire tout de suite après que cette transcendance n’en est pas une. En effet, il n’y a aucun arrière-monde métaphysique dans la phénoménologie transcendantale. Ce qui me surprend toujours, c’est qu’on puisse si aisément faire entrer Husserl dans le confection de sauces philosophique qui paraissent tout à fait incompatibles avec sa volonté d’en finir avec les oppositions du type idéalisme / réalisme. Par exemple, Lévinas et Ricoeur ont été les vulgarisateurs de la phénoménologie husserlienne, mais ce que ces penseurs du religieux en font me stupéfie, et plus encore les productions d’un Michel Henry ou d’un Jean-Luc Marion. Husserl, s’il pouvait les lire, se retournerait dans sa tombe !


  • zélectron-libre zélectron-libre 2 mai 2012 08:00

    Bonjour l’auteur,


    Votre texte tout comme vos commentaires sont très intéressants. Vous êtes très instruite en Islam,ce qui est tout à votre honneur. Mais, car il y a un petit mais, j’ai décelé une certaine antipathie envers M. Tareq Ramadan et envers les femmes voilées. Connaissant très bien le premier (je suis originaire de Suisse), je peux affirmer qu’il n’est pas le diable que les médias occidentaux, plus particulièrement français, décrivent. On a de la peine à imagine qu’un musulman peut être à la fois moderne, instruit et respectueux des commandements divins. Il en est de même des femmes musulmanes. Plusieurs parmi elles sont celles qui possèdent un haut degré d’instruction et qui ont choisi librement de porter le voiles. J’en connais un bon nombre qui sont des occidentales converties tout comme je connais beaucoup d’hommes européens et américains convertis et dont un bon nombre occupent des postes de très haute importance. Mais souvent les gens ne le savent pas, sauf ceux qui les voix lors des prières du vendredi quand leurs agendas le leur permettent.

    La communauté musulmane en Occident a un besoin urgent d’intellectuels d’envergure qui se respectent mutuellement et qui ne se jalousent pas entre eux. Ce ne serait bon ni pour eux ni pour l’image de notre communauté. Et je ne parle pas de l’Islam, cette religion n’a pas besoin d’êtres humains pour briller. Dieu s’en charge. N’a-t-il pas dit qu’Il a fait descendre le Dhikr et qu’Il en est l’Ultime Gardien ? Les musulmans doivent transmettre le Message de la meilleure manière possible, en commençant pas le comprendre en s’instruisant sans relâche, et encore une fois, en ne dénigrant pas un frère ou une soeur qui fait ce qui lui semble bien avec sa faiblesse humaine. Il faut se garder des diviseurs qui veulent allumer les feux de la discorde entre frères. Un jour, un ami converti a même entendu dans une mosquée, un jeune homme d’une vingtaine d’année qui a rendu mécréant Tareq Ramadan à cause de son moratoire. Ce qui me plait chez cet homme, c’est qu’il laisse dire et continue son bonhomme de chemin en sachant que Seul Dieu sera son Juge. Il a raison car il ne sert à rien de polémiquer ad eternam. On s’épuisera et on y gagnera strictement rien.





    • Christian Labrune Christian Labrune 4 mai 2012 17:50

      @zélectron-libre

      Vous avez l’air bien malin, de venir demander en style de tartuffe un peu moins de sévérité à propos du Frère Ramadan que je tiens personnellement non pas pour un intellectuel mais pour un trou du cul de la pensée.
      Vous n’hésitiez pas à écrire, il n’y a pas si longtemps, à propos d’une femme condamnée à mort en Iran, une certaine Sakineh, en faveur de qui circulaient des pétitions dans les pays encore un peu civilisés  :
      "Pas de pitié pour cette meurtrière qui a privé égoïstement ses enfants de leur père ! La mort c’est tout ce que méritent les assassins diaboliques de son espèce qui coûteraient chers aux contribuables ! Je ne vois vraiment aucune raison de compatir pour son sort !"
      Vous êtes vraiment un sinistre individu et je suis moins étonné, ayant lu ça, que vous puissiez vous soumettre à l’autorité d’un fanatique suisse de la pire espèce.


  • Najat Jellab Najat Jellab 2 mai 2012 16:55
    Bonjour zélectron-libre. 

    Merci beaucoup pour votre commentaire plein de bon sens. 
    J’imagine parfaitement que l’on puisse être très instruit et respectueux des commandements divins comme vous dites, je dis comme vous que les intellectuels manquent effectivement cruellement aux musulmans d’Europe Occidentale mais quand il en apparaît quelques uns, ceux-ci ont une responsabilité d’autant plus importante et délicate que la communauté musulmane semble poser problème, principalement à cause d’une image fausse de l’islam. 
    Je n’ai pas l’intention de faire cas de Tareq Ramadan, comment pourrais-je ne pas pardonner les faiblesses des autres quand presque chaque sourate se termine par « Dieu pardonne » ?... 
    Mais cette instruction à laquelle j’appelle autant que vous, ne peut venir que des musulmans eux-mêmes, par conséquent, si leurs intellectuels se mettent à collaborer à la construction de cette fausse représentation, les faiblesses que Dieu seul jugera ont en attendant des conséquences politiques que les hommes peuvent juger aussi. 
    Quant aux femmes voilées, je n’ai évidemment rien contre le voile en soi.
    Je connais moi aussi des femmes voilées très instruites comme vous dites, qui occupent des postes importants y compris aux commandes de l’Etat et qui n’hésitent pas à s’afficher avec leur voile partout dans le monde sans que cela n’inspire rien d’autre que le respect. Ceci, je crois, tient à une raison simple : tout d’abord leur compétence suffit à faire oublier leur voile aux non musulmans, et, parce qu’elle sont fort instruites, leur foi est suffisamment mature et réfléchie pour ne donner à personne l’impression qu’elles tentent d’imposer une identité défensive et en contradiction avec le contexte culturel du pays dans lequel elles se trouvent.
    Mais l’addition des cas particuliers que nous pouvons tous citer ne suffit pas à formuler une règle générale ni à apaiser les conflits que nous connaissons. 

    Cependant, je suis sûre aussi que, comme moi, vous connaissez des jeunes femmes qui du jour au lendemain, ont adopté ce couvre-chef particulier et sont venues fièrement vous annoncer leur « repentir »… Ce qui est presque aussi amusant pour moi que de voir un ami venir m’annoncer qu’il arrête de fumer… Si cela n’avait d’autre but que d’atteindre une meilleure santé physique et morale, je n’en ferais nullement cas intellectuellement. 
    Par contre j’ai quelque chose contre celles qui essayeraient d’aller contre la loi quand celui-ci est interdit dans un contexte légal donné (inversement, si je vais en Iran, musulmane ou pas, je serais obligée de me voiler) et contre ceux et celles qui veulent faire croire qu’il est obligatoire et veulent l’imposer car c’est une façon d’asséner aux autres une intimidation qui serait du genre : « mon dieu est plus important que le vôtre, et que vous tous » ; ce qui est non seulement contraire aux lois de l’islam mais c’est aussi ce qui rend les musulmans incapables de protester avec vigueur : leur connaissances sont si timides, qu’ils ont peur que ce soit « vrai »… 
     Je ne cesse donc d’expliquer aux musulmans (et aux autres) que le voile n’est pas obligatoire ( la burqua encore moins, n’étant jamais mentionnée dans le coran ni la sunna ) ; le voile a été cité dans le coran pour les femmes du prophète puis pour les femmes mariées « Ô Prophète ! Dis à tes épouses, à tes filles et aux femmes des croyants, de ramener sur elles leurs mantes. Cela est le moindre pour qu’elles soient reconnues et ainsi elles ne subiront pas de mal » - reconnues parce qu’il s’agit des femmes – au sens strict – du prophète… non celles du voisin, et de femmes mariées qu’il ne faudrait pas avoir l’idée d’accoster dans la rue... 
    Mais ce n’était pas un ordre, c’est un conseil , les ordres sont bien précis dans le coran , donc une femme peut mettre le voile ou pas selon son choix , le vrai voile étant le respect de soi.

    Les Protestants avaient décidé de lire la Bible dans le texte sans intermédiaire, les Musulmans n’ont pas besoin d’un mouvement protestant car il n’y a déjà pas d’intermédiaire et l’islam tient en grande estime l’instruction et la réflexion. Mais instruction ne signifie pas seulement apprendre le Coran par cœur comme il est de coutume de l’enseigner aux enfants.


    • Christian Labrune Christian Labrune 3 mai 2012 04:39

      Najat,

      Vous me disiez naguère que vous étiez un peu hégélienne ; autrement dit, pour vous, l’histoire aurait un sens. Cela ne m’étonne pas trop : la pensée de Hegel, de quelque manière qu’on l’envisage et même si on veut la remettre sur ses pieds à la manière de Marx, impose une eschatologie d’inspiration biblique qui m’a toujours quelque peu rebuté. Mais pour vous embarrasser, je vais me risquer un peu dans un domaine qui m’est étranger et je serais curieux de savoir ce que vous pouvez en penser.

      On ne peut guère nier que la connaissance scientifique et technique, ces deux derniers siècles, a considérablement progressé et que ce progrès s’accélère. Nous disposons maintenant d’ordinateurs de plus en plus puissants et la loi de Moore qui veut que, dans la fabrication des processeurs, le nombre d’éléments logiques par unité de surface double tous les dix-huit mois selon une courbe exponentielle n’a pas encore été contredite même si on commence à approcher d’une limite. Türing, avant la guerre, qui ne disposait pas d’ordinateurs réels mais avait déjà envisagé une machine théorique idéale s’était demandé si elle pourrait simuler l’intelligence humaine et avait répondu positivement. Il y a trente ans, les informaticiens étaient encore divisés sur la question. On parlait bien déjà d’intelligence artificielle, mais des moteurs d’inférences qu’on mettait au point on peut tout dire sauf qu’ils étaient intelligents. L’intelligence, ce serait, comme Türing l’avait bien vu que, communiquant à distance avec un ordinateur, on ne puisse pas se rendre compte qu’il s’agit d’une machine. Les arguments que certains informaticiens développaient pour nier la possibilité d’une réelle intelligence artificielle, c’est-à-dire de quelque chose qui ressemblerait tout à fait à la conscience font aujourd’hui sourire. Si la conscience est possible dans le cerveau humain, c’est parce qu’avec ses cinq milliards de neurones, chacun étant connecté à plusieurs dizaines de milliers d’autres, l’organe constitue une structure extrêmement complexe où la conscience peut émerger. Mais il n’est pas du tout impossible de concevoir des machines dont le degré de complexité serait non pas équivalent mais très supérieur. Pas mal de laboratoires dans le monde travaillent sur cette question. Certains pensent que d’ici le milieu du siècle, on devrait approcher de la solution technique. Au reste, une partie essentielle de ce cerveau géant, sa mémoire, existe déjà, c’est l’Internet, et une machine consciente capable de penser par elle-même pourrait déjà y trouver immédiatement presque la totalité du savoir humain.

      Ce qui se passerait au moment d’une émergence d’une authentique intelligence artificielle serait assez curieux. Essayons de penser le moment où il existerait encore une parité entre l’intelligence humaine et l’intelligence artificielle. Que se passerait-il ? La Machine pourrait se substituer à l’homme pour continuer à concevoir sa propre structure et à la complexifier. Ses capacités intellectuelles ne doubleraient peut-être pas tous les dix-huit mois parce qu’on ne sait pas vraiment, à partir du moment où il y a une conscience, ce que ce serait qu’être deux fois plus intelligent, mais nul doute que la machine pourrait travailler à augmenter indéfiniment ses capacités, lesquelles en une seule année augmenteraient « beaucoup ». En revanche, l’intelligence biologique de l’homme varie très lentement. Je ne suis pas du tout sûr que la moyenne des hommes aujourd’hui surpasse en intelligence Homère ou Platon. On arrive donc à ce que certains penseurs appellent une singularité, c’est-à-dire un moment du temps où les choses changent si radicalement qu’on passe d’un monde à un autre sans qu’ils soit possible de prévoir ou d’imaginer quoi que ce soit. On ne peut rien penser en deça de la singularité que le big bang a constituée, et de même on ne peut rien penser, par la force des choses, de ce que serait un monde habité par une forme d’intelligence très supérieure à la nôtre. Et de fait, une machine capable de penser extrêmement vite, disposant instantanément de tout le savoir accumulé depuis le début de la période historique ressemblerait un peu à l’idée que nous nous faisons des dieux. Il y aurait très vite infiniment plus de distance entre nous et cette entité qu’il n’y en a actuellement entre nous et le chimpanzé, et cette distance, de jour en jour, et non pas de million d’années en million d’années, ne cesserait de s’approfondir.

      Nous sommes donc actuellement face à cette alternative : ou bien nous parvenons à donner naissance à une intelligence artificielle supérieure à la nôtre, et à ce moment-là nous pourrons être contents de nous, ou bien nous n’y arrivons jamais et c’est toute l’ambition prométhéenne de l’expérience humaine qui en prend un coup : nous ne serons toujours qu’une variété de singes un peu plus évolués que les autres. Si nous ne réussissons pas, nous pouvons perdurer misérablement comme nous le faisons depuis quatre millions d’années. Mais si nous réussissons, ipso facto nous disparaissons en ce sens que nous n’avons plus sur la planète qu’un statut relativement équivalent à celui des singes et des dauphins, puis des chiens, puis des canards, puis des oursins, etc.. Triste perspective !

      Ce type de spéculation n’est pas du tout de l’ordre de la fantaisie et n’a rien à voir avec les révélations sur les différentes manières d’envisager la fin du monde qui nous viennent des religions et auxquelles vous ne croyez pas plus que moi. Les gens qui travaillent sur ces questions sont à peu près dans les mêmes questionnements et les mêmes inquiétudes que ceux qui oeuvraient du côté de Los Alamos à la mise au point de la première bombe atomique. Quand on en décrivait les effets dans le cadre d’une étude purement théorique, cela paraissait inimaginable : un pur délire. Mais c’était bel et bien possible et on ne le sait que trop. On a tout lieu de rigoler quand on entend parler de l’Antéchrist et de la bête de l’Apocalypse, mais la machine dont je parle finira nécessairement pas exister, elle est l’avenir d’une intelligence qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, laquelle devra migrer d’un support biologique à un autre pour devenir plus efficace. Cela m’amuse toujours beaucoup d’entendre ces émissions de vulgarisation où on évoque la « vie » sur d’autres planètes. Je gagerais que s’il y a des formes d’intelligences dans l’univers, elles ne correspondent pas du tout à ce que nous appelons la vie au sens biologique du terme. Ce sont plutôt des machines, au sens large du mot, capables de se modifier au niveau atomique et selon les procédés que commencent à maîtriser les nanotechnologies : dès que la vie devient intelligente et qu’apparaissent la culture et la science, quelques siècles probablement suffisent pour que l’intelligence soit dans la nécessité de trouver un autre support que la vie biologique.

      Je ne parle pas de machineS avec le s du pluriel, encore moins de robots : le type d’intelligence que je décris est nécessairement connecté à l’ensemble des serveurs de la planète, c’est le réseau lui-même qui devient, à un moment donné, intelligent, et commence à se suffire à lui-même. Pour les religions existantes qui n’ont pas vraiment prévu ce type d’évolution historique cela pose, me semble-t-il, d’assez sérieux problèmes ! Les transhumanistes, et surtout les posthumanistes, pour qui j’ai tout de même pas mal de sympathie, sont beaucoup moins embarrassés.


  • Najat Jellab Najat Jellab 3 mai 2012 05:36
    @ Christian.
    J’avoue que je n’ai pas pu m’empêcher une fois de plus de sourire en vous lisant smiley

    Revenons d’abord à Pascal. 
    Vous me dites que la distinction entre l’esprit géométrique et l’esprit de finesse vous parait factice et inutile ! Vous me voyez bien étonnée de recevoir une telle remarque de la part d’un enseignant, à moins que vous ne fassiez preuve de mauvaise foi… Je ne partage pas du tout votre jugement sur Pascal car même si vous ne cessez de me « prévenir » du contraire, je crois que ses concepts se confirment par la science contemporaine et le considère donc comme un précurseur et non comme un vulgaire plagiaire comme vous le prétendez avec vos accusations infamantes. Je vais donc vous exposer ce que vous savez déjà, mais que vous ne voulez pas admettre.
    L’esprit de géométrie et l’esprit de finesse se distinguent d’abord parce qu’ils ne travaillent pas à partir des mêmes principes : 
    par exemple, l’un des premiers principes de la géométrie est : « par deux points distincts, il ne passe qu’une seule droite », autre exemple : « le plus court chemin pour aller d’un point A à un point B est le segment [AB] ». 
    Un exemple de définition géométrique est « j’appelle carré un polygone régulier à quatre côtés égaux et à quatre angles droits ». Une fois défini le carré, cette figure peut être utilisée sans ambiguïté. Si on place cette figure à côté d’un triangle et d’un demi-cercle, on pourra aisément distinguer toutes ces figures entre elles. C’est en ce sens que les principes de l’esprit de géométrie sont « gros », car il suffit d’un minimum d’attention et de rigueur pour tirer les conséquences de ces principes ; 
    Dans l’esprit de finesse, on est dans le domaine de l’intuition, des jugements que l’on porte en fonction d’une multitude de détails, de situations vécues, d’analogies implicites etc.. L’esprit de finesse, en ce sens, est sujet à l’erreur car la multitude des principes rend l’opération de l’esprit infiniment plus complexe. Mais l’esprit de finesse ne vise pas le « vrai » ou le « faux », il vise le « juste ». Un moraliste comme La Rochefoucauld avec ses Maximes est un exemple parfait d’illustration de l’esprit de finesse. 

    Si vous me dites maintenant que la distinction entre « vrai/faux » et « juste » vous parait toujours factice et inutile, je vous dirais que c’est cette même différence qui, dans le domaine du droit, distingue le « légal » du « légitime ». Le légal est ce qui est conforme à une loi définie par un code, (comme on a pu définir ce qu’est un carré, on peut définir précisément le cadre d’un contrat de propriété par exemple) tandis que le légitime est conforme à la morale laquelle peut toujours être discutable et changeante. On peut donc parfaitement être dans le « juste » tout en étant dans le « faux », et je suis sure que vous avez enseigné vous-même Antigone comme exemple de cette distinction... 
    Quand vous achetez une maison, vous signez un contrat qui délimite exactement votre bien dans l’espace, avec adresse, superficie etc. Mais ce contrat ne donnera aucune appréciation esthétique de la maison. Pourtant avant de l’acheter, c’est votre esprit de finesse, qui a déterminé qu’elle convenait à vos goûts. 
    Cette distinction, que vous trouvez « inutile », est aussi celle qu’exploitent volontiers les agents de vente, lesquels la trouvent au contraire fort utile, quand vous entrez dans un centre d’achat pour vous procurer un marteau et que vous en sortez avec le marteau et une nouvelle télévision dont votre esprit de géométrie aurait pourtant déterminé qu’elle serait inutile vue vous en avez déjà une semblable et qui fonctionne. Votre esprit de géométrie ne faisant pas la différence entre les deux télévisions, c’est votre esprit de finesse qui a été sollicité par ces mêmes vendeurs, c’est lui qui fait la différence entre celle que vous avez déjà et celle que vous venez de vous procurer pour faire honneur à votre nouvelle maison qui mérite sans doute le modèle dernier cri. Peut-être était-ce une erreur mais c’est le propre de cet esprit e finesse que d’être plus souvent induit en erreur...
    Aujourd’hui, on appelle cet esprit de finesse- pardon si l’expression est vulgaire- « l’intelligence émotionnelle » et il n’est pas de « technique de communication » qui ne se penche sur cette notion … 
    Décidemment, je veux bien croire que grâce à des préoccupations de « boutiquier », Pascal avait beaucoup d’avance sur son temps. 
    L’autre différence fondamentale entre les deux esprits est que les principes de l’esprit de géométrie sont artificiels tandis que ceux de l’esprit de finesse sont naturels, les premiers sont abstraits, ils n’ont rien à voir avec l’expérience de la vie, et il faut faire l’effort de se souvenir de définitions étrangères à nos intuitions naturelles et faire preuve d’un apprentissage rigoureux pour effectuer un raisonnement géométrique. En revanche, les principes de l’esprit de finesse sont tirés de l’expérience de la vie. 
    Vous trouvez toujours ces concepts inutiles et factices ? Mais avoir l’esprit géométrique n’exclut pas d’avoir aussi l’esprit de finesse. Ce n’est pas parce que l’on sollicite, pour l’un, l’hémisphère gauche de son cerveau, que l’on est nécessairement à moitié écervelé et privé de son hémisphère droit. Si vous persistez dans votre opinion, vous devriez penser la même chose des découvertes des neurophysiologistes qui confirment cette division conceptuelle chez Pascal : nous savons qu’avec notre cerveau gauche, nous raisonnons de manière séquentielle, analytique, point par point. Le cerveau droit, lui, voit les choses globalement : il traite l’information de façon holistique. C’est toute la différence entre inspecter le terrain -esprit géométrique- et sentir l’ambiance- esprit de finesse…

    Que Pascal n’ait « pas intégré » la méthode analytique en géométrie, je ne vois en quoi cela amoindrit ses apports ; à moins que vous ayez décrété un jugement de valeur en faveur de la géométrie analytique au détriment de la géométrie synthétique et que vous ayez l’ambition de me démontrer l’infériorité du théorème de Pascal sur la relation de Chasles par exemple… La géométrie analytique permet certes de démontrer une propriété à l’aide d’opérations sur les nombres dans un système de coordonnées, mais sans comprendre fondamentalement pourquoi cette propriété est vraie géométriquement. 

    Quant à cet univers « dont le centre est partout et la circonférence nulle part », Que Pascal ne soit pas l’inventeur de ce concept ne le discrédite pas, on pourrait sans doute en dire autant de tous les grands noms. Mais, contrairement aux visées que vous lui donnez, j’ai bien peur que cette définition de l’univers ne donne pas seulement le vertige au libertin, mais aussi à nos astrophysiciens rationalistes contemporains qui constatent qu’en effet, le centre que l’on pourrait supposer aujourd’hui ne serait pas celui de demain dans la mesure où l’univers est en constante expansion : on voit à grande échelle les galaxies s’écarter constamment les unes des autres, non pas par un mouvement dans l’espace mais par un gonflement constant de l’espace lui-même. Le centre est donc potentiellement partout, et la circonférence ne peut être nulle part puisqu’il n’y a pas de limite à cette expansion, il ne peut donc pas y avoir de ligne qui en limite la surface. 
    J’ai bien peur qu’une fois de plus, les intuitions de Pascal ne soient pas si ineptes et improbables 

    J’en reviens maintenant à ce que je disais précédemment sur ce qu’il y a « d’irrationnel » même dans l’esprit géométrique. 
    Vous trouvez que ce que j’entends par irrationnel parait flou, pourtant ma définition était la suivante : « tout ce qui ne peut être le résultat d’un discours déductif de la raison ». Par exemple, un triangle, comme objet géométrique, n’est pas le résultat d’un discours déductif de la raison. Il n’est pas « démontrable ». Par contre, une fois défini et supposé un triangle, un triangle rectangle par exemple, je peux déduire par la raison que le carré de son hypoténuse est égal à la somme des carres des deux autres côtés. 
    J’ai préféré conserver l’exemple des géométries non euclidiennes non pas pour profiter sournoisement d’une erreur -que vous ne commettez pas d’ailleurs- mais parce que j’avais cité la géométrie comme ordre de démonstration parfait de la raison. Je ne pouvais pas invoquer la physique puisque, comme vous le dites à juste titre, son caractère parfois « contradictoire » au bon sens aurait rendu mon propos sur l’irrationnel dans la rationalité trop « facile » ce qui n’aurait pas été honnête intellectuellement de ma part ; 

    Les géométries n’ont rien d’irrationnel, dites vous, à partir du moment où l’on suppose une courbure positive ou négative de l’espace. Mais cest justement dans cette « supposition » qu’il n’y a rien de rationnel. Vous ne pouvez pas demontrer cette courbure, vous ne pouvez pas demontrer les defintions geometriques, vous pouvez seulement les supposer. Cest seulement si vous les acceptez comme supposition, comme hypothese que vous pouvez construire un raisonnement rationnel. 

    Il ne s’agit pas d’envisager une philosophie qui abandonne le principe de non contradiction, mais la seule rationalité ne permet pas de garantir la non contradiction. 
    Pour donner un exemple de pure logique valide mais fausse, voici un syllogisme que vous connaissez sûrement :

    - un cheval bon marché est rare
    - tout ce qui est rare est cher
    - donc un cheval bon marché est cher

    Même une proposition fausse devient valide quand on « suppose » les principes indémontrables de la permutation que sont si A= B et si B=C alors A=C
    Pourtant cette proposition fausse est tout à fait rationnelle car elle résulte du discours déductif de la raison. 


    J’ajoute que le pari de Pascal n’est pas arbitraire mais le résultat d’un calcul de probabilité, rationnel. 
    Vous avez raison de dire que les prévisions météorologiques ne sont pas une manifestation du hasard ou de « l’irrationalité dans la nature », ce sont en effet les résultats d’un calcul de probabilités tout à fait calculables, et ce ne sont pas de tels exemples que j’avais en tête, mais qu’importe. Je sais bien qu’une pièce de monnaie a une chance sur deux de tomber face, et que gagner au loto, même avec une chance sur plus de quatorze millions, ce n’est pas non plus le fruit du hasard, mais la réalisation d’une probabilité calculable. 
    Je ne parlais pas de probabilité, mais de possibilité. La possibilité est une hypothèse -voyez que je n’ai même pas poussé l’ambition d’un calcul de probabilité pour vous motiver à supposer cette hypothèse. Mais tout comme en géométrie, vous devez « supposer, pour fonder un raisonnement, en religion, vous devez supposer Dieu pour fonder une morale. 

    Vous avez probablement raison de constater une religion du peuple et une religion des intellectuels, mais j’ajouterais qu’il n’y a de vraie religion qu’intellectuelle. 

    Je vois que vous avez poussé la provocation de vos propres petites élèves innocentes et démunies comme seul un libertin –et non un libertaire- le ferait, avec vos barres de chocolat… smiley De cette perversion, je ne me ferai point juge… 
    Mais si j’avais eu l’occasion de vous rencontrer un jour de Ramadan, à supposer que vous ayez découvert que je jeûnais, car je ne serais sûrement pas venue vous le dire (pas plus que je n’irais étaler ma vie intime), je vous aurais répondu que la raison n’impose pas non plus la contrainte- sans même parler de religion-, d’aller crever sur un terrain de sport, de se torturer à essayer de poursuivre des recherches fondamentales qui ne trouveront peut-être jamais aucune application, et s’il fallait, pour le progrès humain, ne suivre que les comportements dictés par la raison « raisonnante » ,vous n’existeriez probablement même pas. 

    Quand je vous parlais de Husserl- ravie aussi qu’il soit votre philosophe préféré- je vous citais l’usage qu’en faisait Luc Ferry pour fonder sa « transcendance dans l’immanence », pas le mien…

    Vous persistez dans votre idée de commerce avec Dieu, donc pour vous, il n’y a pas de foi autre qu’intéressée ! Par le chien, il faudrait vous replonger dans le Livre de Job… 


  • Najat Jellab Najat Jellab 3 mai 2012 05:58

    Ah, je viens de lire votre message concernant l’eventuelle émergence d’une « web conscience » qui dépasserait en dégâts les pires prévisions d’Orwell... je trouve l’exercice fascinant, mais ma réponse ira à demain. En attendant, si je rêve du prochain scénario de Spielberg, je vous en ferai part ! 


    • Christian Labrune Christian Labrune 4 mai 2012 01:11

      Najat,

      Non seulement j’ai été prof, mais même prof de lettres, et j’ai passé bien des heures de ma vie à expliquer Pascal, mais certainement pas comme les collègues de ma discipline qui, pour la plupart, n’entendent pas grand chose à la philosophie. Par votre longue défense de l’Auvergnat, vous m’avez cruellement obligé à rouvrir des volumes que je croyais refermés pour jamais et j’ai même relu entièrement « de l’esprit géométrique et de l’art de persuader », non sans une profonde horreur.

      Que vous me disiez qu’il faut distinguer entre le raisonnement discursif, les « longues chaînes de raison » dont parle Descartes, et l’intuition qui impose immédiatement ses lumières, je le veux bien, mais ça ne nous mène pas très loin sinon nulle part. Pascal oppose les géomètres aux gens du monde qui ont l’esprit de finesse et sont rebutés par les démonstrations. C’est cette opposition que je récuse totalement, et par expérience : j’ai eu d’excellents élèves en lettres, ils étaient aussi particulièrement brillants en mathématiques. Les meilleurs des sections purement  « littéraires », en revanche, qui mettaient un imbécile point d’honneur à ne rien entendre aux mathématiques, je les ai assez régulièrement trouvés aussi fumeux que les collègues de ma discipline.

      On ne peut pas faire des mathématiques sans recourir à l’intuition : Pascal parle bien « des principes si gros qu’il est presque impossible qu’ils échappent », mais quand on lit ses démonstrations ou celles de Desargues, on a intérêt à s’accrocher parce qu’il faut se représenter mentalement des figures complexes dans l’espace, et non pas seulement les propriétés élémentaires des polygones du plan. Le reproche qu’on peut faire à Pascal, c’est justement d’essayer de démontrer des problèmes devenus très complexes avec les mêmes méthodes que les anciens et sans recourir à la géométrie algébrique de Descartes qui est quand même d’une tout autre élégance, et beaucoup plus puissante.

      Vous me dites qu’il y a des choses en géométrie qu’on ne peut pas démontrer. Je ne vous ai jamais dit le contraire, c’est tout le problème de l’axiomatique, mais quand vous me dites qu’on ne peut pas « démontrer cette courbure », parlant probablement des géométries non-euclidiennes, cela n’a pas beaucoup de sens : la notion de courbure n’est pas une idée vague en rapport avec l’expérience sensible, elle résulte d’un certain nombre d’axiomes et de définitions qui sont tout à fait suffisantes pour qu’on puisse bâtir là-dessus quelque chose de consistant. Pour illustrer le problème de la contradiction en mathématiques, vous auriez pu évoquer la théorie de Cantor critiquée par Russel à propos de la question de l’ensemble de tous les ensembles qui n’appartiennent pas à eux-mêmes. Cet ensemble s’appartient-il ? Mais cette difficulté logique n’a pas été insurmontable puisqu’elle a conduit à la théorie des types logiques. Cela vous prouve en tout cas surabondamment s’il en était besoin la falsifiabilité des mathématiques, qui est selon Popper le critère même de la scientificité. Si la psychanalyse ou les religions étaient aussi aisément falsifiables, on pourrait peut-être passer à des domaines de la réflexion un peu plus excitants !

      Pour me prouver qu’il y aurait de l’irrationnel jusque dans les mathématiques, vous écrivez : « le  triangle, comme objet géométrique, n’est pas le résultat d’un discours déductif de la raison. Il n’est pas « démontrable ». » Là, je n’y comprends rien du tout. Il n’a jamais existé un triangle, personne n’a jamais pu VOIR un triangle, le triangle est un concept et il se réduit entièrement à la définition qu’on en donne, il n’existe pas au-delà, dans le monde sensible, étant constitué de droites sans épaisseur et donc invisibles, et on ne peut y accéder, pour parler comme Descartes, que par une « inspection de l’esprit ». Pour le définir, il a bien fallu disposer d’abord de notions plus élémentaires : celle du plan, celle de la droite, celle du point. Il n’y a rien là à démontrer, cet ensemble de définitions constitue un corpus suffisamment consistant pour qu’on puisse opérer dessus ad libitum.

      Vous me dites quelque part que La Rochefoucauld serait l’incarnation même de l’esprit de finesse. Je dis non et je le prouve en l’opposant à l’Auvergnat. Le problème de Blaise, c’est de persuader, de persuader le libertin. Comme le marchand d’aspirateurs, il a quelque chose d’énormément positif à nous vendre : l’exaltante Vérité indubitable du christianisme, avec le bonheur éternel qui va avec. La démarche de La Rochefoucauld est inverse, elle est sceptique, elle ne promeut pas une croyance, elle démolit radicalement les illusions communes. Chaque vertu est examinée par le bonhomme, et elle « n’est que », c’est-à-dire en général pas grand chose, si ce n’est même, quelquefois, un vice. Il y avait dans les premières éditions quelques maximes qui évoquaient Dieu. Dans l’édition de 74, elles sont toutes supprimées. En cela, La Rochefoucauld est un vrai philosophe, il ne prétend pas avoir accès à une quelconque positivité, il se contente de faire tomber les masques et de démolir le faux. Le vrai, c’est ce qui n’est pas encore faux, il se définit en creux, et provisoirement. En bon sceptique, il doute même de sa propre radicalité et s’impose quelquefois d’écrire des choses comme « s’il y a un véritable amour... » « S’il y a une amitié véritable... », mais cela reste très hypothétique.

      Je n’ai jamais dit que le pari de Pascal fût en rien « arbitraire ». C’est un calcul d’intérêt, mais c’est là justement qu’on doit confronter le petit Blaise à La Rochefoucauld pour qui « l’intérêt est l’âme de l’amour propre ». Et le vieux duc méprise la notion d’intérêt, qui sent son bourgeois. Pour lui, l’intérêt est méprisable, et cela nous ramène à l’opposition entre la religion populaire et la religion des intellectuels. Vous me dites : la vraie religion, c’est celle des intellectuels. Je pense exactement le contraire : l’intellectuel a les moyens, lui, de voir des contradictions énormes que le peuple ne voit pas, et s’il reste religieux, c’est par tartufferie, parce que cela sert ses intérêts de classe de favoriser l’opium du peuple qui endort « la canaille ». La religion devrait bien elle aussi tonner contre l’amour-propre. « Le moi est haïssable », disait Blaise, en vrai chrétien, mais elle tient un double discours selon le clivage des deux cités. L’amour-propre, c’est-à-dire, l’égoïsme serait monstrueux ici bas, mais, bizarrement, il resterait quant même tout à fait licite et même recommandable de vouloir rejoindre un jour la cité de Dieu, et la générosité que la charité implique ne peut donc jamais être désintéressée. Molière a admirablement vu cela dans la scène du pauvre de "Dom Juan", lorsqu’il fait répondre au mendiant à qui Dom Juan vient de demander ce qu’il fait tout seul dans cette forêt : « je prie pour la prospérité des gens de bien qui me donnent quelque chose ». Il est ermite mais il lui faut quand même une petite pièce de temps en temps et il a intérêt à ce qu’il y ait des riches, qu’ils soient même de plus en plus riches, alors que sa religion lui représente que la pauvreté est préférable et conduit plus sûrement en paradis. C’est une comédie, me direz-vous, une satire, mais ces contradictions ne sont pas inventées : elles sont le résultat d’une observation lucide.

      Au fond, vous voyez très bien que ce qui fonde l’athéisme, ce n’est certes pas la révélation venue d’on ne sait où que Dieu n’existerait pas, c’est simplement une analyse critique, à la manière de La Rochefoucauld, des comportement et de leur articulation à la morale : A supposer même que Dieu existât, il y aurait quelque chose de profondément immoral dans le désir d’être sauvé et d’organiser sa vie selon cet objectif, de faire comme le petit chien-chien à sa mémère qui donne sa papatte pour avoir un susucre. Et quand bien même Dieu existerait, la soumission à cette entité, qui est la définition même de l’islam mais qui vaut aussi bien dans les autres religions du Livre, c’est quelque chose qu’un philosophe ne peut accepter parce que le sentiment de la crainte peut valoir pour des esclaves mais pas pour des hommes libres. Cela se démontre-t-il ? Je ne sais pas. Peut-être bien que cela résulte uniquement d’un requisit imposé par l’esprit de finesse !



    • Christian Labrune Christian Labrune 4 mai 2012 12:14

      "Ah, je viens de lire votre message concernant l’eventuelle émergence d’une « web conscience » qui dépasserait en dégâts les pires prévisions d’Orwell... je trouve l’exercice fascinant, mais ma réponse ira à demain. En attendant, si je rêve du prochain scénario de Spielberg, je vous en ferai part ! « 

      Najat,
      Je pense que vous m’avez lu un peu vite ! Ce que je vous écrivais n’a rien du tout à voir avec une science-fiction toujours manichéenne qui fait intervenir des »robots« quelque peu inquiétants, qu’ils obéissent aux lois imbéciles de la robotique imaginées par Asimov ou qu’ils se retournent, comme dans l’Odyssée de l’espace de Clarke, contre leur créateur. Je me plaçais sur le simple terrain de l’évolution aisément constatable des systèmes biologiques. Entre les pré-hominiens et l’homo sapiens, nul doute qu’il y a eu des changements. Donnez à l’espèce que nous sommes quatre millions d’années (je suis bien optimiste !) et nous aurons des êtres qui ne nous ressembleront plus vraiment. Les religions voudraient bien que nous soyons arrivés au terme de l’évolution mais vous ne le pensez pas plus que moi. Or, l’évolution de l’intelligence et même celle de son substrat biologique sont en train de s’accélérer : le téléphone qui restait sur notre bureau il y a vingt ans est désormais dans notre poche, où que nous soyons, et je dis »téléphone" par simplification : il est déjà tout autre chose. Dans peu d’années, et assurément pour vous qui paraissez fort jeune, il sera carrément greffé à l’intérieur du corps où pas mal d’organes plus ou moins défaillants ou peu fiables seront immédiatement remplacés. A part moi qui m’en sers trois fois par mois, le téléphone mobile est devenu un prolongement presque naturel sans lequel la plupart de nos contemporains se sentiraient déjà amputés d’un organe essentiel. C’est-à-dire que le corps lui-même va devenir de plus en plus artificiel et va devoir (il l’est déjà) s’interfacer de plus en plus intimement à un réseau global dont les mutations (au sens biologique) seront continues et extrêmement rapides. On pourra bien vouloir rattraper le retard du biologique sur le cybernétique en le dopant, mais cela ne sera jamais possible et, de fait, l’écart se creusera indéfiniment. Jusqu’à ce que le biologique disparaisse progressivement, ce qui ne veut pas dire une disparition de l’intelligence sur la planète : elle subsistera sur d’autres supports, deviendra globale et cessera d’être individuée. Il ne faudra pas quatre millions d’années pour que l’homme disparaisse : ce sera fait depuis longtemps à l’aube du quatrième millénaire et même bien avant. Et si ça n’était pas fait, ça ne serait pas non plus une cause de satisfaction, c’est que nous n’aurions pas réussi à nous affranchir de l’animalité et de son intelligence lente et terriblement embryonnaire, et encore moins de la mort : je vous assure que c’est une bien misérable bestiole qui est en train de vous répondre, et en tant que représentant de l’espèce homo sapiens, je me fais pitié tous les jours !
       


    • Najat Jellab Najat Jellab 4 mai 2012 22:42

      Soit vous le faites expres, soit vous n’avez rien lu de tout ce que je vous ai écrit : il n’y a pas de foi valable si elle n’est mue que par la peur, et la carotte et le baton, je ne vais pas reprendre ce que vous pouvez lire dans mes messages precedents. Et quand je dis qu’il n’y a de religion qu’intellectuelle, j’entends, au sens protestant, qu’il n’y a de religion valable que celle qui est sans intermediaire et se basant sur la seule lecture des textes, et non sur les avis contradictoires et divergeants des uns et des autres ! Elle ne peut donc absolument pas etre l’opium du peuple par laquelle les intellectuels exploiteraient l’ignorance de la populace. Cela s’appelle oppression politique et non religion !

      Par ailleurs, contrairement a la croyance repandue et nourrie par les malhonnetes, « islam » ne signifie pas « soumission », mais « paix ». Soumission ou capitulation comme on a coutume de le traduire se dit « istislam » et non islam, je reconnais que les mots se ressemblent mais pour qui connait l’arabe, le prefixe « isti » marque un superlatif, une insistance et ce qui etait un traite de paix par exemple devient une capitualtion Donc vous voyez qu’encore une fois, il est triste de s’en remettre aux opinions communes.

    • Najat Jellab Najat Jellab 4 mai 2012 23:37

      Que vous ne soyez pas d’accord avec le fait que La Rochefoucaud soit une illustration de l’exemple de l’esprit de finesse me surprend. Je le citais comme moraliste, mais j’aurais pu vous citer Montaigne, La Bruyere ou Proust... non pas au sens « moralisateur », mais bien d’observateur des moeurs... Et vous reconnaîtrez tout de même qu’on peut enseigner la géométrie mais on peut pas enseigner a ecrire comme La Rochefoucaud, c’est encore une différence entre l’esprit e géométrie et l’esprit de finesse. Et comme je vous le disais l’un n’empêche pas l’autre. Je suis bien d’accord qu’on peut être scientifique et littéraire, mais les deux ne font pas appel aux memes facultes de l’esprit.


  • Najat Jellab Najat Jellab 4 mai 2012 21:53




    Vous avez introduit votre message en faisant reference à Hegel, et en effet, vous m’embarrassez en ce que vous demandez à mon esprit d’entrer dans un état de médiumnité hegelienne…  J’aime les exercices perilleux, alors soit : 
    Que penserait Hegel de votre problématique ? 
     Reprenons ces theses posthumanistes pour lesqeuls vous avez de la sympathie…
    1- L’homme transforme constamment son environnement technologique, leqeuel le transforme à son tour. 
    Jusque là on voit se dessiner une dialectique homme/technologie dans laquelle l’homme est toujours maitre.

    2- Les mutations technologiques sont toujours plus rapides et notre civilisation, spectatrice, est impuissante devant cette accélération exponentielle. La loi de MooreXXXX
    l’esclave se fait de plus en plus performant. 
    Cependant, quelques hommes , intellectuels et visionnaires, entreprennent d’expliquer et parfois d’anticiper ces phénomènes. Ainsi, le maitre prend conscience du danger que represente l’esclave. 

    3- avènement du chaos et de la fin du monde : l’esclave est devenu maitre du maitre et il finit meme par le tuer ce qui donne : l’homme est mort (soit l’équivalent du renversement qui vous est cher : Dieu est mort…)

    On aurait presqu’envie d’abdiquer devant un raisonememnt si ineluctable dans sa forme. Sauf que, point fondamental : pour que l’esclave devienne le maitre du maitre, il lui faut une conscience (« en soi » qui devienne « pour soi » chez Hegel ou « conscience de classe » chez Marx). 

    Mais dans tous les scenarii de science fiction, de forme parabolique, que ce soit celles d’Orwell, Wells ou autres contre-utopies, on suppose à l’intelligence artificielle un désir de domination sur le monde, et sur l’homme quand elle n’est motivée par rien d’autre que la programmation que l’homme lui a intégrée. 
    Aujourd’hui, nous pourtant deja dans l’Oceania que prophetisait Orwell, si nous recensons toutes les technologies de surveillance qui nous observent, des satellites si puissants qu’on peut lire une plaque d’immatriculation d’auto, des cameras thermiques qui permettent de détecter le moindre mouvement humain ou animal à des dizaines de kms, Big Brother is watching you… 

    Etre libre signifie savoir ce que Big Brother pourrait demander aux hommes, le prédire et s’y conformer dans une obéissance zélée et inconditionnelle ! Sinon, on se condamne à rester sur le bord de la route et à perdre son existence sociale. Tout cela est, et sera de plus en plus, parfaitement réglé par ce lugubre pouvoir anonyme de la machine artificelle émancipée de toute volonté sociale – et donc aussi de la subjectivité du management au profit . Peu a peu, les « décideurs » subjectifs ne sont rien d’autre que les agents d’une technologie autonomisée qui ne cessera de progresser jusqu’à transformer le monde en un désert sans vie.

    Cela me fait penser à la meme pretendue incapacite des hommes a reguler le capitalisme financier… Les marches se font, se defont et s’autoregulent de facon si autonome que quand un crash et une crise nous tombent dessus, et que des millions de gens se retrouvent en faillite, personne n’y peut rien, c’est la loi du capitalsime autonomisé, doté de la conscience du saint esprit probablement … Rimbaud avait déjà formulé la devise schizophrénique de l’homme moderne :« Je est un autre »…
    Pourtant quand il y a quelques annees, 1000 milliards de capitalisation sont partis en fumée sur les bourses américaines à cause d’un bug d’ordinateur gestionnaire d’actifs. Les autorités, traders et opérateurs ont tout simplement décidé d’annuler toutes les transactions passées passees pendant les heures qua duré le bug. Eh oui, c’est possible ! 
    De meme, jusqu’à événement contraire, l’intelligence artificielle obéit à l’ordre du cerveau humain. Ce sont ceux qui créent les algorithmes et les programmes qui sont intelligents, pas les machines. 
    Quand vous dites que nous nous trouvons dans la situation de ceux qui réfléchissaient sur les conséquences de la bombe atomique, pas tout à fait : ils n’ont jamais supposé que les bombes se doteraient d’une conscience autonome et qu’elle se rendraient d’elles-mêmes à Hiroshima ou à Nagasaki ; 

    Or dans votre scenario, vous envisagez un réseau intelligent et autonome, doté d’une conscience. Mais je ne vois donc pas comment vous pouvez supposer que cette forme de conscience pourrait advenir. Vous ne pouvez d’ailleurs même pas résumer la conscience humaine à un agencement de neurones que le progrès technologique pourrait un jour reproduire.
    Si le cerveau constitue une structure où la conscience peut « émerger », il est condition de possibilité, et condition nécessaire, mais rien ne prouve qu’il soit condition suffisante. Et toute la difficulté des neurosciences aujourd’hui est de comprendre comment une conscience subjective émerge à partir d’un processus physiologique. Aussi posthumaniste que vous soyez, le mystère de la conscience et de la subjectivité demeure total.
    Il n’y a encore aucune forme d’intelligence artificielle qui exprime quelqu’émotion que ce soit. On peut la programmer pour qu’elle éprouve artificiellement une émotion en réponse à un ensemble de paramètres qui lorsqu ils sont réunis engendrent cette émotion, mais si on ne l’a pas programmée dans ce but, elle ne réagira pas. Même si aujourd’hui l’intelligence artificielle peut convertir la pensée humaine en stimuli mécaniques et électriques, elle n’a pas de capacité d’initiation, ni d’adaptation à un environnement imprévisible, 
    D’autre part, rien ne nous permet de prouver que la conscience humaine soit un système que la machine peut reproduire dans sa manière de procéder. Par exemple, si un ordinateur surpuissant peut battre Gary Kasparov, la façon dont l’homme et l’ordinateur jouent aux échecs sont radicalement différentes : le premier fait appel a sa capacité de saisie spatiale et de raisonnement logique, le second au pur calcul brute. 


    On ne peut donc que se situer sur le registre de la fiction de l’apocalypse robotique, comme on l’avait déjà fait pour le bug de l’an 2000 dont personne n’a rien vu et pour la fin du monde en 2012 ou encore le film Existenz… on pourrait imaginer que les hommes auraient un implant virtuel qui permettrait de regarder la TV sans écran, de communiquer par télépathie, sans téléphone, ni facebook… Mais, contrairement aux paraboles religieuses, les paraboles de contre utopie me semblent plutôt justifier une forme d’aliénation technologique similaires dans leur forme a l’alimentation du capitalisme que dénonçait Marx, elles ne permettent donc pas de former une morale rationnelle mais au contraire un esclavage rationnel…
    Sur ce , je m’en vais m’uploader sur un serveur avec processeur « indesintegrable », des fois que... 
    P.S : ma jeunesse n’est que dans mon apparence, à mon grand malheur…Je me demande où se cache mon portrait de Dorian Gray… 




    • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 4 mai 2012 22:10

      L’enfonçage de porte post-moderne a ceci de particulier qu’il aime faire des phrases,comme le marin d’antan.Simplement la capacitée à utiliser un jargon technique,inconnu du commun ,ça fait science,mais pas sens .


    • Najat Jellab Najat Jellab 4 mai 2012 23:46

      J’avoue que c’est tout le problème du commun smiley...


  • Najat Jellab Najat Jellab 4 mai 2012 22:28

    Ah au temps pour moi ! En effet, je n’avais pas saisi l’orientation de votre propos, vous parlez en fait d’une fusion réelle technologie/biologie par exemple on peut inclure les pace-maker, les stimulateurs neurologiques etc... donc penser au film Existenz était juste avec l’idée qu’on s’introduirait une puce et que par-la même nous deviendrions des substances multiples participant d’un même tout ?




    • Christian Labrune Christian Labrune 5 mai 2012 11:29

      Message envoyé hier soir, mais qui, apparemment, n’a pas été pris en compte par le système puisque je ne le vois pas. Je répondrai plus tard à vos autres remarques.

      Najat,

      J’ai très bien lu ce que vous m’avez écrit et je suis même d’accord : la peur de Dieu peut bien être dans les Psaumes considérée comme « le commencement de la sagesse », une religion un peu moins archaïque et primaire dira toujours le contraire. Madame de Sévigné s’interrogeant sur sa mort prochaine se demande avec angoisse si ce sera la peur « et la peur seulement » qui fera son « retour vers Dieu », auquel cas une conversion si tardive ne vaudrait évidemment pas grand chose. D’où, aussi, la paradoxologie d’un luther n’hésitant pas à recommander de pécher fortement (pecca fortiter) en s’en remettant à la miséricorde de Dieu. Pour dépasser une religion qui serait faite simplement de règles et d’interdits, il faut nécessairement tomber dans la mystique, dont nous avons déjà parlé, que ce soit celle de quelques chrétiens ou du soufisme. Je dis tomber parce que là les profondeurs du gouffre deviennent tout de suite très obscures, on est confronté à des états de conscience dont on ne peut pas parler, à ce que Jung et quelques autres appellent le numineux, et je vois bien que lorsque vous essayez de m’entraîner vers l’esprit de finesse cher à Pascal, vous voulez me faire admettre l’existence d’un domaine qui transcenderait langage et raison. En cela vous imitez un peu le prophétisme : vous auriez des antennes que je n’ai pas. Jeanne d’Arc entendait des voix. A moi, ces choses-là ne sont jamais arrivées. Je n’ai jamais eu aucune communication avec le divin. Rien qui ressemble à une illumination, à un chemin de Damas. La plupart des hommes en sont là. Ils ont déjà beaucoup de mal avec l’amour humain (s’il existe, dirait La Rochefoucauld !) dès lors comment voulez-vous qu’ils s’en tirent avec l’amour sacré d’un être invisible et impensable ? Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est imiter sans y rien comprendre les comportements qu’ils voient autour d’eux. Cela se fait naturellement, et là c’est moi qui vous rappellerai Pascal conseillant au libertin de se mettre à genoux, d’écouter des messes. « Cela vous abêtira », dit-il. Au terme de ce suicide de l’intelligence souhaitable selon lui, on commence à croire, même si on n’est pas touché par une grâce particulière. Ces contorsions, ces grimaces, ces imitations, vous avez pu les observer aussi bien que moi autour de vous, c’est la religion populaire. Au moins, quand on a peur et qu’on croit avoir intérêt à bien se tenir, même si on ne sait pas pourquoi, on est sincère. L’intellectuel, lui, a quand même les moyens de s’interroger sur l’ambivalence des sentiments, sur les arrière-plans de sa conscience. Il est capable de se demander s’il n’est pas en train de se raconter des histoires et s’il lui vient des extases, de faire tout seul un diagnostic d’hystérie.

      Pour ce qui est du mot islam, il tire son origine du verbe aslama qui signifie "s’en remettre, s’abandonner". Ainsi, Islam peut être traduit, dans le contexte religieux et voulu par Dieu, par "Répondre à la volonté ou à la loi de Dieu". Il en découle ainsi le mot Musulman qui est celui qui « se soumet à la volonté de Dieu ». Islam a aussi pour mot dérivé Salam qui signifie « paix », ce qui est la conséquence naturelle d’une soumission totale à Dieu.

      Le paragraphe que je viens d’écrire n’est évidemment pas de moi, je l’ai recopié et sans guillemets pour vous surprendre, sur un site auquel j’aurais cru pouvoir faire confiance ; en tout cas, il ne me paraît pas très catholique. Il est ici

      http://islamfrance.free.fr/introduction.html

      et vous voyez bien que si j’ai été trompé, je l’ai été par des musulmans qui osent parler ici d’une « soumission totale à Dieu ». Cela dit, il va falloir que je me résigne à mourir sans savoir le chinois ni l’arabe, ce dont je ne me consolerai jamais.



    • Christian Labrune Christian Labrune 5 mai 2012 11:44

      "Que vous ne soyez pas d’accord avec le fait que La Rochefoucaud soit une illustration de l’exemple de l’esprit de finesse me surprend."
      Najat,
      Vous avez raison de me critiquer : vous tiriez La Rochefoucauld du côté de Pascal et j’ai voulu montrer à quel point, philosophiquement, ils s’opposent, sans rien répondre, en fait, à propos de l’esprit de finesse. Mais c’est, et vous ne reconnaissez vous-même, que sans cette disposition particulière dont la définition pascalienne est bien fumeuse, aucune écriture, aucun art, même, ne seraient possibles. Cela dit, les plus grands écrivains sont de terribles rationalistes. Prenez la poésie de Baudelaire, celle de Mallarmé, prenez Flaubert : c’est extraordinairement pensé et construit. Si on ne comprend pas, c’est qu’on a lu trop vite. Sinon, chaque élément s’explique par tous les autres, il n’y a jamais la moindre contradiction avec le contexte. A chaque lecture, la compréhension s’enrichit de nouveaux rapprochements qu’on n’avait pas encore vus. L’intelligibilité du texte tend vers la perfection. A côté de cela, vous en avez d’autres qui peuvent paraître très subtils mais d’une subtilité un peu creuse : il vaut mieux ne pas trop réfléchir sinon on va douter du sens. C’est le cas de Verlaine, par exemple, ou de Rimbaud : personne n’a jamais été capable de dire ce que signifient certaines strophes du bateau ivre. Ce n’est pas de l’hermétisme, c’est de la purée mentale. On pourrait en dire autant des philosophes. Nous parlions de Husserl : c’est très subtil, mais si on ne comprend pas, on relit et on s’en trouve mieux. Avec Heidegger, ce serait plutôt l’inverse : plus on relit et moins on comprend. Quand une oeuvre est vraiment géniale, c’est que l’esprit de finesse et l’esprit de géométrie se sont rencontrés et je ne vois pas qu’il y ait jamais lieu de les opposer.


    • Christian Labrune Christian Labrune 5 mai 2012 13:19

      Najat,

      Si je vous ai parlé de la science-fiction, c’est pour vous dire qu’il convenait de ne pas en tenir compte parce qu’elle véhicule des fantasmes qui n’ont rien à voir avec une approche rationnelle des questions. La dialectique du maître et de l’esclave, par exemple, est bien celle qu’il convient d’écarter de toute urgence, tout aussi bien que les stupidités théoriques d’un Asimov.

      Je vous ai parlé de ces questions touchant à l’avenir de la cybernétique et des nanotechnologies parce qu’elles nous obligent à considérer ce qui nous attend à plus ou moins long terme et à confronter les extrapolations raisonnables qu’on peut faire aux révélations apocalyptiques des religions qui ne sont évidemment pas de même nature. Ce n’était qu’une manière de déplacer un peu la question des fins dernières tout en restant dans notre discussion autour de la question des religions.

      Il faut poser d’abord que ce qu’on appelle « intelligence artificielle » n’existe pas même si les machines sont capables, paradoxalement, de résoudre des problèmes mathématiques très complexes ou de nous battre aux échecs à plate couture. Il n’y a aucune machine existante avec qui je puisse converser comme je le ferais avec vous à propos de Racine ou de Bach. Si l’homme « est un être pour lequel il est dans son être question de son être », on ne peut dire cela d’aucune machine actuelle.

      Mais qu’est-ce que c’est que la conscience ? Je ne peux pas dire que mes perruches qui viennent d’atterrir près de mon ordinateur et me regardent écrire avec un air penché en sont complètement dépourvues : elles me reconnaissent très bien ; quand je me promène dans la rue en regardant les arbres et les vitrines, je ne suis pas sûr d’être beaucoup plus conscient qu’elles ne le sont en ce moment. Il y a des degrés dans la conscience, et par ailleurs, je ne suis pas idiot au point d’être incapable de concevoir un niveau de conscience très supérieur à celui dont je suis capable et à la limite à laquelle je suis condamné.

      Il semble que le développement de la conscience soit en raison directe de celui de l’encéphale, vous en conviendrez probablement, mais les échanges électro-chimiques dans notre cerveau ne diffèrent pas de ceux qu’on observe dans celui du hareng. C’est organisé autrement, il y a plus de neurones, les circuits sont plus complexes. Tout ce qu’on peut dire c’est qu’à partir d’un certain niveau de complexité, ça pense, et qu’une variation quantitative assez infime permet un saut qualitatif important.

      C’est ce que les informaticiens appellent une émergence. On s’est aperçu que lorsqu’on faisait interagir des petits robots très simples, capables par exemple de jouer au football, on observait des types de comportements résultant de leurs interactions et qui n’étaient pas a priori prévisibles : le tout devient plus que la simple somme des parties.

      Il y a donc tout lieu de supposer que dans une machine capable de simuler autant d’interactions qu’il s’en produit dans un cerveau humain – et même plus pendant qu’on y est
      - , on observera quelque chose qui ressemble aussi à la conscience. Le problème est simplement technique : on ne sait toujours pas très bien synchroniser les échanges entre des processeurs qui fonctionnent en parallèle et là, ce ne sont pas trois ou quatre processeurs comme sur nos ordinateurs de bureau qu’il faudrait mettre en oeuvre, mais une quantité prodigieuse, leur très grande vitesse de calcul permettant quand même à un seul de prendre en charge le contrôle d’un grand nombre de neurones virtuels. On commence aussi à comprendre le fonctionnement du cerveau (voir le dialogue entre Changeux et Ricoeur) mais on n’en est qu’au début.

      On n’en est donc plus depuis pas mal de temps à se demander si une machine pensante est concevable, ce qui était un faux problème, mais simplement à essayer de trouver les solutions techniques appropriées.

      Vous pouvez par exemple lire le bouquin d’Alain Cardon, chercheur à Paris VI et professeur d’informatique, qui s’intitule : « Modéliser et concevoir une machine pensante. Approche de la conscience artificielle ». A bien des égards, son « approche » me paraît contestable en ce qu’il inclut dans son cahier des charges des fonctions qui permettraient d’implémenter toute sorte de sentiments humains -et très humains !-, comme par exemple la peur. Et pourquoi pas l’amour  ? Il me paraît très clair qu’une machine pensante dégagée des contraintes qui conditionnent notre existence n’aurait pas exactement la même conception que nous d’un réel qu’elle appréhenderait tout autrement.

      Il faut donc se faire à cette idée qu’avant la fin du siècle, les machines penseront à peu près comme nous ; en tout cas, vous pourrez poser à Google ou à ce qui le remplacera des questions en langage naturel, du genre : « Le commerce des céréales en méditerranée, au IIe siècle, ça se passait comment ? ». Et au lieu de vous renvoyer à des pages internet, il vous fera une synthèse. Vous n’aurez même pas besoin d’écran : vous poserez la question en vous promenant dans la rue ou du fond de votre baignoire et il vous répondra comme un spécialiste à qui vous auriez téléphoné.

      De cela on peut être à peu près certain. Le reste est affaire de littérature, mais il n’y a pas lieu de penser a priori, qu’une créature plus intelligente que l’homme puisse être encore au même degré animée par des pulsions aussi abominables que les siennes.

      Au fond, s’il y a un jugement dernier, ce sera probablement celui des machines pensantes qui prendront inévitablement notre succession, mais à tout prendre, cela m’inquiète beaucoup moins que la sombre et divine brute de l’ancien testament !


      PS- Je n’ai pas parlé des nanotechnologies. Elles sont au coeur de toutes ces questions : nous maîtrisons encore très mal la matière, les pattes des processeurs ont la largeur d’autoroutes où l’on se proposerait de faire circuler des fourmis. Quand les assembleurs d’atomes sur lesquels on travaille seront au point – c’est l’affaire de quelques années- on pourra organiser la matière atome par atome et réduire encore la taille des dispositifs électroniques. Tout cela, je le répète, n’a rien à voir avec la science-fiction.


  • Najat Jellab Najat Jellab 5 mai 2012 16:05

    Bonjour Christian


    J’ai bien lu vos dernières remarques, fort intéressantes, mais cette fois-ci je vous prie de m’accorer quelques jours avant de vous répondre car je dois m’immerger dans quelques obligations urgentes. 
    Aussi, n’en profitez pas entre temps pour aller vous construire un nouveau veau d’or smiley ...

    • Christian Labrune Christian Labrune 5 mai 2012 16:49

      Najat,

      Je vous ai trouvé quelques sites assez sérieux sur les nanotechnologies et la cybernétique, sur l’Internet  :

      Introduction à la nanotechnologie moléculaire

      http://www.spirtech.com/flv/nano/

      Il y a surtout l’excellente revue « Automates intelligents », que je n’ai pas lue depuis longtemps, à cette page :

      http://www.automatesintelligents.com/

      Le bouquin d’Eric Drexler – Engines of creation-, paru en 86, est un classique, mais il est à juste titre un peu critiqué dans l’article de Wikipedia sur les assembleurs moléculaires, parce qu’il n’est pas toujours éloigné de la science-fiction. L’article est à cette page :

      http://fr.wikipedia.org/wiki/Assembleur_mol%C3%A9culaire

      Prenez votre temps et ne vous faites pas une obligation de me répondre : moi, je dispose de l’éternité étant -je ne vous l’ai pas dit- l’’imam caché du chiisme tout aussi bien que, le dimanche après-midi, la réincarnation d’un Julien l’Apostat très attaché au culte d’Isis et même à celui des dieux grecs. J’adore aussi Sol Invictus, comme Heliogabale.


    • Christian Labrune Christian Labrune 6 mai 2012 23:54

      Najat,

      Vous trouverez à cette page une intéressante interview d’Alain Cardon, publiée sur le site « Automates intelligents »

      http://www.automatesintelligents.com/interviews/2011/interviewcardon.html

      Cette interview porte sur un bouquin que je viens seulement de découvrir et qu’il a généreusement mis en ligne intégralement à cette adresse :

      http://www.automatesintelligents.com/echanges/2011/jan/livrecardon.pdf

      Ce qui m’agace, chez Cardon, c’est qu’il se réfère encore à Freud. Pour un scientifique qui a dû lire Popper, c’est un comble. Dans le bouquin que j’évoquais l’autre jour, il évoque même Heidegger. Bref, pour être convaincu, j’’aimerais bien voir l’architecture de ses programmes informatiques plutôt que sa littérature. C’est peut-être possible dans ce bouquin en ligne que je n’ai pas encore feuilleté.


  • Najat Jellab Najat Jellab 9 mai 2012 16:47

    Merci beaucoup, je regarde tous ces liens demain et vous reponds pour tout le reste aussi !


  • Najat Jellab Najat Jellab 13 mai 2012 01:34

    Christian

    J’ai lu la définition du mot islam que vous m’avez envoyée, et je sais bien que l’on traduit couramment islam par soumission sur de nombreux sites et publications, ce qui ne manque pas de déclencher ma colère, car comme vous le savez je traque la manipulation partout où elle peut se nicher et il n’est pas question d’abdiquer devant la férocité du cliché, même sous couvert de rhétorique, aussi intimidante soit-elle. Je vais donc commencer par renverser la question : comment le terme islam dans le sens de « soumission » pourrait dériver d’une racine comme salam (en hébreu shalom) signifiant « paix » ?
    On serait donc même prêt à s’engager jusqu’au révisionnisme de l’araméen dans l’espoir d’y trouver de quoi prouver l’incompatibilité de l’islam avec l’humanisme ? 
    Mais, consciente des ressources extraordinaires de l’héritage islamique, je vous réponds en toute confiance, et mets volontiers au défi quiconque avancerait le contraire : 
    la racine du mot islam est « slm » de laquelle dérive une multitude de mots en rapport avec la notion de paix ou d’intégrité . Ce qui donne par exemple :
    Salam alek : (littéralement) paix sur toi 
    Salamah : (nom) sécurité, bien-être
    Salim : (adjectif) intègre. 
    Salim est aussi un prénom dérivé de cette même racine « slm » qu’on retrouve dans le prénom Salomon, en hébreu « pacifique », ce roi biblique célèbre pour sa justice ou encore dans Salomé…
    Silm : (nom) paix, intégrité
    Muslim : (adjectif) celui qui éprouve ou se livre au silm, i.e : celui qui éprouve ou se livre à la paix, donc pacifique.
    Islam : (nom verbal) acte de devenir muslim soit acte de devenir pacifique, intègre…
    Aslama : (verbe) acte de se convertir à l’islam 

    Par ailleurs, le Coran oppose les croyants, donc les « musulmans », aux « koufar », traduit donc par « mécréants » « athées ». Ce terme dérive de la racine « kfr » qui en arabe, comme en hébreu, signifie « recouvrir », cacher ». Dans un sens premier, on désignait par le terme « koufar » les cultivateurs qui, pour planter, cachaient leur graines qu’ils recouvraient de terre. 

    Quel rapport me direz-vous entre les athées et ces pauvres paysans qui ne cachaient les graines qe pour faire leur travail en espérant donc en recueillir les fruits ? Pourquoi le Coran désigne les « non musulmans » par le terme de « koufar » ?

    Pour cela il faut entrer dans quelques considérations philosophiques car le Coran ne considère pas l’islam comme une nouvelle expression du monothéisme, ni une « nouvelle religion » dont le Coran serait un second « Nouveau Testament ». L’islam est en fait la foi et la nature originelle de chaque être humain. C’est à dire que l’homme naît musulman, qu’il a « par nature » l’islam pour religion, car, d’une manière innée, il est adorateur d’un Dieu unique, puisque son corps lui-même, ainsi que l’ensemble de la création qui l’entoure, obéissent à Dieu. Mais, c’est l’éducation et son environnement qui font de lui un chrétien, un juif ou un athée. Or Dieu lui donne un libre-arbitre, donc une autonomie qui lui permet de confirmer cette nature ou de l’ignorer ,de la dissimuler, s’il la dissimule, il fait partie des Koufar, donc de ceux qui « cachent ». Mais, même chez le pire athée qui puisse exister, il y a cette croyance qui existe en lui, dans sa chair, qui vit en lui, mais qu’il nie, en se dupant lui-même.
    Autrement dit, sont « koufar », ceux qui cachent ou refusent cette attestation de foi, cachent donc leur vraie nature de « musulman ». J’aurais presque envie de paraphraser Platon pour dire que les « non musulmans » sont ceux qui sont incapables de réminiscence et d’accéder à la vérité que chacun a en soi-même. 
    Pour mieux comprendre cette idée, de révélation de sa propre nature, le Coran considère Abraham comme « musulman » : de toute évidence Abraham n’avait pas connu l’islam en tant que religion révélée mais il était « musulman » en tant qu’il était «  juste », par sa foi en un Dieu unique :

    « Abraham n’était ni juif ni chrétien, mais il était monothéiste musulman. Et il n’était pas polythéiste » (Coran 3/65-67).

    Vous voyez donc que le terme musulman, ou islam, n’a aucune connotation péjorative de soumission ; sinon il faudrait pour le moins que son contraire connote une idée soit de rébellion soit de liberté... Tout au plus, s’agit-il de se soumettre à sa vraie nature pour être en paix avec soi-même car tout homme est « musulman » en ce qu’il a en lui cette vérité d’un Dieu unique. 

    Ceux qui traduisent islam par soumission sont aussi ceux qui traduisent volontiers le mot « païen » ou « polythéiste » par « chrétien » ou « juif » (dont je vous parlais dans un message précédent) à des fins de propagande abjecte et innommable quand tous les termes sont d’une distinction et d’une clarté on ne peut plus évidentes... Cette abjection profite du même coup à ceux qui cherchent de quoi nourrir leur antisémitisme et, par-dessus le marché, prennent des postures d’intellectuels, nous disant qu’ils voudraient bien raisonner autrement, mais que, hélas, la civilisation islamique est incurable ! Parmi ces derniers on peut ranger Michel Onfray qui avec son matérialisme sauvage, oublie que le siècle le plus morbide que l’humanité ait connu a été celui qui a vu s’affronter le national socialisme et le communisme, deux idéologies construites sur fond d’athéisme ; comme quoi à vouloir se faire plus nietzschéen que Nietzsche, j’ai peur qu’il n’éclate lui aussi. Sans compter que le triomphe de la philosophie matérialiste sonne le glas de la philosophie tout court. Ah mais j’oubliais, il n’y a là rien de surprenant en réalité : le matérialisme postulant que tout est matière, ne peut en aucune façon produire des idées, par définition. 
    Bref, entre ceux qui parmi les musulmans se sont autoproclamés détenteurs de la foi, ont confisqué le Coran, pour servir un ersatz criminel, et ceux qui démultiplient les démonstrations ignominieuses, je ne vois que les romans de Kafka pour décrire la situation du musulman aujourd’hui : subir un procès sans savoir de quoi on l’accuse !


  • Najat Jellab Najat Jellab 13 mai 2012 01:39

    Pour en revenir aux spéculations futuristes concernant les assembleurs moléculaires et une éventuelle conscience artificielle, j’ai bien lu tous les liens que vous m’avez envoyés et vous en remercie ! Si vous voulez connaître mon avis sur la question, et il est également partagé par d’éminents chercheurs qui ne le diront jamais tout haut : il est d’usage que les chercheurs et promoteurs de nouvelles technologies bluffent sur leurs possibilités, dans le but d’épater le public, mais surtout d’attirer des bailleurs de fonds. Pour exemple : combien coûte une conférence de citoyens sur les nanotechnologies ? 200 000 euros. Combien le Conseil

    Régional d’Ile de France a-t-il versé au centre C’Nano d’Ile de France en 2006 ? 4,7 millions d’euros. Investir 200 000 euros en relations publiques est donc tout à fait raisonnable, d’autant que cet investissement nourrit de nombreux débats d’éthique dans les media qui s’interrogent sur des problèmes totalement inexistants. C’est le cas des assembleurs moléculaires comme de la conscience artificielle qui ne sont que des concepts théoriques.

     

    Mais, supposons que tout soit pour le mieux dans le meilleur des mondes, et que, animés des meilleurs intentions, nous contemplions cette idée d’assembleur moléculaire : pourquoi aurait-on besoin d’en construire ?

     On voit bien évidemment un intérêt écologique dans le fait de fabriquer la même quantité d’énergie par exemple avec moins de matière – à supposer que notre système capitaliste s’oriente dans ce sens- l’éradication des maladies, et peut-être même la résurrection des corps cryogénisés… Tels sont en tout cas les espoirs qui réunissent les chercheurs, experts, investisseurs etc…

    Mais si on n’a pas vu  une quelconque capacité réelle à réaliser un objet complet, de taille macroscopique, à partir d’un assemblage atome par atome, c’est que la technologie avance dans le sens de la miniaturisation, mais n’illustre pas l’architecture contraire, à savoir partir des briques que sont les atomes et molécules pour construire une voiture…

    Mais pourquoi, en plus, des nanomachines autoreplicantes ? La seule chose proche de ce concept que nous connaissions c’est la cellule vivante. Qu’est-ce qui rend une cellule vivante capable de se répliquer ? Il faut, en plus, pour que l’organisme dont cette cellule fait partie, puisse vivre, qu’elle s’autoréplique en cellule fonctionnelle et en cellule souche. Alors comment reproduit-on artificiellement ce mécanisme propre au vivant ? Dieu merci, l’homme est encore loin de connaître la réponse.

    Mais cela permet d’en venir à l’autre point que vous posiez comme hypothèse : la conscience artificielle.Ce concept présuppose de considérer l’homme comme un ordinateur, avec à l’intérieur un logiciel composé de molécules (ADN), qui composent les gènes et les chromosomes.

    S’il est certain que le génotype conditionne le phénotype, c’est-à-dire les aspects physiques de l’homme, qu’en est-il des aspects psychologiques, de ce qu’on pet appelle la subjectivité, de ce qui fait de lui un sujet ? Est-ce que si, par exemple, j’aime jouer au tennis, ce talent trouve ses explications dans mes chromosomes, soit dans un certain arrangement de mes molécules ADN ? Autrement dit, l’homme serait conditionné par la nécessité intrinsèque à sa composition moléculaire, ce qui élimine d’emblée la possibilité d’un libre-arbitre. Supposons que la science arrive à prouver que c’est le cas, et que par exemple, j’aime le tennis par ce que j’ai un gène qui régule le métabolisme de mes muscles de sorte qu’ils subissent moins de crampes et d’essoufflement que les humains chez lesquels ce gène a muté différemment, et qui, eux préfèrent le yoga. Ma conscience aurait détecté cette particularité de mon génome, et aurait d’elle-même généré une pensée qui m’a poussée à me mettre au tennis. Du même coup, tous ceux avec lesquels j’ai pu jouer partagent sans doute ce même arrangement moléculaire de leur ADN. C’est seulement à cette condition de réification de l’homme qu’on peut intellectuellement concevoir une conscience artificielle mimétique de la conscience humaine.

    Or Alain Cardon précise lui-même dans son ouvrage que la pensée humaine ne saurait être identique à la conscience artificielle. Il reconnaît donc qu’il y a quelque chose de particulier dans les mécanismes du cerveau. Qu’il s’agisse de puces d’ordinateurs ou de processus biochimiques, la différence porte bien sur l’intelligence et non sur son support matériel. Mais tout en reconnaissant cette différence, les défenseurs de l’intelligence artificielle formelle vont jusqu’à prétendre que si ces aspects supérieurs de notre humanité ne peuvent être programmés alors ils ne sont que de simples illusions.

    Spéculations de scientiste complexé ?

    A commencer par sa définition de la conscience, ou plutôt sa non définition, Cardon décrit bien le processus de la pensée mais évidemment il ne peut pas la définir car il est confronté à la même impossibilité que l’ontologie de Dieu : on peut dire Dieu est ceci, cela mais on ne peut pas répondre a la question qu’est-ce que Dieu ?… Aussi, quand il prétend que par la construction d’une conscience artificielle, il réunira les différentes sciences de la conscience (psychanalyse, philosophie, neurosciences…), il ne fait qu’additionner différents modes d’appréhension et de connaissance de la pensée, mais en aucune façon il ne la définit. Or pour reproduire, il faut définir ; pas seulement par des attributs du type « la pensée est un système qui construit des formes dynamiques dont il garde la mémoire de la construction », cette définition qu’il donne, nous l’avons déjà grâce à la neurobiologie, mais ontologiquement, chimiquement, ou que sais-je, il nous faut bien définir ce principe actif si on veut le reproduire… Est-il donc plausible d’envisager une conscience artificielle quand on n’a pas défini la conscience elle-même ?

     


    • Christian Labrune Christian Labrune 13 mai 2012 11:51

      Najat,

      Ma connaissance des langues sémitiques est parfaitement nulle. Je suis par conséquent réduit à cette position assez inconfortable qui consiste à vous croire sans même pouvoir esquisser une argumentation. Que l’Islam soit la paix plus que la soumission, si vous le dites, je le veux bien, mais je vous l’ai déjà dit, l’Islam particulier de Najat Jellab ne me gêne pas plus que le christianisme tel qu’il est devenu, le shintoïsme ou le bouddhisme. Quand vous me dites que vous n’êtes pas athée, c’est à peu près comme si vous me disiez que vous n’aimez pas le Coca Cola dont je boirais, moi, des seaux entiers.

      Tout de même, il y a des choses qui me hérissent un peu. Je sais bien que l’homme, en principe, et du point de vue de l’Islam, naît musulman, mais ça n’est absolument pas mon cas. D’une manière innée, comme vous dites, je suis athée. On a bien essayé de me faire croire qu’il y avait un dieu mais je n’en ai jamais été intimement persuadé, même dans l’enfance. Je ne pouvais pas douter qu’il y eût une religion et un clergé, ils me cassaient suffisamment les pieds, mais je n’ai jamais pu admettre la notion de péché, encore moins l’hypothèse d’un enfer et d’un paradis, tout cela me paraissait d’un infantilisme vraiment comique. J’étais un sujet pensant autonome, et tout à fait cartésien sans le savoir. Celui que vous désignez comme « le pire athée » restera donc toujours pour moi le meilleur penseur. Dieu n’existe pas. Ou, si vous préférez, le concept de Dieu fabriqué par les religions existe bel et bien, mais l’être qu’il prétend définir est tellement sinistre et repoussant qu’il vaut assurément mieux pour lui et pour nous qu’il ne soit pas.

      Je pensais, à vous lire récemment, que vous étiez du côté de la phénoménologie, et voilà maintenant que vous utilisez la théorie platonicienne de la réminiscence, comme s’il y avait des arrière-mondes. Vous me permettrez de vous faire remarquer que s’il faut renoncer à cette belle fiction purement littéraire des réminiscences, votre argument n’est que flatus vocis.

      Vous me parlez encore d’Abraham. Je sais bien qu’il est aussi récupéré par Muhammad, mais à votre place j’éviterais d’évoquer ce personnage lorsqu’il s’agit de parler de la soumission à Dieu puisqu’aussi bien c’est de là que notre discussion est partie, je vous disais qu’Abraham était à la source même du fanatisme présent dans toutes les religions du Livre. Ce sinistre personnage n’est en effet connu que par un acte de soumission inconditionnelle tout à fait choquant. Regardez la peinture classique : s’il y est question d’Abraham, ce qui est peint, c’est toujours le sacrifice et rien d’autre, ce qui n’empêche évidemment pas l’esquisse de Rubens, au Louvre, d’être un pur chef d’eouvre.

      L’islam n’est certes pas la seule religion à avoir fait ses choux gras de cette fable, mais enfin les musulmans réels, ceux que je vois, ceux à qui je parle, font de cette soumission – peut-être à tort – quelque chose de tout à fait essentiel ; en vingt ans, l’influence du wahhabisme en France a été telle qu’un musulman qui, aujourd’hui refuserait le jeûne et boufferait du cochon se percevrait lui-même comme une sorte de monstre ; un tel comportement lui ferait peur. Ca, c’est l’islam réel, et quand vous vous emportez avec des mots très durs à propos de toutes ces fausses croyances, vous me faites un peu penser à un inquisiteur chrétien chargé de débusquer l’hérésie et de la combattre. Vu par moi, cela n’a rien à voir avec les vérités scientifiques, lesquelles sont toujours falsifiables ; c’est croyance contre croyance, et je ne peux pas donner raison aux uns plutôt qu’aux autres. Tous se réclament d’une même fable et pourtant je les vois tout à fait prêts à s’étriper, ce qui serait comique si ces sortes de différends, en général, ne finissaient pas dans la tragédie.

      Je ne dirais pas que le communisme et l’athéisme se sont construits sur fond d’athéisme. C’est même le contraire. Le communisme est une nouvelle religion munie d’une très sérieuse eschatologie pas si éloignée que cela de la chrétienne. Il n’y aura certes pas de résurrection, mais à la fin de l’Histoire, la terre sera le paradis et ceux qui n’y croient pas sont des mécréants qu’il faut combattre. Hitler n’a jamais renié le christianisme, particulièrement dans sa tendance antisémite. Il avait encore plus d’admiration pour l’Islam parce qu’il y voyait -probablement à tort – une disposition à la soumission qui convenait à ses vues sur le monde, et on sait très bien que l’armée de Rommel en Afrique du nord a su tisser des liens assez étroits et durables avec les autorités locales. Quand on se rencontre aujourd’hui, dans le Hezbollah on fait encore le salut hitlérien. Vous me parlez d’Onfray. Il analyse très bien, dans son traité d’Athéologie, ces sortes de connivences, et la sinistre entreprise du mufti de Jérusalem qui n’a pas été sans conséquences sur la crise désormais chronique entre Palestiniens et Juifs.

      Le nietzchéisme d’Onfray me fait rigoler autant que vous. Mais je ne parlerais pas du matérialisme sans prendre des pincettes. C’est un terme qui renvoie au XIXe siècle, à une époque où on ne savait encore presque rien de la matière. On voyait l’atome comme quelque chose de consistant et de massif, comme les briques dont on fait les murs ; on ne savait pas encore qu’il était plein de vide et pas du tout insécable, que la réalité ultime ne serait probablement jamais accessible à l’expérience sensible : les accélérateurs font bien voir les traces des particules constituant les atomes, et celles de leurs collisions, mais on ne sait guère de quoi elles sont faites ; bref, depuis l’école de Copenhague, on cherche la matière et plus on la cherche, moins on la trouve, elle existe surtout dans les équations des physiciens. Les réalistes (Einstein était de ceux-là) continuent à penser qu’il existe bien quelque chose au-delà des équations, mais beaucoup préfèrent suspendre leur jugement et pratiquer l’épochè de la phénoménologie. La notion de matière est donc une aporie qu’on ne peut plus manipuler sans précautions.

      Quand vous écrivez que « le matérialisme postulant que tout est matière, ne peut en aucune façon produire des idées, par définition. » et qu’il signerait donc par là la fin de toute philosophie, je trouve donc que vous allez un peu vite en besogne et que vous nous reprenez les accusation des spiritualistes de l’âge classique contre les « pourceaux d’Epicure ». Mais ce sont là de simples anathèmes, lesquels n’éclairent rien du tout. Le matérialisme est né en même temps que la philosophie grecque, il perdure très bien de Démocrite à Lucrèce, et relisant il y a quelques mois le De rerum natura, j’était particulièrement frappé de la puissance d’une pensée dépourvue de tout moyen technique d’appréhender son objet et qui s’accorde pourtant si bien avec les conceptions les plus modernes de la physique. Les conséquences qu’en tire Lucrèce sur la croyance à l’existence des dieux, elles aussi, n’ont pas vieilli d’un poil. Elles vous choqueraient grandement !

      Vous m’amusez beaucoup quand vous évoquez les musulmans criminels qui ont confisqué la foi et propagent l’erreur. Au risque de vous choquer, j’aurais plutôt tendance à considérer que les salafistes (pour qui je n’ai pas beaucoup de tendresse !) sont les vrais musulmans, comme les vrais chrétiens sont ceux qui, à Paris, se réunissent à Saint-Nicolas du Chardonnet pour des messes en latin organisées selon le rite de Saint Pie V et sont lepénisés jusqu’à la moelle. Les catholiques que je peux voir dans ma propre famille, qui se marient à l’église, font baptiser leurs enfants, passent par l’Eglise avant d’aller au cimetière mais pour le reste se foutent de Dieu comme du diable, sont en vérité d’abominables hérétiques et si j’étais inquisiteur, je les enverrais au bûcher sans hésiter. Si Dieu existait, je peux vous assurer qu’ils iraient tout droit en enfer. En tout cas, le bon Dieu qui, depuis Constantin, est toujours du côté du manche, serait assurément du côté d’un Front national tout-puissant. Je le soupçonne même d’avoir quelque peu bourré les urnes aux dernières élections !


      Je ne vous réponds pas tout de suite à propos de l’intelligence artificielle. Je suis dans le bouquin de Cardon, qui m’agace un peu. Et je vous parlais des assembleurs moléculaires comme de quelque chose qui existerait presque, mais il faut mettre un bémol. C’est qu’il y a trois ans que je n’ai rien lu sur ces questions ; j’avais fini sur le bouquin de Drexler, lequel est exagérément optimiste, j’avais bien cherché à me documenter ensuite sur les assembleurs, mais à la bibliothèque de Beaubourg, je n’avais pas trouvé grand chose . Sur le nanotechnologies, il n’y a même pas un mètre de rayonnage, c’est soit de la vulgarisation sans intérêt, soit des études très pointues qui renvoient cruellement le lecteur curieux que je suis à son incompétence.


  • Najat Jellab Najat Jellab 14 mai 2012 02:17
    Christian, tout d’abord je n’utilise pas la théorie de la réminiscence pour vous convaincre de quoi que ce soit, je vous citais Platon pour aider votre esprit à mieux se représenter la philosophie du Coran qui lui est étrangère. Et comme en lisant des dilaogues tels que le Phedon ou le Banquet, on ne peut s’empêcher de constater des similarités avec des passages du Coran (la hiérarchie ontologique, l’idée qu’il y a plusieurs mondes repartis en degrés et non en opposition, le concept de beauté etc), il ne me semblait pas choquant de vous citer un philosophe que vous connaissez dans cet objectif didactique et non persuasif. 


    Quand vous parlez de musulmans réels, je ne sais pas de qui vous parlez. De vos voisins ? Des musulmans de France ? des musulmans d’Indonésie ? Des Musulmans de Chine ? qui sont ces musulmans réels ? Je ne suis pas réelle moi ? 
    Ce n’est pas croyance contre croyance qui s’affrontent, comme vous le prétendez avec votre relativisme récurrent, c’est lecture contre méconnaissance des textes, toute la différence est là. Et justement, comme il s’agit de lecture contre non lecture, il n’y aura jamais d’affrontement tragique des uns contre une éventuelle hérésie des autres : en tant que lectrice, il ne me viendrait jamais à l’idée d’aller en guerre contre quiconque car je sais bien que la première défense dans l’islam, c’est la fuite, laquelle est la seule possibilité de paix quand les circonstances y obligent. Ainsi, quand Mohammed a été attaqué à la Mecque, il a fui à Médine, (l’Hégire), puis, pour éviter une guerre incertaine contre les polythéistes de Quraish à Médine, il a signé un traite de paixdans lequel il acceptait notamment qu’on ne reconnaisse pas en lui l’envoyé de Dieu. Ce traité défavorable aux musulmans est qualifié de victoire dans le Coran, car l’imperatif premier, c’est la paix, condition préalable à la propagation du message.
    De même, v nous, musulmans, quand nous sommes confrontés à des conditions hostiles, nous ne nous révoltons pas, nous émigrons ! Sauf si vous me citez le printemps arabe mais c’est une exception qui signe peut-être une ère nouvelle, sans doute un rapport nouveau à l’islam, qui n’est pas étranger non plus au succès des partis islamistes : si on lit moins, on est moins imprègnés par la philosophie de non violence intrinsèque à l’islam, et donc plus poussés à se révolter. Ce qui n’est évidemment pas une mauvaise chose en soi, mais je ne fais que constater la concomitance. Tout naturellement, les partis islamistes emportent les élections libres. Mais comme vous le savez, je suis d’un tempérament hegelien et sais reconnaître la rose dans la croix : ce succès du négatif finira par engendrer son contraire. 
    Par conséquent, ne vous réjouissez pas à la perspective d‘un affrontement entre mes semblables et les éventuels « faux croyants », vous êtes encore trop imprégné par l’histoire du christianisme en même temps que par la méconnaissance de l’islam de sorte que vous fantasmez des scènes totalement improbables. S’il y a affrontement, ce sera entre ignorants et d’autres ignorants, mais non entre lecteurs et non lecteurs. 

    En attendant, je ne vois pas comment on peut être musulman (réel comme vous dites) si on ne lit pas le Coran. Comment peut-on être un réel épicurien si on n’a rien lu d’Epicure (même s’il ne nous reste pas grand-chose de ses œuvres) et qu’on se contente de considérer l’épicurisme comme un culte des orgies ou de la simple consommation barbare comme le veut la croyance propagée par le christianisme ? Réciproquement, on ne peut pas prétendre être un musulman réel si on considère l’islam, conformément à la propagande « islamophobe », comme le culte de la morbidité et du masochisme. Vous voyez donc que ce que vous appelez l’islam réel, vous ne l’appelez ainsi que pour servir la propagande de l’athée que vous êtes et qui prêche pour sa propre paroisse. Je ne m’attends pas à autre chose de votre part, mais j’espère tout de même que vous comprenez ces différences de catégorie. 
     Idem pour les chrétiens de saint Nicolas du Chardonnet que vous qualifiez de vrais chrétiens.
    Moi j’ai plutôt l’impression qu’il s’agit de chrétiens qui ont un certain goût pour l’ancien, les prêtres en soutane et la messe en latin, ce qui a aussi son charme…Mais qu’ils soient contre Vatican II n’en fait pas des chrétiens plus réels, le message divin ne change pas au gré des vicissitudes de l’église romaine. Si en plus, vous ajoutez qu’ils votent pour le Front National et relisent l’Action Française, adorent aussi bien le Christ que Charles Maurras, vous introduisez là un combat politique qui n’a rien à voir avec la religion, même si celle-ci sert à le dissimuler. 
    Voyez que je ne parle pas pour la chrétienne que je ne suis pas, mais simplement pour l’intellectuelle que j’espère être. 

    Vous revenez constamment sur la figure d‘Abraham et jusqu’à présent, je n’ai pas pris le temps de vous répondre sur ce point, par paresse, veuillez m’en excuser. Mais je vois qu’il est nécessaire de mettre fin à ce malentendu. 
    Pourquoi Dieu a-t-il pu demander à Abraham le sacrifice de son fils ? Comment une telle ignominie est-elle possible, venant de Dieu ? Il vous est facile, grâce à cette interrogation rhétorique de démontrer que Dieu apprécie seulement un Abraham soumis et déterminé à commettre même l’impensable plutôt qu’un Abraham révolté. 
    Pour vous aider dans votre argumentation, j’ajouterais que non seulement Dieu demande à Abraham de sacrifier son fils mais en plus le seul fils qu’il a tant désiré avoir de Sarah, (que ce fils soit Isaac né de Sarah ou Ismaël né de Hajar, cela ne change pas le fond de la question) et que Dieu a fini par lui accorder. Donc après avoir accompli sa promesse de lui donner un fils, voici que Dieu veut le lui arracher de la façon la plus cruelle qui soit. 
    Et que faut-il penser d’Abraham se prêtant à un infanticide pour obéir à Dieu ? N’enfreint-il pas l’ordre formel de ne pas commettre de meurtre, opposant ainsi Dieu à Dieu ?

     La Bible de Jérusalem, nous apprend que le rite cananéen des sacrifices d’enfants s’était introduit en Israël et qu’il était pratiqué dans la vallée de la Géhenne (note h, de Lévitique 18, 21). Le premier ordre de Yahvé n’est donc rien d’autre qu’une référence à la coutume qui contraint les pères à brûler leur premier-né.
    Si on tient compte de cette pratique archaïque, l’épisode du sacrifice d’Isaac prend une tout autre signification : la suite du récit nous apprend qu’Abraham n’immolera pas son fils comme il aurait dû le faire pour un dieu tribal et jaloux. A la place, il sacrifiera un bélier. Donc à l’homme se substitue l’animal 
    Ainsi, pour faire comprendre à Abraham qu’il fait erreur sur la volonté divine, Dieu se comporte avec lui comme un « pédagogue ». Si, dans un premier temps, Dieu accepte d’être pris pour un Dieu idole, c’est pour mieux se révéler comme un Dieu libérateur. Car, en arrêtant le sacrifice, Il libère Abraham de la pratique qui consiste à sacrifier son propre fils.. Le Dieu qui semblait contraindre Abraham à sacrifier Isaac est, à l’évidence, le Dieu de la violence, celui de la tradition et des cultures anciennes, alors que le Dieu qui lui fait libérer Isaac pour le remplacer par un animal, c’est le Dieu qui parle au cœur des hommes libérés des lois tribales.
    L’agressivité qui se décharge sur un objet de rechange (bélier, bouc émissaire…) est caractéristique des groupes sociaux évolués. Dans ce processus culturel, les sacrifices d’animaux ont permis de détourner la violence interindividuelle sur des objets de substitution comme l’a si bien montré René Girard. 
    Vous comprenez donc que cette demande en apparence terrible d’un Dieu tyrannique est tout le contraire : elle marque la naissance de la civilisation.
    Par ailleurs, ii j’étais chrétienne, j’ajouterais que Dieu a bien sacrifié son propre Fils, et ce jusqu’au bout, pour notre salut… 

    Quand je dis que le matérialisme ne peut pas produire d’idées, les faits me donnent raison : je vous prie de me citer un philosophe de l’envergure de celle d’un Hegel ou d’un Husserl, depuis que la philosophie de ces matérialistes sauvages a décidé non pas de mettre Dieu à la porte, mais de le tuer . A la place de Dieu, ils ont tue la philosophie. Je vous entends déjà me répondre que la phénoménologie est athée. Mais si c’est bien une philosophie descriptive qui se veut méthodologiquement athée, la réduction phénoménologique d’Husserl ne demande pas de cesser de croire, elle rend possible une purification éthique de l’expérience religieuse qui permet d’en élucider le sens : la transcendance de Dieu ne peut être sépare de l’intentionnalité dans laquelle elle se donne. Dieu comme Idée pratique infinie laisse ouverte la question de la Révélation. 

    Pour me donner tort, vous vous empressez d’invoquer les matérialistes antiques Mais si le matérialisme d’Epicure - repris par Lucrèce- affirme en effet qu’il est possible d’être heureux, qu’être heureux c’est comprendre qu’on est de la matière pensante, avec des besoins à satisfaire, les dieux sont remis en cause, mais ils existent. Ils existent pour eux, et n’interfèrent pas avec nous. Lucrèce ne dit pas autre chose. Ils ne dit pas les dieux n’existent pas. Tantum religio potuit suadere malorum… Sans doute pensait-il du sacrifice d’Iphigenie ce que vous pensez du sacrifice d’Abraham, (vous notez qu’Iphigenie aussi a été remplacée par une biche, car il n’y a pas de dieu irraisonnable…) mais constatez aussi que si la piété n’est pas l’accumulation des sacrifices et des rituels, comme le croient les prêtres et la foule selon Lucrèce, les dieux sont un modèle pour l’homme par leur bonheur, sérénité, leur ataraxie. Vous ne pouvez donc pas dire du matérialisme d’Epicure ou de Lucrèce qu’il est athée a proprement parler.
    Quant aux intuitions scientifiques du De Natura, les atomes n’étant ni insécables, ni éternels, ni plein, on ne peut envisager son atomisme qu’avec le sourire de celui qui salue l’effort de rationalité mais aussi le sarcasme de celui qui connaît la suite de l’histoire des sciences… 
    Quand je vous parle donc du matérialisme, sauvage d’un Onfray et autres, je parle de ceux qui ont oublié le principe de précaution de leurs maîtres, lesquels ne s’étaient jamais risqués à dire que Dieu n’existait pas, et qui nous balancent que l’atheologie est le nouvel ordre et seul véritable de la pensée ! 

    Pour en revenir au communisme comme étant bâti sur fond d’athéisme, je crois que ce n’est un secret pour personne et je ne vais pas enfoncer des portes ouvertes. J’ai peut-être juste oublié de préciser que je ne parlais pas d’un socialisme à la Paul Lafargue ou à la Oscar Wilde - je suis la première à rêver de l’âme de l’homme sous le socialisme- en ce sens vous avez raison de parler d’une eschatologie communiste proche de celle des religions…Mais quand Staline étouffait les religions pour mieux servir son propre culte de la personnalité il fondait cette politique sur l’idéologie communiste… 
    Les nazis eux ont démantelé les organisations chrétiennes, confisqué les biens de l’Église, censuré les journaux religieux. Je cite : 
    « Le dogme du christianisme s’effrite devant les progrès de la science. La religion devra faire des concessions de plus en plus. Peu à peu, les mythes s’écroulent. Tout ce qui reste est de prouver que dans la nature il n’y a pas de frontière entre l’organique et l’inorganique. Lorsque la compréhension de l’univers sera généralisée, lorsque la majorité des hommes sauront que les étoiles ne sont pas sources de lumière mais des mondes, peut-être des mondes habités comme le nôtre, alors la doctrine chrétienne sera reconnue coupable d’absurdité." Hitler, le 14 octobre 1941…

    Que le Hezbollah- né en 1982 à la suite de l’invasion du Liban par l’armée israélienne- et le Hamas aient repris le salut nazi lors de leurs défilés n’est en aucune façon un signe de connivence entre la religion - musulmane qui plus est- et le nazisme, mais le recours à la violence symbolique du geste pour compenser l’impuissance à riposter efficacement à la violence réelle. 
    Il y en a d’autres qui qualifient l’Etat d’Israël de régime nazi, ou d’apartheid, cela ne démontre pas pour autant la connivence du judaïsme avec le nazisme ni avec la ségrégation ; ce qui serait absurde… Mais je relève par la même occasion que la propagande sioniste réussit son tour de force qui consiste à tenter d’impliquer les Palestiniens et les Arabes dans le génocide juif… Pour nourrir cette lecture aberrante de l’histoire, les sionistes mettent en exergue, comme vous le faites, le mufti Al-Husseini comme s’il avait été un rouage essentiel de la machine nazie et de l’échec du processus de paix. J’en pousse un éclat de rire. Mais de cette façon, ils réussissent à faire croire que les Arabes étaient mus par la même volonté génocidaire que les nazis, et que donc l’expulsion des Palestiniens en 1948 et leur oppression continue ne sont que de la légitime défense. 
    Combien d’Arabes ont combattu dans les rangs de l’Axe comparativement au nombre de ceux qui ont combattu dans les rangs de l’armée britannique et de la France Libre ? On n’a pas vu Al Husseini au tribunal de Nuremberg que je sache. 
    Ensuite, en tant que chef de clan nationaliste, il s’est opposé aussi bien à la création de l’Etat d’Israël qu’au Roi Abdallah Ier. Alors si vous considérez que le nationalisme palestinien de 1948 est la cause de l’enlisement du conflit israélo-palestinien, je vous conseille d’une part de vous instruire sur les mouvements nationalistes et indépendantistes du Moyen Orient de l’époque, et d’autre part, d’aller passer quelque temps sur place, cela vous fournira des explications plus plausibles aux avortements répétés du processus de paix …


    • Christian Labrune Christian Labrune 14 mai 2012 11:18

      Najat,

      J’admire votre art d’essayer de noyer le poisson ! Je ne vois pas en qui la théorie de la réminiscence, si elle est fausse, pourrait me servir à comprendre le Coran. S’il y a une affinité entre la conception platonicienne et celle du Coran, la fausseté de l’une n’est propre qu’à attirer l’attention sur la fausseté de l’autre. Le néoplatonisme des conciles chrétiens, de la même manière, ne plaide certainement pas en faveur d’une vérité des concepts théologiques par eux pondus.

      Quand je parle d’un islam réel, il ne me semble pas non plus qu’on puisse dire que ce soit dans une intention délibérément sophistique. Je ne vous parle pas d’une essence de l’islam, mais de celui qui se présente, comme phénomène, à ma perception de citoyen français vivant à Belleville. Si, quand je vais sur le marché je ne voyais pas d’emblée une multitude de femmes couvertes d’un foulard et un fort grand nombre d’autres qui se présentent ostensiblement comme des objets sexuels empaquetés des pieds à la tête, je ne penserais ni à la gaudriole ni à l’islam. Mon approche de la question est purement phénoménologique et c’est vous qui nous renvoyez à je ne sais quelle essence qui émanerait des textes et de leur lecture correcte.

      Je ne serais assurément pas confronté à ces sortes de « phénomènes » et à bien d’autres - mais je donne à celui-ci une fonction allégorique pour les résumer tous – si mes compatriotes musulmans lisaient le Coran comme vous le faites et s’ils étaient eux aussi imprégnés de cette « philosophie de non-violence intrinsèque à l’islam » que, lecteur moi aussi du Coran, je n’ai encore jamais vue. On trouve tout, dans ce livre, tout et son contraire, c’est une véritable auberge espagnole et ce n’est pas en contextualisant les sourates que vous parviendrez à convaincre quiconque.

      Quand je vous disais que les querelles théologiques conduisaient généralement à des violences, c’est surtout au christianisme que je pensais, je ne sais pas trop ce qu’il en est touchant à l’islam, encore que les sunnites et les chiites n’aient pas toujours fait bon ménage, c’est le moins qu’on puisse dire, mais c’est là une question secondaire, et je serais bien le dernier à me réjouir que les tenants de conceptions religieuses opposées dans l’islam ou toute autre religion en viennent à s’entretuer comme vous paraissez le supposer.

      Le fait est que les musulmans « réels » ignorent complètement le Coran, même si on les a forcés à en apprendre par coeur des sourates qu’ils récitent comme des perroquets. Je ne saurais le leur reprocher, étant bien convaincu par ailleurs que les solutions pour vivre en bonne intelligence avec ses semblables dans le monde actuel ne sont certainement pas à trouver dans un corpus de textes concoctés à la fin du haut moyen-âge, pour des gens de cette époque et de nulle autre. Un certain nombre de musulmans commencent à proposer une « grève du ramadan », vous le verrez en interrogeant Google, et refusent le jeûne et les tarfufferies qu’il engendre. C’est bon signe !

      A cet égard, je trouve rigolo, quand je vous parle des intuitions scientifiques dans la théorie des atomes de Lucrèce, elle-même héritée des spéculations d’un penseur à la charnière des Ve et Ive siècles avant J.-C., que vous vous en moquiez, sans même historiciser la chose (c’est pourtant votre péché mignon !), sous prétexte qu’on n’y trouve pas encore l’idée que les atomes sont formés de particules ! Je voudrais bien que les discours de nos religions puissent approcher autant d’une définition exacte de la nature des choses que ces textes antérieurs à la révélation chrétienne. S’il existait un Dieu soucieux de communiquer la vérité aux hommes, il aurait été infiniment plus généreux avec Démocrite et Epicure qu’avec aucun autre prophète de l’ancien testament et des dernières révélations. Or, ces penseurs sont extrêmement proches de la zone de moindre erreur (ne parlons pas de vérité), mais ils ne se réclament d’aucune inspiration venue d’en haut, ils ne prophétisent pas, ne se réclament que de la simple raison et leur théories, du reste, n’ont jamais conduit les hommes à s’entre-tuer.

      Ce que je vous dis là ne ressemble en rien à la propagande d’un athée qui « prêcherait pour sa propre paroisse ». Les théories touchant à l’atomisme, de Démocrite à Rutherford, sont toutes complètement fausses ou insuffisantes comme le seront bientôt les théories actuelles. J’ai la plus grande admiration pour l’oeuvre de Descartes mais ses conceptions touchant à la médecine ou à la cosmologie sont aujourd’hui ridicules, il n’y a absolument rien à en tirer si on veut comprendre le monde tel qu’il est. Elles peuvent intéresser le physicien cultivé curieux de l’histoire de sa discipline, mais s’il les ignore, cela ne risque pas de l’empêcher de faire des découvertes. Pour progresser dans les sciences comme dans la philosophie, il faut savoir faire table rase des anciennes croyances et faire confiance à sa raison. C’est ce que n’hésite pas à faire Wafa Sultan, dont vous trouviez naguère la lecture intéressante et la critique nécessaire. Je ne sache pas qu’elle s’oppose à ce qui lui paraît monstrueux dans l’islam, en particulier par rapport à la condition des femmes, en prônant une « vraie » lecture du Coran. Elle parle simplement en rationaliste, elle fait le ménage et n’essaie pas de faire du neuf en bricolant du vieux.

      En parlant d’Abraham et de son sacrifice, je vous avais dit qu’il s’était trouvé bien des gens, du côté des religions comme de la psychanalyse (cette fumisterie), pour justifier la chose en la contextualisant, mais que c’était irrecevable. Or, vous ne trouvez rien de mieux que de m’imposer l’interprétation classique : Dieu n’est pas un salaud, il veut donner une leçon à Abraham pour lui faire comprendre qu’il faut cesser les sacrifices humains. Mais ce que vous ne voyez pas, c’est qu’il convient d’inverser la perspective, de se placer non pas du côté des raisons de Dieu, mais du côté des choix de l’homme et de sa liberté. Je me soucie des raisons inaccessibles de Dieu comme d’une guigne. En revanche, du point de vue de l’homme, c’est tout autre chose. Un type qui entend des voix, qui se croit inspiré par une entité céleste dont l’existence reste à prouver, -c’ est le délire de tous les paranoïaques- n’hésite pas à lever le couteau sur son plus proche semblable. Laissons de côté l’hypothèse de Dieu et sa responsabilité dans l’affaire, si vous le voulez bien  : je dis que ce bonhomme est soit un fou soit une crapule (au sens étymologique du terme) de la pire espèce. Il est l’exemple même de la folie furieuse des fanatiques. Un de ses derniers fils spirituels, c’est Mehra. S’il faut contextualiser ces textes pour des fidèles peu instruits, ce qu’il importe de leur dire, c’est que tout cela est complètement archaïque et qu’il n’y a rien à en tirer pour l’homme moderne. J’ajouterai que toute référence à Girard est pour moi calamiteuse. La théorie de ce bonhomme, qui veut touiller une nouvelle sorte de psychanalyse à la sauce chrétienne, c’est le charlatanisme incarné.

      Passons maintenant à l’histoire. Les gens du Hezbollah, me dites-vous, font le salut nazi parce qu’ils n’ont pas le choix. Quand on ne jouit pas d’une position dominante, donc, on peut bien donner par désespoir un petit coup de chapeau à la mémoire d’Adolf Hitler -dont on ne sait probablement pas grand chose ?- et il n’y a sans doute pas d’autre solution à inventer. C’est ça ou rien. On pourrait tout aussi bien dire que pour les Allemands quelque peu étranglés après la grande guerre par le traité de Versailles, c’était Hitler ou rien. Il faut les comprendre, après tout, ces pauvres Allemands, ils n’avaient que ça, ils n’avaient rien d’autre. Et dans la situation de crise que traversent actuellement la France et l’Europe, il y a la blonde Walkyrie du FN. Et rien d’autre ? Entendons-nous bien, Najat, je ne suis pas en train de vous accuser de justifier le fascisme, je vous connais assez maintenant pour savoir que vous seriez la première à prendre les armes pour lutter contre toute barbarie, mais il est de bonne guerre, tout de même, que je fasse se refermer sur vous le piège rhétorique où vous prétendiez m’enfermer !

      Je n’ai jamais été passionné par le conflit palestinien, il n’y a à peu près deux ans que je m’y intéresse ; j’avais dès longtemps remarqué que l’antisionisme, en France, était surtout la forme suppurante autorisée de l’abcès antisémite mais je n’y pensais pas plus qu’à l’occupation du Tibet par les Chinois. C’est seulement quand on a prétendu me faire avaler les délires d’un Shlomo Sand que je me suis dit que cela suffisait et que j’ai commencé à étudier une question que je connais encore nécessairement moins bien que vous, mais suffisamment tout de même pour n’ignorer pas le rôle abominable joué par Mohammed Amin Al-Husseini, le tonton d’Arafat. Il est peut-être souvent évoqué à des fins de propagande, mais il n’a rien d’un personnage imaginaire. Ce que vous m’en dites me fait penser à un article du Monde diplomatique que je pourrais sans doute retrouver, et qui est aussi un article de contre-propagande, visant à nier les faits. Le Monde diplomatique, c’est le journal dont l’adjoint au directeur est Alain Gresh, un bon copain de Tarik Ramadan.

      Je ne vous ai toujours pas répondu à propos de l’intelligence artificielle. Je m’y collerai peut-être demain.


  • Najat Jellab Najat Jellab 15 mai 2012 01:27

     Franchement, quand je lis vos objections, je me demande quelle est la part de mauvaise foi, ou de provocation qui est la vôtre, - ce qui ne me déplaît pas - et quelle est la part de réelle incompréhension. Quand vous me dites par exemple que je noie le poisson en comparant certains concepts du Coran à des conceptions platoniciennes, encore une fois, vous ne pouvez pas attendre de la vérité théologique qu’elle soit de l’ordre de la vérité scientifique : la raison pure n’est pas la raison pratique. 

     Je sais bien que je ne vous convaincrai de rien, mais si vous êtes lecteur du Coran comme vous le dites et que vous y voyez toujours tout et son contraire, soit nous ne lisons pas du tout le même texte, ce qui me surprendrait, soit vous n’avez pas les moyens d’une mise en contexte absolument nécessaire car de nombreux passages sont liés aux problèmes spécifiques de l’Arabie et de sa zone d’influence de l’époque et il faut en connaître le contexte politique et culturel, sans quoi il est très hasardeux de s’aventurer dans une explication des versets non explicites ce qui peut vous les rendre contradictoires ; sans compter que son ordonnancement n’est pas chronologique mais présente les sourates dans un ordre censé en faciliter l’apprentissage par cœur. Il faut donc en plus rétablir les sourates selon un ordre à peu près chronologique soit les versets dits « de La Mecque » avant ceux dits « de Médine ».

     Vous m’avez fait rire avec votre tentative de me piéger dans ma propre rhétorique, c’est en effet de bonne guerre. Vous avez évidemment deviné que je n’ai aucune sympathie pour le Hamas ni pour le Hezbollah, mais j’ai encore moins de sympathie pour l’armée israélienne et la propagande organisée a travers le monde par l’Etat d’Israël , avec comme mot d’ordre : victimisation !

    Amin Al-Husseini  a soutenu la grande insurrection arabe de 1936-1939 en Palestine contre l’immigration sioniste, et pour cela il a cru bon d’aller chercher une alliance avec les nazis. S’il avait retenu quelque leçon de l’histoire, il n’aurait peut-être pas suivi cette pente fatale déjà empruntée par les nationalistes arabes pendant la Première Guerre Mondiale, consistant à soutenir les « ennemis des ennemis », quels qu’ils soient. C’est ainsi qu’après avoir massivement soutenu les Anglais contre les Turcs, et n’en avoir retiré qu’une nouvelle colonisation, ils recommencent avec la même tactique et Al Husseini soutient les Allemands contre les Britanniques et les sionistes.

    Or la propagande des colons israéliens essaie de faire croire qu’il a été quasiment l’un des architectes de la solution finale, un autre Eichmann ! Les palestiniens n’ont jamais compris pourquoi c’était à eux qu’on devait faire porter le poids des pogroms européens et de la Shoah, ils n’avaient pas besoin du Grand Mufti pour se soulever.

    Mieux encore tiens, Arafat étant son neveu, il n’y a qu’un pas pour laisser penser que ce Yasser ainsi que Leila Shahid avaient hérité de ces sympathies idéologiques et que donc le Fatah tout entier devait être d’obédience nazie…

    Remarquez, la propagande serbe accuse les bosniaques de nazisme à cause des sections waffen SS que ce même Al Husseini a organisées avec eux. Et puisque les bosniaques sont des nazis, les Etats-Unis n’auraient jamais dû les soutenir en 1995… Entre les Serbes et les Israéliens, on se demande qui sont les plus à plaindre, mais je crois qu’il suffit de comparer Belgrade à Sarajevo et Tel Aviv à Gaza pour se faire une petite idée…

     Je ne suis pas contre l’Etat d’Israël, de touts façons ce serait impensable aujourd’hui, mais il n’y aura jamais d’Etat palestinien économiquement viable non plus, la seule solution consistante serait celle d’un seul et même Etat pour tous, ce qui irait à l’encontre du fondement même d’Israël comme un Etat juif…

    je me réjouis d’avance de lire votre réponse sur ces fameux automates conscients…

     


    • Christian Labrune Christian Labrune 15 mai 2012 10:33


      Najat,

      Si le Coran peut être réexpliqué, en l’historicisant, en faisant voir que lorsqu’il prescrit explicitement d’exterminer les infidèles par exemple, cela ne renvoie qu’à des conflits de l’époque maintenant complètement dépassés, c’est très bien, et c’est ce à quoi devraient s’employer les imams. Certains le font déjà en France, du reste, comme tel jeune imam du Havre dont j’ai quelquefois consulté le site, et je leur reconnais bien du mérite, mais ils sont extrêmement minoritaires. Il reste que si la sunna est comme le dépôt des vérités éternelles, on se demande bien pourquoi celles-ci se trouvent tellement empêtrées dans les conflits et les problématiques du VIIe siècle ! On peut certes appliquer à ces textes un traitement anti-rides, voire un lifting, mais une vieille peau (je suis vraiment sans pitié pour les femmes de mon âge !) restera toujours une vieille peau et les choses ne pourront aller, avec le temps, que de mal en pis. Je ne peux absolument pas comprendre qu’une intelligence structurée comme paraît l’être la vôtre garde une espèce d’attachement quasi inconditionnel à un corpus de textes qui font rigoler n’importe quel philosophe digne de ce nom. J’aurais bien une explication psychologisante, mais j’ai horreur de ces sortes d’approches. Je vous la livre quand même : c’est que vous avez passé beaucoup de temps à lire toutes ces vieilles choses, à les mettre en relation avec l’histoire du temps ; si vous faisiez d’un coup table rase, c’est tout un investissement qui se révélerait improductif et un pan entier de votre activité intellectuelle qui passerait à la trappe. C’est de cette manière-là que j’explique l’obstination de beaucoup d’intellectuels, dans l’université française à continuer contre toute raison de prendre au sérieux des théories et des systèmes de pensée que la critique rationnelle a rendus complètement caduques ou dont elle a montré la structure fantaisiste. C’est Finkielkraut qui trouve encore bon de citer Heidegger, après le travail de Farias et l’excellente « Ontologie politique de Martin Heidegger » due à Bourdieu dès le milieu des années 80. Je suppose qu’étudiant, il a dû passer bien des nuits à essayer de comprendre quelque chose à Sein und Zeit et aux textes qui incriminent la technique. C’est aussi l’usage encore extrêmement répandu des concepts psychanalytiques, lesquels reposent sur une conception laplacienne et désormais ridicule du déterminisme. Van Rillaer, il y a plus de vingt ans, faisait déjà remarquer que la psychanalyse avait à peu près la même pertinence que cette phrénologie de Gall et Lavater dont le gros Balzac faisait ses délices. Mais quand on a passé une partie de sa vie à méditer la révélation freudienne de l’inconscient, il est difficile d’en sortir. C’est pour cette raison que j’ai tout de même, malgré pas mal de réticences, une certaine estime pour Onfray, dont nous parlions naguère. Lui aussi a confessé longtemps la psychanalyse ; il y a cinq ans, il trouvait encore des grâces à une vieillerie comme « Malaise dans la civilisation », puis il s’est mis à lire Freud in extenso, ce que peu de gens ont fait, et il a eu la bonne foi de se rendre compte qu’il s’était complètement fourvoyé. Sa déconstruction systématique de la théorie n’est pas la meilleure ni la plus pertinente, la méthode généalogique nietzschéenne, qu’il applique aussi dans sa critique des religions, l’égare un peu, mais c’est quand même un vrai travail philosophique, le philosophe étant pour moi celui qui s’interroge avant toute chose sur ce qui le détermine à penser ce qu’il pense pour essayer de reconquérir un maximum de liberté.

      Il m’est absolument impossible de concevoir un seul instant que vous puissiez imaginer Muhammad ou n’importe quel prophète installé sur une petite colline, en conversation avec Dieu ou avec je ne sais quel ange Gabriel qui lui transmettrait ses ukases. Que vous soyez, à la limite, comme Jerphagnon qui est mort l’an passé en continuant à se réclamer d’une certaine forme de christianisme, impressionnée par la métaphysique plotinienne de l’UN transmise par Porphyre, que vous tiriez des mystères où la physique aboutit lorsqu’elle se penche sur la matière et ne la trouve pas (je pense à l’école de Copenhague) quelque chose qui ressemble à la gnose de Princeton, passe encore, mais le dieu de Plotin, comme celui plus tard de Descartes et de Spinoza ou des penseurs de Princeton, est un pur concept qui ne se mêlera évidemment jamais de me faire savoir si je dois me lever du pied droit ou du pied gauche et encore moins de me foutre la trouille si je ne respecte pas des interdits existentiels qui sont d’une imbécillité consternante et suffiraient amplement à ridiculiser le dieu qui les édicte.

      Je n’ajoute rien à la question du conflit palestinien. Ca m’emmerde. Vous auriez pu m’opposer, quand je parlais d’Al Husseini, les ambiguïtés homologues du groupe Stern. Je voudrais bien, comme vous, qu’on arrive à une certaine paix dans cette région du monde, mais c’est mal parti et je ne vois pas trop quelles solutions seraient possibles. Le temps amènera la paix, évidemment, comme toujours, par lassitude, mais d’ici là, bien des générations vont encore en baver.

      Je ne sais plus trop ce que vous me disiez à propos de l’intelligence artificielle, ni ce que je vous en avais dit moi-même. Il faut que je relise. Je voudrais bien avancer dans la lecture du bouquin de Cardon, mais je n’ai presque plus d’encre pour imprimer et la lecture sur écran ne permet pas de cochonner le texte, donc de l’assimiler. Ce qui est un peu consternant, c’est que le malheureux Cardon veut structurer sa machine selon le modèle de la psyché proposé par Freud. Il est peut-être à la pointe en informatique, mais sur le plan philosophique, il a un peu de retard : avec son « ça », son « moi » et son « surmoi », il ne pourra fabriquer qu’une machine à produire des névroses ! Et je me demande pourquoi il n’irait pas, pendant qu’il y est, jusqu’à implémenter aussi un bon complexe d’Oedipe des familles ! Ce qui est décevant aussi, c’est qu’il propose bien des diagrammes un peu simplistes, mais pas une seule architecture de programme, pour des raisons de secret professionnel qu’on peut évidemment comprendre, mais c’est un peu frustrant : ces sortes de questions scientifiques s’accommodent mal des formulations nuageuses.


  • Christian Labrune Christian Labrune 15 mai 2012 13:25

    Najat,

    Je passe allègrement sur les considérations sociologiques relatives au financement des recherches scientifiques. Lorsqu’il faut persuader les politiques d’accorder des crédits, les chercheurs sont contraints de se livrer à toute sorte d’activités d’arrière-cuisine qui n’ont pas beaucoup de rapport avec la recherche elle-même. Et de fait, en matière de nanotechnologies, même si les crédits qui sont alloués paraissent importants, ils sont loin d’être suffisants en France : tout l’avenir des techniques repose désormais là-dessus, et ce ne sont pas du tout ce que vous appelez des « problèmes inexistants » : depuis la mise au point du microscope à effet tunel qui permet non seulement de donner indirectement une image des atomes mais aussi de les manipuler un par un, on n’en est plus à des spéculations creuses. La vulgarisation a évidemment un double effet  : les uns commencent à délirer, et les obscurantistes prennent peur, voudraient un moratoire, etc. Mais on n’arrête pas longtemps la science : la bombe atomique était possible, on l’a réalisée. Les manipulations génétiques sont possibles, on a déjà des plantes et des animaux transgéniques et ce n’est pas moi qui irai arracher des plants d’OGM ou craindre d’en bouffer comme ces contemporains de Parmentier qui craignaient de s’empoisonner en absorbant ses patates ! Songez qu’au milieu du XIXe siècle, il s’est trouvé des auteurs pour considérer que les trains qu’on voulait faire rouler à des vitesses inimaginables - près de cinquante kilomètres à l’heure ! - auraient des effets désastreux sur la santé : il y aurait des morts subites et les femmes enceintes avorteraient, etc.

    Pourquoi aurait-on besoin de construire des assembleurs moléculaires ? Bonne question ! Tout simplement parce que notre rapport à la matière est encore à peu près le même que celui des hommes du néolithique. S’ils ont besoin d’un couteau, il font sauter des éclats de silex. Evidemment, nous avons ajouté à cela la métallurgie, nous pouvons couler le bloc-moteur d’une bagnole ou thermo-former des plastiques, mais pour usiner des pièces de précision, on lime, on polit, on enlève l’excédent de matière comme on faisait au néolithique et ensuite on assemble tout ça quand il serait quand même plus simple de fabriquer une soupe où baignent tous les atomes entrant dans la composition d’un objet complexe, d’ajouter ensuite les myriades de nanomachines qui se chargeraient d’assembler les molécules. Le niveau de la soupe baisserait progressivement et vous verriez se construire votre montre ou votre presse-purée sans qu’aucune autre intervention de votre part soit nécessaire.

    On n’en est pas encore là ; la faisabilité de la chose est bien encore un peu discutée, mais si on avait dit à un biologiste des années 70 qu’on arriverait à dresser un jour une carte complète du génome humain, ce qui est maintenant chose faite, il serait tombé sur le cul.

    Vous écrivez : « la technologie avance dans le sens de la miniaturisation, mais n’illustre pas l’architecture contraire, à savoir partir des briques que sont les atomes et molécules pour construire une voiture ». Il est de fait qu’on ne sait pas encore le faire, mais il n’y a là rien d’impossible et il est plus que certain qu’on y arrivera maintenant assez vite ; en tout cas, c’est l’objectif des recherches actuelles, et on sait déjà, en utilisant certains enzymes, segmenter puis recomposer des brins d’ADN, c’est de cette manière-là qu’on arrive à produire artificiellement des mutations et créer de toute pièce des espèces nouvelles et des monstres. L’information qui est stockée séquentiellement dans l’ADN n’est pas si différente de celle qui est à l’oeuvre dans les machines cybernétiques et ce qui est intéressant, justement, dans ces recherches, c’est qu’elles jettent un pont entre l’informatique et le biologique ; on peut très bien concevoir une biologie tout à fait artificielle. L’une des premières avancées spectaculaires, par exemple, va être la mise au point de muscles artificiels dont les réactions devront évidemment être plus rapides et plus puissantes que celles des petits moteurs pas-à-pas qui équipent les robots actuels, mais ça, ce n’est pas pour demain, c’est déjà presque fait. En tout cas, si actuellement on sait très bien bricoler des cellules vivantes, on saura demain les fabriquer d’une manière tout à fait artificielle. J’ai même lu un article ces derniers mois, probablement dans La Recherche, qui évoquait la fabrication d’une cellule de ce type, capable bien évidemment de se répliquer.

    Il ne fait aucun doute qu’il n’y a pas une coupure radicale entre la machine et la cellule vivante, les deux obéissent aux mêmes lois de la physique et la différence est simplement dans la complexité. Evidemment, au XIXe siècle, on n’aurait pas eu l’idée de considérer qu’il y avait quelque chose de commun entre une locomotive et un éléphant, mais nos machines d’aujourd’hui ne ressemblent déjà plus à celles du passé, s’intègrent de plus en plus à l’organisme. C’est peut-être plutôt inquiétant, me direz-vous, mais dans les hélicoptères de combat modernes, il suffit de regarder la cible pour pointer le canon ; peut-être qu’il faut encore appuyer sur un bouton pour tirer, mais on sait déjà, en analysant les courants crâniens, faire en sorte que ça fasse « boum ! » simplement parce qu’on l’a voulu à un moment précis.

    Il est parfaitement clair par ailleurs, que nous sommes instantanément déterminés, mais cela n’empêche pas la liberté. Si vous aimez jouer au tennis, je ne pense pas que ce soit inscrit dans vos gênes de la manière que vous envisagez. Ce que vous me dites me fait penser au mécanicisme de la théorie freudienne que j’ai déjà critiqué, lequel suppose que parce que vous avez été « traumatisée » à trois ans par je ne sais quoi vous allez développer à trente ans une névrose qui sera le retour du refoulé. Cela revient à considérer que vous seriez faite comme les machines à écrire mécaniques ou les machines-outils où des barres métalliques rigides transmettent l’information à distance et toujours de la même façon, que vous auriez de ces sortes de barres dans le fond de votre psychisme. Or, vous êtes – excusez cette définiton, encore qu’elle n’ait rien de réducteur – une machine complexe, c’est-à-dire un système chaotique sensible aux conditions initiales, lequel va évoluer par conséquent d’une manière totalement imprévisible. Si, dans l’autobus, je vous écrase brutalement un pied, je suis à peu près sûr de ce qui va se passer : votre visage va se contracter, vous allez grimacer, et vous allez bouger votre pied. Mais allez-vous m’insulter ou sourire par politesse ? Plus difficile à prévoir, déjà ! Et si aucun de vos orteils ne se trouve endommagé dans ce petit accident, bien malin qui pourrait dire ce qu’en sera la conséquence sur votre existence du lendemain ou des années qui suivront ! Tout nous détermine, à hue et à dia, mais nous pouvons choisir consciemment de fixer notre attention sur une chose plutôt que sur une autre, et rien ne vous empêche d’abandonner le tennis pour la natation... ou la pêche à la ligne !

    Quand vous me dites que pour modéliser la conscience il faudrait savoir ce que c’est que la conscience, je suis tout à fait en désaccord avec vous, pour la bonne raison que tout le monde en est à considérer que la conscience est un phénomène émergent et par définition chaotique, non-déterminé sur le long terme. Autrement dit, une machine consciente serait plus que l’ensemble des dispositifs matériels qui la composent et plus que les programmes qu’on aurait écrits pour la faire fonctionner. C’est-à-dire qu’à partir d’un certain niveau de complexité, c’est elle qui ré-écrit ses propres programmes et modifie même sa structure physique en fonction des objectifs qu’elle s’est à elle-même assignés et qui peuvent n’avoir aucun rapport avec ceux que nous imaginions d’abord. Si je vous donne un journal en pensant que vous allez le lire, vous pouvez tout aussi bien en faire un chapeau pour vous protéger du soleil. Il n’y a rien là évidemment qui soit de l’ordre de la science-fiction : des machines qui modifient leur propre programme, il y a belle lurette que cela existe, sauf que jusque là, elles modifient le programme dans un but qu’on leur a fixé, dans des limites programmées dont elles ne peuvent évidemment pas s’affranchir : elles ne savent pas encore ce qu’elles font.

    Ce que je trouve contestable, dans la méthode de Cardon, c’est qu’il veuille une machine qui se comporte comme l’homme, c’est-à-dire, du point de vue de l’intelligence théorique d’une machine pensante, d’une manière simpliste. Si je dis à quelqu’un dans l’ascenseur : « On dirait qu’il commence à faire un peu moins froid », l’autre va me répondre tout aussi bêtement quelque chose comme « oh, oui, l’année dernière, je me souviens qu’on se promenait déjà en chemise dans la rue ». Mais une machine intelligente capable de fonctionner entre -40° et 100° n’aurait évidemment rien à faire de la température extérieure, elle saurait en outre immédiatement et avec une exactitude parfaite, en puisant dans le réseau où sont les banques de données, le temps qu’il a fait le 15 mai depuis que la météo existe, pourrait immédiatement me cracher toutes les statistiques et tous les diagrammes que je pourrais souhaiter... et dont je n’aurais que faire. Je rentrerais chez moi pour écouter pendant une heure le premier CD du clavecin bien tempéré et la même machine, en quelques fractions de secondes, pourrait relire toutes les partitions disponibles de Bach et me faire entendre immédiatement une nouvelle fugue, très différente de toutes celles qu’il a écrites, qu’il n’aurait évidemment jamais composée, mais qui paraîtrait du Bach tout craché.


    • Christian Labrune Christian Labrune 16 mai 2012 12:46

      Je crains de n’avoir pas été suffisamment clair dans le paragraphe à propos du déterminisme, lorsque je parle d’un déterminisme « immédiat » et que je l’oppose à celui qui est à l’oeuvre dans l’évolution des systèmes complexe, particulièrement lorsque j’évoque la théorie freudienne où je pense évidemment à la notion du temps mais sans l’expliciter parce que le temps, précisément, ne paraît pas être vraiment pris en compte par les psychanalystes. Quand je dis qu’il y aurait dans le psychisme selon Freud des barres rigides qui assureraient en quelque sorte le transport de la causalité, l’image est un peu inappropriée  : si je frappe le A sur le clavier d’une ancienne machine, le marteau portant le signe A se met en immédiatement en mouvement. Dans la théorie Freudienne, le traumatisme psychique produit bien d’une manière déterminisme un symptôme, mais cela peut être vingt ou trente ans plus tard ; les barres rigides de transmission dont je parle pour mettre en image cette théorie fumeuse ont en quelque sorte la propriété de mettre en mémoire l’action qu’elles doivent causer avant de produire réellement un effet. Cela peut paraître idiot, mais c’est la conception freudienne qui est idiote et lorsqu’on veut se la représenter, on aboutit fatalement à des images un peu aberrantes.

      Je viens de jeter un oeil sur l’article de Wikipedia consacré au déterminisme. Il est très clair mais un peu court. Si on veut mieux comprendre l’état actuel des réflexions sur le déterminismes, on peut lire l’excellent bouquin d’Isabelle Stengers et Ilya Prigogine : « La nouvelle alliance ». Il doit bien y avoir aussi sur Wikipedia des articles sur la physique du chaos et le chaos déterministe.

      En gros, ce que je voulais dire, c’est que nos comportements sont bien déterminés lorsqu’ils font intervenir les fonctions basses du système nerveux (les réflexes, par exemple) mais que dans la longue durée, la machine pensante que nous sommes (et il en irait de même pour une machine totalement artificielle) devient très vite incalculable et par conséquent imprévisible.

      Un problème classique connexe et qui permet très bien aussi de réfléchir sur les difficultés de la notion de déterminisme, c’est celui, en informatique, des générateurs de nombres aléatoires.


  • Najat Jellab Najat Jellab 18 mai 2012 02:05
    La différence entre vous et moi Christian, c’est que moi j’aime les vielles peaux ! J’aime celles qui sont marquées par le temps, les expressions, par la vie !
    Comme les valeurs esthétiques de notre temps – et les vôtres apparemment- vont à l’encontre de ce changement intrinsèque à toute forme de vie, et que l’on croit que le lifting est la seule voie pour retrouver on ne sait quelle peau lisse et vierge, on en oublie qu’au contraire, c’est là un renoncement à la beauté. 
    C’est comment cette vieille peau, comme vous dites, continue de révéler des expressions encore inconnues, des caractères encore dissimulés par la jeunesse et que seul le temps trace, et comment elle nous enseigne toujours davantage, c’est tout cela qui constitue sa beauté et sa vérité, toujours renouvelées. On ne leur fait pas un lifting à ces peaux, on les envisage et dévisage comme on n’avait encore pas pu le faire. 

    Au contraire de vous, je doute vraiment qu’un philosophe digne de ce nom puisse se moquer comme vous le faites du corpus religieux. Allons, remettez vous de votre athéisme primaire et songez que ces textes sont le fondement de nos cultures, de notre histoire, de ce que nous sommes, et vous voudriez que d’un revers de verbe, nous décidions de notre propre suicide ! 
    Vous m’amusez avec votre explication psychologisante, comme si le temps de mes lectures était un investissement dont j’espérais tirer les bénéfices et que par conséquent, en faire table rase constituerait ma faillite intellectuelle. Alors je vais commencer par vous rassurer sur ce point : je n’éprouve aucun besoin de reconnaissance universitaire, d’ailleurs je n’ai pas choisi de poursuivre dans cette voie et emploie ma vie à d’autres activités depuis longtemps déjà. Vous ne pouvez donc pas me ranger parmi les aspirants et spéculateurs académiques dont vous parlez. D’autre part, c’est bien parce que la nature m’ayant dotée d’une intelligence structurée- et je vous remercie du compliment- que j’ai jugé plus utile et surtout plus juste de l’employer à des travaux et intérêts humanistes plutôt que scientistes, ce qui lui aurait été sans doute possible, mais qui aurait cède au rationalisme triomphant qui en réalité conduit à la barbarie. 
    Si vous ne pouvez pas imaginer Mohammed dans sa caverne discutant avec Gabriel, vous ne pouvez donc pas imaginer les épicuriens dans leur Jardin ni les Péripatéticiens dans leur Lycée. C’est triste ! Il va falloir renouer avec cette partie de votre cerveau que vous avez mise au congélateur alors que vous enseigniez une matière sensée la solliciter et si je me lançais dans une explication psychologisante du même niveau vous concernant, je dirais que vous êtes un littéraire malheureux, qui, incapable d’intégrer Polytechnique, s’est fait plus royaliste que le roi et a déclaré qu’au commencement n’était pas le Verbe mais l’Atome… Vous voyez bien que c’est du pipeau…
    Je vais mettre fin à votre interrogation concernant mon attachement inconditionnel aux textes révélés et à Dieu, et vous allez, je pense, comprendre en quoi j’ai une approche réellement phénoménologique de ces questions. 

    Par l’énoncé « Dieu est mort », le XXe siècle a été en Occident celui de la sécularisation de la pensée, laquelle a perdu tout rapport au sacré. Ainsi, la philosophie a mis fin à la métaphysique, soit à une manière de philosopher. Mais en même temps qu’on affranchissait théoriquement l’homme de Dieu, on posait la nécessite de l’avènement d’un homme nouveau, même si vous ne voulez pas l’appeler surhomme avec Nietzsche, il n’en demeure pas moins que vous considérez que l’homme ancien (qui croit toujours en Dieu) est inférieur à ce qu’il devrait être aujourd’hui, donc inférieur à son humanité et c’est précisément cela l’antihumanisme, vous avez la conviction que la figure de l’homme doit être dépassée, avec la possibilité que du coup, l’homme soit traité comme un matériau : un matériau pour surhumanité, un matériau pour son propre outrepassement ; d’où finalement une acceptation assez générale d’une consommation de l’existence humaine, conçue au fond comme une sorte de matière première, de carburant, pour la création d’une figure qui est au-delà de l’humanité. C’est pour cette raison que vous croyez que l’avenir de la science est dans la création d’une conscience automatique, ou d’un homme-machine hybride, cela ne vous choque en aucune façon, vous êtes persuadé que nous y sommes presque alors que je vous rappelle, contrairement à ce que vous affirmez, que la science est encore loin de fabriquer ne seraient-ce que des muscles artificiels, sinon je crois que de nombreux myopathes vous supplieraient de leur indiquer où se trouve ce remède miracle… Mieux encore, vous êtes prêts à admettre l’existence d’une machine qui pense et se modifie par elle-même – ce qui, permettez-moi, me fait rire- et qui serait une image de vous-même mais dessinée et conçue dans la perfection scientiste et à laquelle vous seriez sans doute prêt à vous soumettre corps et âme au nom du progrès. Et si un jour elle vous demandait de sacrifier votre fils ? Il n’ y a aucune raison à ce que cette machine, qui connaît parfaitement les rituels sacrificiels puisqu’elle peut en répertorier des milliers, n’improvise pas un ordre de cette sorte. Elle peut aussi, décider de votre propre mort, après tout, si vous avez tue votre Créateur, elle peut aussi tuer le sien… Quoi, vous allez lui enseigner la morale au cours d’une conversation d’ascenseur ? Lui apprendre à distinguer le Bien et le Mal ? Ah non, c’est vrai, vous vous situerez par-delà… Mais par-delà, vous serez hors-jeu. 
    Ce qu’il est aussi intéressant de constater, c’est la large acceptation de ce point, de sorte que lorsque Dieu se retire, ou qu’on le retire, il reste deux possibilités : soit un humanisme radical, l’homme venant à la place de Dieu, mais c’est en réalité un anti-humanisme, soit la figure de l’homme disparaît avec la figure de Dieu.
    En conséquence, je dirais, comme Husserl le faisait dans les années 1930, dans la Crise des Sciences Européennes et la Phénoménologie Transcendantale, que le rationalisme qui s’articule et conditionne l’idée de progrès de l’homme est malade. 
    ( A propos, la thématique d’une crise du rationalisme est récurrente dans les années 1930, on la retrouve dans le Malaise dans la Culture de Freud, texte dont l’intérêt vous a sans doute échappé, vous m’en voyez désolée pour vous). 
    Quoi qu’il en soit, qu’est-ce que cette crise du rationalisme ? Deux versions sont possibles : 
    - une version qui est : le rationalisme est aliéné, il s’est perdu lui-même dans une aliénation qui le défigure. Il n’est pas mauvais en soi, il s’est aliéné comme une figure étrangère à lui-même, et il faut donc le restituer à son authenticité. 
    - 2ème version : le rationalisme a échoué radicalement parce qu’en réalité, quelque chose qui ne relève pas de lui est plus essentiel que lui. Ce n’est donc pas une figure du rationalisme qui s’est perdue ou aliénée, c’est le rationalisme en lui-même qui est un fourvoiement au regard de normes ou de valeurs plus essentielles que celles de la rationalité européenne (par exemple, les valeurs d’authenticité raciale, des valeurs liées au sang, à la terre, à la religion…)
    Il faut comprendre par rationalisme non pas les opérations de la raison, comme on a l’habitude de le comprendre, mais exactement le contraire, c’est-à-dire, le projet d’infinité auquel se trouve ouverte l’humanité dans son ensemble. Ce que Husserl entend par rationalisme, c’est un certain type de connexion entre l’humanité et l’infini. Il en résulte que toute crise du rationalisme est une crise de cette connexion, une crise de l’infini. 

    C’est l’irrationalisme nazi comme figure de la finitude, définissant l’humanité dans l’espace clos de la race ou de la nation qui est le résultat d’un renoncement à l’infini puisque on identifie le destin de l’humanité à des territorialités et des totalités qui sont fermées. Qu’est-ce que c’est finalement dans son essence la crise du rationalisme ? C’est que la totalité vient remplacer l’infini. 
    A partir de ce constat, la thérapeutique de la crise, selon Husserl, c’est la réinstitution de la tâche infinie, il faut restituer l’homme à l’infinité de la tache. La crise, c’est la perte de cette connexion, ou le remplacement pur et simple de cette connexion par des totalisations finies dont le caractère barbare est obscène et violent.
    Or, la question est aussi de savoir comment la possibilité même de la barbarie s’est-elle installée ? La réponse de Husserl est claire : la possibilité de la totalisation barbare s’est installée parce qu’on a cru que les sciences de la nature étaient paradigmatiques. La virtualité de la barbarie est apparue à partir du moment où la tache infinie du rationalisme prend comme modèle exclusif les sciences de la nature objectives. A partir du moment où pour des raisons compréhensibles, à cause du succès de ces sciences, on a fait des sciences de la nature le modèle absolu de la rationalité en général, on a « désinfinitisé » le rationalisme.
    Le remède consiste donc à poser qu’il y a une rationalité autre que la rationalité des sciences de l’objectivité. Il faut donc ouvrir à la rationalité un champ autre que le champ de l’objectivité naturelle. Qu’est-ce qu’une rationalité différentes de celle des sciences de la nature ? C’est les sciences de l’esprit. Science est pris ici en un sens nouveau. Le rationalisme s’est aliéné, et, « … la raison n’en est pas dans l’essence du rationalisme lui-même mais seulement dans son aliénation dans le fait qu’il s’est ancré dans le naturalisme et l’objectivisme ».

    Je suis sure qu’en lisant ces lignes, vous pensez que je suis en train de faire le procès des sciences, au profit de l’obscurantisme. Rassurez-vous, si j’espère que ces lignes vous montrent, par l’intermédiaire d’Husserl les limites de l’approche scientiste du monde, j’ai dans l’idée non pas seulement le fond de son interrogation, mais aussi sa méthode. Car on pourrait poser exactement les mêmes questions sur la crise du religieux aujourd’hui : cette crise est-elle une crise de dénaturation ou une crise d’identité ? Le religieux est-il dans une figure aliénée de lui-même ou est-ce une crise intrinsèque à ce qu’il est ? Autrement dit, est-ce une crise essentielle, une crise de l’essence de la religion, ou s’agit-il d’une aliénation de cette essence dans une extériorité ?
    Comme Husserl le fait à propos du rationalisme, je réponds que la crise est dans l’aliénation qu’il connait. 

    Mais poursuivons avec Husserl. Qu’est-ce donc que cette aliénation du rationalisme ? 
    C’est la naturalisation : vous réussissez dans un secteur et vous pensez que cette réussite sectorielle est le paradigme de l’ensemble. Ce que dit Husserl, c’est que les sciences de la nature ont connu des succès remarquables, mais ça ne veut pas dire qu’elles constituent un paradigme pour l’ensemble du rationalisme. 

    Ce qu’il propose, c’est de dénaturaliser le rationalisme qui consiste à prendre la partie pour le tout. C’est pourquoi sortir de la crise, c’est inventer un nouveau lieu, un lieu où l’infini perdu va avoir la chance de se retrouver. Il faut une autre pensée, mais une autre pensée, finalement, c’est la venue d’un Dieu.
    Un peu comme dans une histoire d’amour : on peut considérer que la routine d’une vie de couple a dénaturé l’amour des premiers temps, et qu’il s’en suit deux choix possibles, soit on se quitte, soit on trouve une nouvelle façon de se retrouver. 
     Avec Dieu, c’est pareil. 
    Je suis désolée que vous réduisiez l’idée même de Dieu à celle de trouille, mais après tout, tout le monde n’a pas la maturité nécessaire aux choses adultes.

    Enfin, je n’ose même pas commenter vos dernières remarques sur le déterminisme et le fait que nos comportements soient imprévisibles, j’ai peur que votre aspiration au chaos ne constitue une pathologie ce qui expliquerait en partie votre mépris pour la psychanalyse. Finalement, vous êtes surement plus heideggerien que vous ne voulez l’admettre.



    • Christian Labrune Christian Labrune 18 mai 2012 10:37

      Najat,
      Message reçu ! Vous me parlez beaucoup de la Krisis mais vous faites une interprétation qui me paraît tellement tendancieuse d’une critique husserlienne du « rationalisme » qu’il va falloir que je m’y replonge un peu. Ca risque de prendre un certain temps et je ne vous répondrai probablement pas avant demain.
      Il y aurait beaucoup à dire aussi sur la question de l’humanisme, mais là, c’est plus facile : l’homme avec un grand H n’a jamais existé. Enfin, j’y reviendrai.
      A bientôt.


  • Christian Labrune Christian Labrune 19 mai 2012 09:36

    Najat,

    Je vous disais que vous étiez en train d’appliquer à l’islam un traitement qui maquille sa sénilité. Je n’avais rien contre ; maintenant, si vous aimez les « vieilles peaux », je ne vois pas pourquoi vous ne vous ralliez pas à un wahhabisme qui veut nous ramener, et jusqu’à la fin des temps, au monde tel qu’il se présentait au VIIe siècle, qui préfère adapter le monde à un Coran momifié plutôt que d’en réinterpréter le texte au gré des évolutions du monde. Or, vous n’irez tout de même pas jusqu’à prétendre que ce monde du haut moyen-âge nous apparaît plus « beau » et meilleur que l’actuel.

    Un philosophe « digne de ce nom » ne se moque pas du corpus des textes religieux, c’est plus simple que cela : il s’en fout complètement, il n’y pense que lorsque la chose rencontre par hasard son chemin. Dans la rue, il y a une quantité de bagnoles, je ne les vois même pas, je ne thématise jamais leur perception, sauf quand je vois surgir à un carrefour, comme hier, une vieille Citroën « deux chevaux » des années 60 qui est comme l’irruption dans le présent d’un monde disparu. Il ne vous viendrait pas à l’idée non plus de vous demander si je prends bien soin de mon cheval, vous pouvez aisément penser qu’un Parisien de Belleville au XXIe siècle n’a pas besoin du bourrin qui eût été indispensable pourtant à un contemporain du Prophète. Eh bien, je n’ai pas plus besoin d’une religion que d’un cheval et je ne pense jamais à acheter du foin ni de l’avoine.

    « Athéisme primaire », dites-vous, et je rigole ! Ce qui est primaire, c’est la croyance, c’est la foi du charbonnier, la croyance absolument infondée de qui est persuadé, sans trop savoir comment que Dieu existe, ou, tout aussi bien, qu’il n’existe pas. Or, j’ai pris soin d’emblée de vous le dire, cette alternative ne me préoccupe pas le moins du monde. Si Dieu existe, c’est son affaire, assurément pas la mienne ; au reste je ne suis pas méchant au point de lui souhaiter d’être. Ces questions ne me travaillent pas plus, à vrai dire, que de savoir s’il existe ou non des mégots de cigares ou des boîtes de petits pois en conserve en orbite dans les anneaux de Saturne. Il est possible qu’il y en ait, après tout, mais cela ne m’empêche pas de dormir. Inutile de vous dire qu’étant né chrétien et me souciant à peu près autant, pour parler comme les bigots, des « promesses de mon baptème », que du contenu de ma poubelle, je n’ai pas pour autant l’impression d’être mort, de m’être le moins du monde suicidé. C’est même tout le contraire.

    Après ces gentillesses, vous trouvez bon de m’envoyer quelques assertions d’un simplisme ahurissant : les préoccupations relatives à la science deviennent, on ne sait trop pourquoi, du « scientisme » et le « rationalisme triomphant » paraît conduire en réalité, pour l’humaniste que vous affectez d’être, « à la barbarie ». Tout cela mériterait évidemment d’être quelque peu explicité...

    Le fait d’avoir été plutôt un littéraire ne m’a jamais empêché d’aimer la science ; j’avais préféré math élém à la classe de philosophie et j’ai passé bien des milliers d’heures, à partir des années 80, à programmer les machines. Pourquoi s’oriente-t-on dans une direction plutôt que dans une autre ? Je ne vais pas ici, sur un forum public, vous raconter ma vie. En tout cas, vous le voyez bien, les lettres que je n’ai pas aimées d’un amour fanatique ne m’ont jamais fait préférer le Verbe à l’atome. Si je reste, comme Paul Valéry, un « amant malheureux de la mathématique », ce n’est pas cela non plus ce qui risque jamais de me pousser au suicide.

    Je suis, de fait antihumaniste. Si vous pensez m’accuser, vous ne faites que me définir comme je le ferais moi-même, et je souscris pleinement à ce que vous dites, sauf peut-être à la notion de surhomme : je déteste l’idéologie nietzschéenne. Et je ne considère pas non plus l’homme tel qu’il existe, c’est-à-dire un être terriblement soumis à la souffrance, comme un « matériau ». La compassion bouddhiste ou schopenhaurienne entre pour beaucoup dans ma détestation de Nietzsche et de ses théories. L’homme dit-il, dans son ridicule Zarathoustra, n’existe que pour être dépassé « Der Mensh ist etwas, das überwunden werden soll », mais il met là-dedans une exaltation et un optimisme qui me dégoûtent : le surhomme de Nietzsche est encore un homme, et de la pire espèce, plus proche de Calliclés que de Socrate. Ce n’est quand même pas un hasard, n’en déplaise à Onfray, si les nazis on cru qu’ils pouvaient incarner ce nouveau type humain. Or, ce n’est pas du tout un dépassement de cette sorte qui se se profile à l’horizon de notre siècle.

    Raisonnablement, on ne peut pas se réclamer de l’humanisme, parce que tout humanisme croit savoir ce qu’est l’homme, lui prête une nature humaine figée pour l’éternité. Or, avec l’apparition de cette forme animale sur la planète, disparaît presque immédiatement la nature elle-même : tout commence à se transformer, y compris les espèces vivantes, et l’homme lui-même, inévitablement, à plus ou moins brève échéance. Les pires systèmes politiques ont eu leur humanisme. Hitler et Staline étaient de parfaits humanistes, lesquels avaient en tout cas une idée très précise de ce que devait être l’homme et de ce qui serait bon pour lui. Prolétaire émancipé pour l’un, brute aryenne aux yeux bleus pour l’autre. Au nom de ces conceptions fixistes, aussi bien celles des totalitarismes que des religions – et les religions sont nécessairement totalitaires – on a considérablement ensanglanté la planète. Si je prends congé des humanistes, c’est que, vraiment, ils nous ont fait trop de mal.

    Les spéculations sur la conscience artificielle n’ont de sens que si on postule ce principe qu’à partir d’une parité entre les deux formes d’intelligence, l’humaine et l’artificielle, la seconde commence très vite à dépasser l’autre. Et pourquoi voudriez-vous qu’une machine plus intelligente qu’Einstein ou Husserl se comportât de la manière que vous décrivez, c’est-à-dire comme le dieu bête et pervers de l’ancien testament ou ce que le XXe siècle a pu produire de plus abject dans l’ordre de la tyrannie ? Ce que vous envisagez, ce n’est pas une forme d’intelligence, c’est plutôt la connerie incarnée et vous nous renvoyez à la fantasmatique éternelle des oeuvres de science-fiction, au mythe inventé par Mary Shelley. Que l’homme devienne progressivement (il l’est déjà) un cyborg, qu’à une étape suivante de l’évolution des espèces il n’y ait plus que des machines, peu importe : l’essentiel est qu’une activité intellectuelle subsiste et qu’on n’en revienne pas à une planète occupée par des dinosaures, des insectes ou des hommes archaïques, ces sales bêtes.

    Je ne sais pas quand vous avez lu Husserl, ni si, portant des lunettes vous avez oublié de les mettre, mais il n’est nulle part question dans la Krisis d’une critique du rationalisme et encore moins de l’idée de progrès. Vous devez confondre avec Heidegger. Husserl est en quête d’une sorte de philosophia perennis qui permette une connaissance aussi vraie que possible de l’ensemble de l’expérience humaine, il ne doute à aucun moment des possibilités de l’activité rationnelle et je ne vois pas que le transcendental, au sens où il l’entend, ne soit pas consubstantiel à l’activité de la raison travaillant à dépasser l’expérience naïve du monde sensible. Il y a bien, de fait, une critique des sciences de la nature, elle est déjà à l’oeuvre dans les « Recherches logiques », lorsqu’il s’en prend en particulier à la psychologie, sa bête noire, mais cette critique des sciences de la nature est bien faite à partir de l’exigence rationnelle : ces sciences hypostasient leurs concepts ; face à l’objet de leur étude, elles ne pratiquent pas la réduction éidétique, elles croient naïvement à un monde qui existerait objectivement, indépendamment de toute conscience, et il ne viendrait évidemment pas à l’idée de ces demi-penseurs de suspendre un seul instant la thèse du monde.

    Quand vous écrivez « Ce que Husserl entend par rationalisme, c’est un certain type de connexion entre l’humanité et l’infini. Il en résulte que toute crise du rationalisme est une crise de cette connexion, une crise de l’infini. » Je ne sais pas ce que vous mettez sous le mot « infini ». Pour Husserl, la philosophie est sur le modèle d’une mathesis universalis et la tâche du philosophe qu’il définit comme un « fonctionnaire de l’Humanité » est évidemment sans fin. Mais s’il parle d’infini, il ne met là-dedans rien de métaphysique, cela signifie seulement que la tâche est sans fin. Dès la première page de la Krisis, il dénonce une tendance de la philosophie « qui menace bel et bien de nos jours de succomber au scepticisme, à l’irrationalisme, au mysticisme ». Or, quand vous écrivez quatre ou cinq fois le mot « infini » dans une quinzaine de lignes, je vois poindre un dieu qui n’est nullement invité au banquet phénoménologique, et une lecture quelque peu « mystique » de la pensée husserlienne que je récuse complètement. S’il critique les sciences, et dès l’origine, dès Galilée, c’est parce qu’il leur trouve un défaut de rationalité, comme il en trouvera un aussi à Descartes dans les « Méditations cartésiennes », lorsqu’il soulignera à gros traits l’erreur qu’il lui voit commettre en se définissant comme « res cogitans », passant ainsi tout près, mais sans la voir, de la notion d’intentionnalité.

    Husserl ne parle presque jamais de Dieu, et s’il en parle, c’est comme le faisait Einstein lorsqu’il disait, choqué par le principe d’incertitude de Heisenberg « Dieu ne joue pas aux dés ». Cela lui arrive tout de même quelquefois, et Françoise Dastur, dans le dernier chapitre de « La phénoménologie en questions » fait un sort à quelques rares articles, dans un chapitre intitulé « Le « dieu extrême » de la phénoménologie ». Ce dieu-là n’est évidemment pas celui des religions du Livre. Au reste, Husserl s’amuserait beaucoup de votre prétention à utiliser son oeuvre pour justifier votre plaidoyer en faveur du religieux : le premier chapitre de la Krisis s’intitule « Elucidation de l’origine ». Or, l’origine, ce n’est évidemment pas l’ancien testament, c’est Galilée héritier des Grecs. C’est là que commence pour lui réellement le monde moderne, le seul qui puisse encore nous exciter à penser. 

    De fait, Husserl critique le positivisme et le scientisme d’une époque où l’on croyait encore à la science comme à une nouvelle religion (pensez au « catéchisme positiviste » d’Auguste Comte !) qui permettrait de tout savoir du monde avec une absolue certitude. Au passage, permettez-moi de m’étonner que vous ne paraissiez pas, si vous êtes hostile au scientisme, être vraiment hostile ipso facto au freudisme qui est le type même de ces pseudo-sciences. C’est qu’on ne peut pas tout à la fois se réclamer de Freud et de Husserl. Ils sont à quelques années près exactement contemporains, mais vous ne trouverez jamais dans Husserl la moindre allusion à la théorie freudienne. Elle ne mérite même pas, pour lui, l’effort d’une réfutation. Si vous envoyez aujourd’hui à l’Académie des sciences un mémoire qui propose une démonstration de la quadrature du cercle ou du mouvement perpétuel, on vous le renverra sans même l’avoir lu. C’est du même ordre : les présupposés de la théorie de l’inconscient sont naïfs, ne tiennent pas debout.

    Vous écrivez encore : « Ce qu’il propose, c’est de dénaturaliser le rationalisme qui consiste à prendre la partie pour le tout. C’est pourquoi sortir de la crise, c’est inventer un nouveau lieu, un lieu où l’infini perdu va avoir la chance de se retrouver. Il faut une autre pensée, mais une autre pensée, finalement, c’est la venue d’un Dieu. »

    Là, vous vous êtes dit : ce pauvre bougre parle de Husserl, mais l’a-t-il j’amais lu ? Il s’agit d’un philosophe compliqué, on peut bien lui faire dire n’importe quoi. Et c’est ce que vous faites. Ce que vous écrivez, je suis désolé de devoir vous le dire aussi franchement, n’a aucun sens. Il ne s’agit pas pour Hsserl de « dénaturaliser le rationalisme », mais d’introduire dans les sciences de la nature, qui croient naïvement à l’existence du monde et de leur objet d’étude, les méthodes de la phénoménologie transcendentale  : suspension de la thèse du monde, réduction éidétique. Bref, sortir de la naïveté conceptuelle et cesser de prétendre pouvoir fonder les sciences sur le sable mouvant des apories. Le bonhomme est très en avance sur son temps, il est à la fin de sa vie, ce qu’il voit dans les sciences et dans l’évolution politique de l’Europe le désespère grandement et cela se comprend, mais il faut bien se garder de dramatiser exagérément le mot « crise » : Husserl n’est pas du tout hanté, comme Unamuno, par « Le sentiment tragique de la vie ».

    Ce que vous me dites de Dieu et de la vie de couple me fait terriblement rigoler. Passer l’éternité à côté d’une déesse qui ressemblerait à Vénus telle que Boucher l’a peinte, passe encore, le paradis me serait serait assez agréable, mais rester un quart d’heure dans l’intimité du dieu des religions du livre, ça me ferait vraiment vomir
    - j’oubliais, restant chrétien, qu’il y a quand même quelques houris dans un coin du jardin ! Les femmes ont plus de chance, elles peuvent imaginer un dieu attirant et sexy, mais je crois tout de même qu’il les traiterait assez mal s’il faut en juger par les dispositions particulières qu’il manifeste à leur endroit dans sa révélation. En fait, je crains que dieu, s’il existe, ne soit exclusivement homosexuel.

    Je n’ai rien compris à votre dernier paragraphe. Si le cerveau n’était pas un système complexe et chaotique, où serait notre liberté et pourquoi passerais-je mon temps à discuter avec l’espèce de machine-outil que vous seriez et qui ne ferait qu’exécuter imperturbablement le processus pour lequel on l’a conçue ? Et vous n’allez tout de même pas nous ressortir le vieux truc de tous les totalitarismes : celui qui refuse la psychanalyse et un malade qu’il faudrait psychanalyser, celui qui refuse le communisme est un fou dangereux qu’il faut rééduquer, etc. Tout cela est usé jusqu’à la corde. Je ne vois pas non plus quel rapport j’entretiendrais avec la pensée de Martin Heidegger, que j’éxècre autant que le freudisme. Cette accusation gratuite ressemble à une dernière tomate lancée vers à l’athée, à un vrai coup de grâce ; cependant, Dieu merci, je suis toujours vivant !!!

    PS si tous tapez dans Google « muscle artificiel », vous verrez qu’on y est déjà, on en a fabriqué à partir de la nouvelle chimie du carbone. Vous verrez aussi que dans certains hôpitaux on expérimente des exosquelettes pour les infirmes, construits selon des techniques déjà périmés (simples moteurs). Tout cela coûte encore très cher mais c’est quand même pour bientôt.


  • Najat Jellab Najat Jellab 22 mai 2012 20:11

    Christian,

     Alors ça c’est pas de bol, parce que dans mon temple, en plus de Socrate et de Mohammed, se trouve ce pauvre naïf de Husserl… Mais je vais commencer par expédier les quelques autres questions avant d’en revenir à lui.

    Quand je dis aimer les vielles peaux, je dis bien justement qu’elles nous enseignent toujours davantage au fur et à mesure qu’elles vieillissent, c’est bien pour cela que nous les recevons différemment. Le wahhabisme que vous me suggérez d’admirer, est au contraire, la perception lisse, qui ne connaît que la lecture du VII e siècle, d’un Coran encore plus jeune de quatorze siècles. Il me semble que l’ allégorie est claire, non ? Mais peut-être qu’il est difficile à votre esprit de s’élever à la poésie, sans doute devrais-je davantage veiller à n’employer que des mots et expressions univoques. Mais comment avez-vous pu enseigner les Lettres ? Pardonnez-moi ce cri, il implique un jugement qui sort du cadre de notre discussion...

    « Un philosophe digne de ce nom, se fout complètement de la religion » dites-vous, puis vous ajoutez « je n’ai pas plus besoin d’une religion que d’un cheval » …C’est vous le philosophe ? Si telle est votre prétention, voici un premier point fort utile, à noter dans un petit carnet :

    - la question de la religion, de Dieu (ou des dieux) a occupé la philosophie depuis ses origines.

    Même si l’on ne souscrit pas à la thèse de Heidegger selon laquelle toute la métaphysique est une onto-théologie, c’est-à-dire à la fois une ontologie et une théologie, il n’en reste pas moins que cette dernière a imprégné et même dirigé la pensée philosophique. 

     A la question de savoir pourquoi une machine consciente vous donnerait un ordre digne du Dieu de l’Ancien Testament, ma réponse est : pourquoi pas ? Qu’est-ce qui l’en empêcherait ?

    Mais je salue votre honnêteté à vous définir comme un antihumaniste comme je le pressentais, ce qui suffit amplement à justifier votre aspiration pour le chaos. Ne feignez pas de n’avoir pas compris, encore une fois.

    Vous ne pouvez pas être antihumaniste et prétendre ne pas souscrire à l’idée de surhomme. Tout comme il n’y a pas de bourreau tendre, il n’y a pas d’antihumaniste qui ne croie à l’avènement du surhomme.

    Vous ajoutez ensuite, qu’on ne peut pas se réclamer de l’humanisme, en essayant de faire de l’humanisme une idéologie aux concepts et valeurs figés, totalitaristes. L’humanisme consiste à mettre l’homme au centre du discours - contrairement à des disciplines telles que la finance ou la technologie et dans les corpus desquelles, il n’est nulle part question de l’homme- et à admettre la primauté de celui-ci et de ses droits fondamentaux. Je ne vois pas en quoi vous pouvez comparer ces principes à ceux du stalinisme par exemple...

    J’en arrive maintenant aux considérations husserliennes.

    Je ne crois pas du tout qu’il soit un philosophe difficile, au contraire, je trouve qu’il n’y a pas plus « évident » que Husserl, et c’est bien parce que je pensais que vous l’aviez lu (puisque vous me l’aviez dit précédemment) que je vous le citais, sans quoi je ne me serais pas permis de vous faire passer pour un ignorant ni n’aurais perdu mon temps.

     « Il n’est nulle part question dans la Krisis d’une critique du rationalisme et encore moins de l’idée de progrès. Vous devez confondre avec Heidegger » me dites vous…Ce qui me fait sourire c’est que c’est vous qui me disiez dans le message précédent que cela faisait longtemps que vous l’aviez lu : je veux bien vous croire.

     Aussi, reprenons : dans la Krisis, l’immense effort husserlien consiste à ressaisir le destin de l’Europe, et ressaisir ce destin passe par une refondation du rationalisme lequel s’est fourvoyé dans le naturalisme et l’objectivisme mathemathisé qui naît avec Galilée. je vous cite quelques passages de la Krisis , (trad G. Granel. Gallimard), pardon si parfois, les passages cités sont un peu longs...

     Le principe même de la rationalité moderne (celle qui a engendré la crise) est de n’avoir pas à réinterroger ses fondements pour légitimer ses développements actuels et futurs, et de se considérer comme seule norme et méthode de vérité. Je ne vais pas reprendre ici ce que je vous écrivais déjà dans le message précèdent, mais ce qui est engagé par Husserl sous le titre général de Krisis, est bien une crise de la raison elle-même, et c’est pourquoi vous avez tort de considérer le terme de crise dans une acception atténuée, cette crise de la raison n’est pas seulement conjoncturelle, dans la mesure où elle advient à une période déterminée de l’histoire de la rationalité scientifique, elle est aussi structurelle, puisque cette rationalité est reconnue porter en elle-même la possibilité de sa propre « aberration » (p372) , jusqu’à devenir, comme « rationalité unilatérale », « un mal »(p373).« L’orientation unilatérale » du rationalisme dans le naturalisme et- ou l’objectivisme des sciences modernes est précisément ce qui fait obstacle à l’édification d’une véritable « science de l’esprit »(p381), cette science que Husserl entendait édifier par la phénoménologie transcendantale. C’est dire que, dans la rationalité moderne, la raison se retourne contre elle-même. C’est là ce qui explique « l’obscurité devenue insupportable dans laquelle l’homme se trouve quant à son existence propre et à ses tâches infinies »(p380).

    Les « tâches infinies » pour Husserl constituent une réponse à la question du sens ultime de l’existence humaine, et la personne individuelle concrète du philosophe, en bon missionnaire face à cette tâche infinie, n’est ni sujet ni objet de réalisation mais uniquement un fonctionnaire dans un contexte qui le transcende, il est donc bien « fonctionnaire de l’humanité ». Jusque là je pense que vous serez d’accord avec moi.

    Poursuivons : « avec la première conception des idées, l’homme devient peu à peu un nouvel homme. Son être spirituel entre dans ce mouvement d’une réélaboration perpétuelle.(..) C’est en lui d’abord (et par la suite également au-delà de lui) que s’élargit une humanité particulière, qui, vivant dans la finitude, projette sa vie vers le pole de l’infinité. Du même mouvement apparaît un nouveau mode de formation de la communauté et une nouvelle figure de la permanence de la communauté dont la vie spirituelle, qui doit son caractère de communauté à l’amour, et la production des idées et la normation idéale de la vie, porte en soi l’horizon futur de l’infinité : celui d’une infinité de générations qui se renouvellent à partir de l’esprit des idées » (page 356).

    Cette humanité particulière qui « projette sa vie vers le pole de l’infinité », c’est ce que Husserl nomme aussi l’intersubjectivité transcendantale. L’« infinité », ce terme que je citais plusieurs fois, et qui n’a pas manqué de susciter votre indignation, n’était pas de moi mais bien de Husserl, il est si récurrent que ce serait à mon tour de vous demander si vous avez bien lu ce dont vous me parlez ;« infini », « communauté », « être spirituel »… ce champ lexical ne vous rappelle donc rien ?

    Vous me demandiez ce que je mettais sous le mot infini, en fait votre question aurait du être que met Husserl sous ce terme : l’infinité de la tâche, c’est l’intuitivité que Husserl revendique comme principe d’exploration du réel et qui constitue l’illimitation de la rationalité.

    Or Husserl entend aussi réhabiliter la doxa, et pose le problème de la croyance métaphysique en identifiant croyance et opinion. Or pour « la doxa si méprisée », Husserl revendique le titre de « fondement de l’épistémè (paragraphe 44 page 177). Il s’agit pour Husserl d’ébranler l’impérialisme de la raison objectivante et de penser un sujet affecté par ses impressions, de dénoncer le rationalisme objectiviste de la science, pour revenir au Lebenswelt, c’est-à-dire aux choses de la vie, et de passer à la subjectivité transcendantale qui le fonde. Cette démarche philosophique ouvre la voie à ce qu’il appelle l’intersubjectivité transcendantale, qui ne serait que l’autre nom du messianisme, mais ce serait trop pour vous, je vous en épargne la démonstration…

    J’ajoute un point sur le terme de « communauté », il s’agit bien entendu de celle des savants, des connaissants : selon Husserl cette communauté doit répondre à deux exigences : celle d’être ouverte aux « non connaissants », en privilégiant l’apprentissage, et celle d’une impersonnalité, anonyme de la connaissance. Il ne peut donc pas y avoir de mythification ni d’un philosophe ni d’une idée, la communauté phénoménologique qu’il souhaite a ceci de commun entre ses membres que chacun d’entre eux est en quête, à sa manière, de la même chose que chaque autre. Le message phénoménologique s’adresse à tous, et tous sont égaux dans cette ascèse philosophique, en bon humaniste, Husserl prône donc sa vulgarisation …

    Husserl inscrit sur l’horizon apocalyptique de cette année 1936 la promesse d’une renaissance, mais il ajoute que le renouvellement de l’humanité dépendra de sa capacité à se remémorer l’essence de son rationalisme qui n’est pas sans assumer un caractère platonicien car elle lie étroitement cette nouvelle humanité qu’il appelle de ses vœux avec sa capacité à assumer la nature infinie de son destin spirituel.

     « Le plus grand péril qui menace l’Europe, c’est la lassitude. Combattons ce péril des périls en « bons européens », animés de ce courage que même un combat infini n’effraie pas. Alors de la flamme destructrice de l’incrédulité, du feu où se consume tout espoir en la mission humaine de l’Occident, des cendres de la pesante lassitude, ressuscitera le phénix d’une nouvelle intériorité vivante, d’une nouvelle spiritualité : ce sera pour les hommes le gage secret d’un grand et durable avenir car seul l’esprit est immortel » (p382, 83)

    Et c’est ma lecture de Husserl qui en fait un mystique, dites vous … ?

    Je vous concède qu’il faut lire un peu plus que la première page pour trouver ces passages.

    Les dimensions religieuses de Husserl sont si peu « camouflées » que c’est Husserl lui-même qui définit Dieu comme l’aspiration ultime de toute vie humaine : il écrivait à son assistante Edith Stein, en 1925 : « La vie de l’homme n’est rien d’autre qu’un chemin vers Dieu. » (cité dans Edith Stein, par Elisabeth de Miribel Seuil p. 113)

    « Dieu est l’entéléchie et en dehors de lui il n’y a « rien », il est ce qui conforme le tout, et la matière irrationnelle n’est pas une chose fabriquée, mais précisément de la matière. Et le monde tient son être de Dieu, et n’est en dehors de cela « rien ». Et Dieu n’est qu’en tant que principe de perfection directeur et qui prête âme, etc. » ecrit il dans le Manuscrit F I 24. Vous pouvez retrouver ce passage dans un article  de Jocelyn Benoist « Husserl : au-delà de l’onto-théologie », in Autour de Husserl. Vrin p. 198).

    Dieu est donc bel et bien convié au banquet phenomenologique de Husserl, n’en déplaise au philosophe que vous êtes… Cependant, dans la mesure où dans la philosophie de Husserl, c’est l’intersubjectivité transcendantale, c’est-à-dire la communauté universelle de l’humanité tout entière, qui assume la fonction de constitution transcendantale d’un monde commun, Dieu n’est au fond que l’Idée de cet absolu communautaire., une sorte d’Idéal régulateur…

     « Au reste, Husserl s’amuserait beaucoup de votre prétention à utiliser son oeuvre pour justifier votre plaidoyer en faveur du religieux : le premier chapitre de la Krisis s’intitule « Elucidation de l’origine ». » disiez vous…. 

    J’espère que je ne vous apprends rien en disant qu’il s’agit ici de l’origine de la crise (et non de l’origine du monde) car en bon philosophe, Husserl diagnostique une crise, mais pour cela il en établit la généalogie, avant de proposer une thérapeutique. L’Origine remonte bien à Galilée, et même plutôt aux Grecs, telle est la généalogie de la crise (et non du monde excitant dont vous parlez, en tout cas pour Husserl, le résultat est loin de susciter l’excitation) . Et pour remédier à cette crise, il propose retrouver l’infini comme je vous l’écrivais auparavant.

    Mais sans doute faut il avoir quelque fibre « mystique » pour saisir ce philosophe qui vous parait difficile : la phénoménologie comme science descriptive des états de conscience sous entend un état méditatif, et même contemplatif. Elle se nourrit aussi de fictions et conserve la teneur de ce qu’elle tire de l’intuition. La réduction phenomenologique permet d’accéder à une autre dimension du réel et il n’y a aucune opposition doctrinale entre la réduction phénoménologique et l’expérience mystique, la seule différence fondamentale est que la seconde implique une adhésion immédiate une croyance de type fusionnel, et la première est régie par l’absence de toute présupposition, et se veut une analyse des phénomènes qui se donnent à moi. Mais Husserl compare lui-même expressément la réduction phénoménologique à la conversion religieuse dans la Krisis(paragraphe 35, p140) même si cette comparaison n’est vraie que structurellement et non dans le contenu.

     Quand je vous citais Freud au milieu d’un paragraphe sur Husserl, je vous rappelais la thématique de la crise commune dans ces deux œuvres, car je pense que le caractère contemporain de la Krisis et du Malaise dans la Civilisation mérite que l’on se penche sur les points communs aux deux oeuvres. C’est bien un certain état de « maladie » de la civilisation qui est visé dans les deux oeuvres. Parlant de « la crise de l’existence européenne » et de ses « innombrables symptômes »(p382), Husserl dit en effet que « les nations européennes sont malades »(p384) ; et, déclarant se soucier de « la santé spirituelle européenne »(p372), il interroge la pertinence d’ « une médecine scientifique des nations et des communautés supra-nationales »(p348) — ce qui n’est pas sans rappeler la question que Freud pose, à la fin de son essai, sur la possibilité de comparer les névroses individuelles et les névroses sociales (Malaise dans la civilisation, p. 247). 

    Mais je ne sais comment, alors que je ne faisais que vaguement pointer une orientation possible de réflexion, vous en avez déduit que je faisais de Husserl un adepte de Freud. Sans doute avez-vous mal lu ou n’était-ce qu’une tentative maladroite de discréditer mes propos.

    Du point de vue scientifique, je ne suis pas plus hostile à la psychanalyse qu’au marxisme, ils constituent ce que Karl Popper appelait des théories infalsifiables, c’est-à-dire dont on ne peut prouver ni qu’elles sont vraies ni qu’elles sont fausses. Mais elles constituent des hypothèses valides de pensée et de travail.

    Par ailleurs, Freud lui-même avait bien spécifié dans son Introduction à la Psychanalyse, que ses travaux n’avaient d’intérêt que parce qu’ils aidaient ses patientes névrosées, ils avaient donc une valeur empirique et pratique. C’est d’ailleurs propre à la médecine que d’avoir des traitements qui marchent sans que l’on ne sache toujours pourquoi ils marchent.

    N’ouliez pas, non plus, que c’est la psychanalyse qui vous permet de ramener toute révélation ou toute prophétie à la schizophrénie (comme vous l’avez fait dans de précédents messages), c’est à dire à la division illusoire du sujet, et de faire penser comme hallucination, ou archétype de l’inconscient collectif tout phénomène « mystique » . Cela est vrai évidemment de Freud, imprégné au dernier degré de l’idéologie positiviste sous sa forme la plus brutale, mais aussi de Lacan et même de Jung. J’aurais donc pensé que vous auriez quelque affinite avec cette discipline. 

    Enfin, je constate que vous exécrez Freud, Heidegger, Nietzsche, Platon, Girard, Dieu….

    Est-ce une maladie française ou parisienne que d’exécrer tout le monde sans même avoir le talent de personne ?

    Oh oh, sans rancune J

     


    • Christian Labrune Christian Labrune 23 mai 2012 01:37

      Najat,

      Il est de fait que lorsqu’on traite de questions philosophiques, la littérature n’a guère sa place et qu’il vaut mieux renoncer délibérément aux analogies. Il m’arrive d’y avoir recours aussi mais j’ai tort parce que de ces formulations creuses, équivoques, on ne peut pas déduire grand chose qui satisfasse aux exigences de la logique. Ne me parlez pas des Lettres, elles ne seront jamais pour moi un modèle de rigueur. De fait, je les ai enseignées, mais c’était à mon corps défendant. Ce n’est pas que j’exècre tout, et systématiquement, comme vous paraissez le supposer, c’est que j’ai l’habitude de faire le ménage et de ne pas m’encombrer de ce qui ne me sert plus à rien.

      Il est déjà plus de minuit, je viens seulement de découvrir votre texte et je pense pas que j’aurai le courage de vous répondre tout de suite à propos de Husserl, j’y passerais la nuit. Je vais me contenter de quelques remarques sur le début qui éclaireront tout de même un peu la difficulté de la communication.

      Vous commencez encore par une formule à l’emporte-pièce : « la question de la religion, de Dieu (ou des dieux) a occupé la philosophie depuis ses origines ». Je n’en disconviens pas mais cela ne constitue pas un argument recevable. Si vous cherchez des justifications dans l’histoire, autant voir tout de suite qu’après la période classique, la question de Dieu disparaît à peu près complètement de la philosophie avec un rejet de la métaphysique qui ne me paraît pas pour autant souhaitable : les arguments en sa faveur de F. Nef, par exemple, me paraissent tout à fait justifiés. Encore faudrait-il préciser que le Dieu des philosophes n’a pas grand chose à voir avec celui des religions révélées ; c’est même dès le début du moyen-âge central que la philosophie commence à refuser d’être au service de la religion, et déjà avec le « fides quaerens itellectum » d’Anselme, au XIe siècle, qui marque le début du rationalisme. La philosophie moderne commence au XVIIe siècle avec un rejet de la révélation, la bible étant désormais perçue comme un grotesque fatras. Vous avez lu comme moi le « Traité théologico-politique » de Spinoza ; dès lors, pourquoi feindre qu’une réconciliation serait possible entre ces deux domaines de pensée qui s’excluent de plus en plus radicalement. Descartes était arrivé à l’idée, et pas seulement par prudence, qu’aucun pont ne pouvait être jeté entre philosophie et religion.

      A la question de savoir si une machine intelligente pourrait anéantir son créateur, je pensais vous avoir déjà fait une réponse à peu près équivalente au « nul n’est méchant volontairement » de Socrate. La méchanceté suppose un champ de conscience très limité, ce qui serait tout à fait en contradiction avec l’idée d’un être supérieurement intelligent, laquelle suppose nécessairement la bienveillance.

      Quand vous me parlez d’une « aspiration au chaos » qui résulterait de mon antihumanisme, je me demande si nous parlons bien de la même chose. La notion de chaos dans la physique contemporaine n’est jamais associée à des connotations négatives, le mot n’est en rien péjoratif. Le chaos dont vous parlez ce serait, je le vois bien, la guerre, la violence, la destruction. La notion de chaos en physique sert seulement à caractériser les systèmes qu’on appelle complexes parce qu’ils paraissent échapper aux lois du déterminisme laplacien : on ne peut pas calculer leur évolution. Je vous l’ai déjà dit : si votre cerveau n’était pas un système chaotique, vous seriez entièrement déterminée, vous n’auriez aucune liberté.

      « Vous ne pouvez pas être antihumaniste et prétendre ne pas souscrire à l’idée de surhomme », écrivez-vous encore, alors que je vous ai expliqué le contraire, et d’une manière qui n’avait, ce me semble, rien de confus. Vous pouviez bien critiquer mon propos, mais répondre à une argumentation par une formule qui implique qu’on ne l’ait pas lue ou qu’on n’ait pas voulu la prendre en compte, c’est tricher et fausser le débat.

      Le problème serait plutôt pour moi, comme pour Francis Ponge (un poète que je ne déteste pas !) de sortir de l’humain, mais je ne vais quand même pas refaire ici toute la critique de la notion d’humanisme : je ne suis pas le premier dans cette tendance et la position du problème est connue. Quand vous me dites que « vous ne voyez pas en quoi [je] peux comparer ces principes [de l’humanisme] à ceux du stalinisme par exemple », je ne vais pas recopier ce que je vous ai écrit et que vous feignez aussi de ne pas avoir lu. J’appelle humaniste celui qui prétend savoir ce que c’est que l’Homme, ce que sont ses origines, ce que doit être son devenir et ce qui convient le mieux à cette charmante espèce vivante, comme si elle avait une « nature » immuable, éternelle. Hitler, Staline, les chrétiens et les musulmans, sur toutes ces questions, ont des réponses toutes prêtes. Si vous êtes humaniste, c’est aussi que vous savez ce que c’est, cet objet que vous mettez « au centre du discours », et au fond, j’aurais mieux fait de vous interroger là-dessus. Vous pourrez bien me dire, avec Protagoras, que « l’homme est la mesure de toutes choses », mais encore faudrait-il qu’il sût lui-même ce qu’il est, et on n’a pas manqué de critiquer cette vieille formule. Vous me disiez naguère qu’on ne pouvait pas envisager un modèle de conscience sans savoir ce qu’est la conscience. Eh bien, il devrait vous être assez facile, puisque vous tenez à parler de l’Homme, de définir ce qui constitue l’objet de votre discours, mais je ne vous cacherai pas que je m’attends au pire ! Si vous définissez l’homme par les droits de l’homme, comme il semble que vous soyez tentée de le faire, vous risquez fort de tomber dans ce que les logiciens appellent un cercle.

      Reste le cas de Husserl. Gros morceau ! Vous en faites une sorte de spiritualiste, à partir de quelques formules que vous avez choisi de prélever ; dans ce corpus expurgé, je ne reconnais pas vraiment mon philosophe, pas plus que je ne le retrouve la phénoménologie husserlienne dans les interprétations d’un Jean-Luc Marion ou les dérives du dernier Lévinas, mais j’espère que nous avons la même grosse édition Gallimard et je vais relire tous ces passages, cela aura déjà le mérite de me rafraîchir la mémoire.


    • Christian Labrune Christian Labrune 23 mai 2012 12:28

      Najat,

      Il faudrait peut-être, pour commencer, recentrer un débat qui a progressivement complètement dérivé. Ce n’est pas par hasard que nous avons parlé du rationalisme, c’est parce que je vous ai entraînée sur le terrain des sciences, opposant le permanent travail de réflexion et de redéfinition du réel qu’elles imposent à la révélation religieuse donnée d’emblée comme définitive mais qu’il faut bien quand même périodiquement bricoler et replâtrer si on veut qu’elle puisse avoir l’air de tenir le coup en face d’une approche rationnelle du monde. Le religieux et le rationnel se trouvaient en conflit, et pour dépasser cela, vous me représentiez que le rationnel, présent dans la mathématique et les sciences de la nature était insuffisant, conduisait à je ne sais quelles catastrophes pour l’humanité. La preuve en était qu’un philosophe tel que Husserl critique le rationalisme. Sauf que vous faites semblant de ne pas voir qu’il le fait non pas au nom de je ne sais quel mysticisme à la Pascal, mais à partir d’une exigence rationnelle encore plus forte et plus conséquente : le rationalisme moderne, selon lui, pèche par manque de radicalité, mais il est tout à fait excessif de dire que « dans la rationalité moderne, la raison se retourne contre elle-même ». Un retournement dialectique de cette nature, c’est celui de Pascal auquel vous souscririez presque, lorsqu’il considère qu’il est pour la raison raisonnable de se soumettre à la foi. Je ne sache pas qu’aucun praticien des sciences de la nature dans les années 30 se soit jamais résolu à jeter son bonnet par dessus les moulins pour se prosterner devant Dieu. On s’est fourvoyé, on a manqué de rigueur, c’est à peu près tout ce qu’on peut dire.

      Quant à la direction que doit prendre la philosophie, Husserl se présente comme un fonctionnaire, et sûrement pas comme un « missionnaire » (vous paraissez vouloir rendre équivalents les deux termes ! ) « face à cette tâche infinie ». Le missionnaire sait très bien où il va et quelle marchandise il doit fourguer ; le fonctionnaire, lui, expédie au mieux les affaires courantes. Commentant le projet husserlien, Merleau-Ponty écrit assez justement : « Il faudra donc qu’elle [la philosophie] s’adresse à elle-même l’interrogation qu’elle adresse à toutes les connaisssances, elle se redoublera donc indéfiniment, elle sera comme dit Husserl, un dialogue ou une méditation infinie, et, dans la mesure même où elle reste fidèle à son intention, elle ne saura jamais où elle va. L’inachèvement de la phénoménologie et son allure inchoactive ne sont pas le signe d’un échec ». Les tâches infinie ne constituent donc certainement pas (je vous cite) une « REPONSE à la question ultime de l’expérience humaine », et le titre de l’excellent petit bouquin d’Emmanuel Housset, « Husserl et l’énigme du monde » laisse bien voir dès la couverture qu’il n’y a pas de réponse à attendre à la question que pose ce style de questionnement philosophique.

      Mon intention n’est évidemment pas de vous assommer de citations, mais enfin, s’il s’agit d’interpréter Husserl, il vaut mieux, n’étant pas un technicien de la philosophie, que je vous laisse voir ce que d’autres plus autorisés peuvent penser des questions que nous évoquons. Françoise Dastur examinant la référence à Dieu dans certains textes, précise bien : « Il ne s’agit pas, comme Husserl a soin de le préciser, de transporter ici le débat sur le plan théologique, mais simplement, en demeurant sur le plan épistémologique, de se servir de l’idée de Dieu comme d’ »un index indispensable lors de la construction de certains concepts-limites dont l’athée lui-même a besoin quand il philosophe » »(p. 246). Et elle termine ce chapitre consacré au rapport entre Husserl et Dieu en disant « Même si dans l’idée d’une communauté de l’amour en tant que réalisation de l’intersubjectivité véritable, on peut déceler la reprise d’un thème chrétien chez Husserl, cette apparente « christianisation de la phénoménologie » ne fait pourtant intervenir en aucune façon la dimension de la révélation et à aucun moment la théologie chrétienne ne peut être invoquée comme fondement de la téléologie husserlienne » (p.248). Comme vous pouvez le voir, elle n’est pas plus que moi impressionnée par le fait qu’Husserl utilise quelquefois des termes qui ont pu déjà mijoter dans d’autres sauces que la phénoménologique. Ainsi des mots « âme » ou « spiritualité », par exemple, dans pas mal de textes.

      De même, lorsque vous parlez d’une « réhabilitation de la doxa », vous forcez trop l’interprétation. Que la phénoménologie, après un très long détour par l’épochè, la réduction éidétique et tout un dispositif critique qui, en dépit de ce que vous en dites, n’est pas si simple que cela, en revienne à essayer de dégager ce qui fait sens dans le Lebenswelt et même dans l’intuition antéprédicative, ce n’est le moindre de ses paradoxes apparents, mais je ne vois rien là, en fait, que de très logique, c’est conforme au projet initial. C’est probablement en ce sens que vous pouviez dire que rien n’est plus « évident » que la phénoménologie. C’est au sentiment de l’évidence du monde tel qu’il se donne, de fait, qu’elle s’intéresse, et il vaut mieux que le philosophe qui descend un escalier ne suspende pas trop à ce moment-là, à la manière de Pyrrhon, la thèse du monde, il risquerait de se casser la gueule. Mais il reste que c’est quand même le long détour que la pensée a effectué, un instant saisie par l’énigme du monde, qui est important et qui change tout, et Husserl ne propose évidemment pas, comme Pascal, un renoncement à la rélexion et à la connaissance, un suicide radical de l’intellect qui permettrait d’aller en conscience tenir des conversations de comptoir devant un demi ou, tout aussi bien, d’aller se vautrer sur un prie-Dieu ou un tapis de prière.

      Husserl s’est débattu des années avec la question du solipsisme. Son objectif aurait été de parvenir à esquisser une intersubjectivité transcendentale. Bien des pages de la Krisis témoignent d’un projet qui reste malheureusement inachevé. A cet égard, la Krisis n’est pas le meilleur texte de Husserl, il a toutes sortes de raisons d ’être quelque peu déprimé, et cela se sent. La phrase que vous citez, de la page 382 « la flamme destructrice de l’incrédulité, du feu où se consume tout espoir en la mission humaine de l’Occident, des cendres de la pesante lassitude... » est à cet égard assez révélatrice d’une sorte de désespoir en même temps que d’une volonté acharnée de persévérer. Elle peut paraître effectivement quelque peu entachée de mysticisme, mais c’est vous qui choisissez de citer un passage faible, et on en trouve un certain nombre, dans ce rassemblement de textes, d’un homme qui sent qu’il approche de sa fin et que l’Europe est au bord du gouffre.

      Vous me renvoyez à une citation dans un texte d’Elisabeth de Miribel. Une femme tout à fait remarquable, mais rongée par le mysticisme, et qui a quand même failli finir sa vie au Carmel. Comme philosophe, il me semble qu’on peut trouver mieux ! En fait, ce que vous oubliez de préciser, c’est que Husserl, disant cela, s’adresse à une chrétienne, Edith Stein, et il lui parle un langage qu’il peut imaginer qu’elle comprendra. Il ajoute même  : « J’ai voulu atteindre Dieu sans Dieu. Il me fallait éliminer Dieu de ma pensée scientifique pour ouvrir la voie à ceux qui ne connaissent pas, comme vous [sublime politesse ? ironie ?], la route de la foi passant par l’Eglise ». Et Françoise Dastur, qui fait aussi un sort à ce propos rapporté, d’ajouter : « Dieu en tant que logos absolu n ’ »existe » pas, il n’est rien d’autre que la raison absolue venant à soi-même dans un processus infini et l’histoire elle-même peut être considérée comme « le processus de l’auroréalisation de la déité », ainsi que le dit Husserl dans un antre manuscrit des années trente. En fin de compte, l’idée de Dieu est pour Husserl identique à celle d’une humanité parfaite, d’une humanité totalement rationnelle : en tant que ce logos absolu vers lequel tout être fini est nécessairement orienté, Dieu n’est que « l’homme infiniment éloigné » » (p248, et l’expression citée à la fin est dans la Krisis, p. 77).

      Je retrouve bien ici la seule métaphysique très hypothétique que je m’accorde par récréation quand je vous parle d’une machine consciente, munie d’une conscience en expansion continue, qui finirait par réaliser l’idée que les hommes se sont toujours faite d’un Dieu, lequel serait bien évidemment à venir et non pas origine du monde.

      Je ne suis qu’à la fin du deuxième tiers de ma réponse. J’essaie de ne rien négliger de ce que vous m’écrivez et je ne pourrai probablement pas finir avant demain.

      * Quand je cite Dastur, il s’agit de « La phénoménologie en questions »    Vrin - 2004





    • Christian Labrune Christian Labrune 24 mai 2012 13:30

      J’écris en capitales (le « gras » ne passe guère par l’internet), des passages importants.


      Najat
      J’en étais resté à la question d’une « réhabilitation » de la doxa dont il me semble que vous tiriez des conséquences un peu hâtives. L’objectif de Husserl n’est évidemment pas, après avoir essayé de rendre compte de la constitution du monde dans une subjectivité qui lui donne sens, de nous renvoyer à des conceptions naïves et pré-scientifiques, qui rendraient complètement caduques les sciences régionales. Il y a quelques pages, dans « Expérience et jugement », qui sont à cet égard tout à fait précises. Par exemple, il écrit (p. 54) : « Dans tout cela, il ne faut pas voir du tout une dépréciation de la connaissance exacte, ni non plus des connaissances apodictiques de la logique. Le sens de ces considérations est UNIQUEMENT DE CHERCHER A ECLAIRCIR LE CHEMIN QU’IL FAUT EMPRUNTER POUR ARRIVER AUX EVIDENCES DE DEGRE SUPERIEUR, ainsi que les présupposés cachés sur lesquels elles reposent, présupposés qui déterminent et limitent leur sens ». Le modèle de cette démarche, c’est évidemment celle de « L’origine de la géométrie », que vous avec dû lire, préfacée par Derrida. Lorsqu’il parle de « ces considérations », c’est évidemment du retour au Lebenswelt, à l’expérience originaire du monde de la vie, « qui ne comporte encore aucune de ces idéalisations [des sciences régionales] mais en est le fondement ». Il écrit (p, 53) : « Le retour dans la couche la plus profonde, la couche originaire ultime de l’expérience anté-prédicative, SIGNIFIE UNE LEGITIMATION DE LA DOXA, qui est le domaine des évidences originaires ultimes qui n’ont pas encore accédé à l’exactitude et à l’idéalisation pysico-mathématiques. Par là, il apparaît également que ce domaine de la doxa n’est pas un domaine d’évidences d’un rang inférieur par rapport à celles de la science, de la connaissance judicative et des ses produits, mais qu’elles est justement le domaine ultime et originel auquel renvoie pour son sens la connaisssance exacte, qui a pour caractéristique d’être une simple méthode et non une voie conduisant à la connaissance d’un en-soi » . Et à la suite de la première phrase que je citais, et qui conclut le paragraphe, Husserl écrit encore, parlant des connaissances exactes : « Elles ne sont pas mises en question quant à leur contenu. Bien au contraire, il reste que C’EST A ELLES QUE LA CONNAISSANCE SE TERMINE, que le cours de celle-ci consiste à S’ELEVER DE LA DOXA A LA SCIENCE – simplement ce but ne doit pas faire oublier l’origine et la légitimité spécifique des degrés inférieurs ».

      Vous voyez bien par là que Husserl, contrairement à ce que vous voudriez laissez entendre, n’est pas en train de nous expliquer que les « vérités » de la doxa vaudraient celles de la phénoménologie transcendentale, que les religions, par exemple, seraient égales en dignité et pourraient être mises sur le même plan. Au reste, il y a dans tous ces textes une certaine difficulté à entendre le mot « doxa », lequel suppose évidemment une perception déjà quelque peu thématisée du monde. Or, dans le même passage, il renvoie à l’anté-prédicatif, c’est-à-dire à une strate de la conscience qui précède même le logos : celle où les choses du monde se donnent en personne et sont immédiatement reconnues. La doxa, n’est donc pas ici une opinion construite opposable à plusieurs autres également construites, c’est ce que nous savons immédiatement sur l’espace, le monde, les êtres et les objets qui s’y rencontrent, ce qui fait que nous évitons, sans même avoir à construire un raisonnement, de traverser la rue s’il arrive un autobus.

      Quand vous écrivez « La réduction phénomenologique permet d’accéder à une autre dimension du réel et il n’y a aucune opposition doctrinale entre la réduction phénoménologique et l’expérience mystique, la seule différence fondamentale est que la seconde implique une adhésion immédiate, une croyance de type fusionnel, et la première est régie par l’absence de toute présupposition, et se veut une analyse des phénomènes qui se donnent à moi. » vous paraissez assimiler la réduction à une sorte d’expérience initiatique quasi religieuse pour préciser qu’il y a tout de même une différence ; or, cette différence n’est pas petite, elle est radicale. Il est de fait que nous « croyons » au monde, et c’est bien ça la doxa dont il était question plus haut. Je peux bien, comme dans l’épisode cartésien du doute hyperbolique, penser que peut-être il n’y a pas de monde et que peut-être je n’existe pas moi-même, il n’empêche que si l’autobus n’est plus qu’à deux deux mètres, je suspends non pas la thèse du monde, mais le doute qu’elle induisait et je fais prudemment un pas en arrière. Il n’y a aucune preuve, au fond, de l’existence d’un monde, et il n’est qu’une croyance assortie de pseudo-preuves à peu près suffisantes pour être en état de continuer l’expérience de la vie. La phénoménologie essaie de comprendre la manière dont se constituent nos idées, elle essaie de remonter à l’expérience originaire qui fonde le rationnel, et si elle retourne en arrière, jusqu’à la croyance originaire, ce n’est pas qu’elle désire l’irrationnel : la visée husserlienne est bien celle, toujours d’une rationalité pure et d’un maximum de conscience. Tout cela est sans grand rapport avec cette espèce d’anéantissement vaguement orgasmique que suggère très bien, figurée par Bernin, cette transverbération de Sainte-Thérèse qui est assurément la meilleure représentation possible du mysticisme et de sa visée intentionnelle.

      Vous rapprochez la Krisis et « Malaise dans la civilisation ». Les deux auteurs ont à peu près le même âge, tous deux sont juifs dans une époque abominable. Mais là s’arrête la similitude et je ne vous ai jamais dit que vous faisiez de Husserl un adepte de Freud ! Ce que je vous ai dit, c’est que Freud était l’exemple même de ce pseudo-rationalisme dénoncé par Husserl, et que si vous adhériez à la méthode de pensée de la phénoménologie transcendentale, vous ne pouviez qu’être horrifiée par l’abominable purée idéologique du Viennois. Je m’explique : la phénoménologie est assez radicale, elle veut en tout des descriptions exactes, qu’on ne confonde pas les mots et les choses, et qu’on ne bâtisse rien sur du fumeux. Si vous appliquiez cette exigences à une étude critique de Freud, que resterait-il ?. Quand vous me dites que ce sont des « hypothèses valides de pensée et de travail », vous êtes dans une espèce de relativisme dilettante qui fait contraste avec votre défense des principes d’une phénoménologie qui, à l’inverse du totalitarisme freudien, n’est pas une théorie fermée, mais une simple méthode qui, quoique inachevée et perfectible, s’impose impérieusement comme antidote, une fois qu’on l’a assimilée, à toute naïveté. Je sais bien qu’on trouve tout en philosophie, et même le relativisme du dilettante ou des manuels scolaires ! J’ai perdu le petit « que sais-je » que Lyotard consacre à la phénoménologie. Il y a à la fin au moins un chapitre consacré aux rapports entre le marxisme et la phénoménologie. Je me demande, mais je ne peux pas vérifier, s’il n’y en a pas un autre qui traiterait aussi de ses rapports avec la psychanalyse ! Aujourd’hui, il me semble que ces sortes de rapprochements ne seraient plus possibles. Marx est intéressant en tant qu’auteur du passé traitant d’un monde du passé et permettant d’aider puissamment à le comprendre, mais c’est une pensée close, finie à tous les sens du terme. Freud, lui, ne nous apprend rien, et même il nous égare. Au reste, vous ne devez pas vous être beaucoup intéressée à la question – ce que je ne saurais vous reprocher parce que c’est vraiment perdre son temps – puisque vous paraissez prendre pour argent comptant ce que dit Freud de l’efficacité de ses traitements. « Ils avaient donc une valeur empirique et pratique », écrivez-vous. Et vous ne l’écririez assurément pas si vous aviez lu Borch-Jacobsent & Shamdasani, Van Rillaer ou Bénesteau qui ont fait le point sur la question en étudiant minutieusement tous les documents dont il est encore possible de disposer : Freud, s’il a conduit au suicide bien des gens (je pourrais vous retrouver les statistiques) n’a jamais guéri personne. Mais des héritiers de Husserl, quoiqu’hostiles à la théorie freudienne (et on voit mal comment ils n’auraient pas dû l’être), se sont quand même intéressés à la question, ont consenti à en débattre. C’est le cas de Merleau-Ponty (avec Pontalis) et même de Sartre écrivant ce scénario pour Huston qui n’a jamais été réalisé . On leur disait : la psychanalyse guérit les névrosés, c’est un fait certain. Cela les ébranlait un peu. C’est comme si je vous assurais que lorsqu’on a mal aux dents il suffit de faire trois tours sur soi-même en prononçant tel mot. Pourquoi ne pas essayer ! Cela dit, aujourd’hui, à moins d’être gâteux comme l’était devenu Ricoeur à la fin (lui qui, dans « Philosophie de la Volonté » ratatine si bien la psychanalyse) ils seraient un peu moins conciliants. Le sort de la psychanalyse est aujourd’hui réglé : elle disparaît.

      Le fait que je nie toute valeur à la théorie psychanalytique ne m’a jamais empêché de savoir qu’il existait des maladies mentales. La shizophrénie, la paranoïa, l’hystérie et les hallucinations n’ont pas été inventées par Freud, que je sache, encore moins par Lacan et Yung, lesquels sont encore pires que leur géniteur idéologique !

      Depuis près de vingt ans, je ne lisais presque plus que des historiens ou de la philosophie du moyen-âge, pour ne pas mourir complètement idiot. Vos dernières interventions m’ont fait retrouver Husserl, et non sans un certain plaisir ; je tiens à vous en remercier.


  • Christian Labrune Christian Labrune 24 mai 2012 13:57

    ERRATUM
    " Et à la suite de la première phrase que je citais, et qui conclut le paragraphe, Husserl écrit encore« 

    Cette phrase mal foutue de mon premier paragraphe ne veut rien dire : ce que je cite immédiatement après, c’est bel et bien la phrase conclusive du paragraphe, que précède »la première phrase que je citais". Et ce n’est pas cette dernière qui était conclusive.

    Il doit bien y avoir d’autres maladresses, mais moins aberrantes du point de vue de la logique.


  • Najat Jellab Najat Jellab 19 octobre 2012 13:46

    Christian

    Je vous prie tout d’abord d’excuser ma réponse si tardive et impromptue, mais quoique distraite par mille et une choses, j’ai gardé à l’esprit vos dernières remarques de sorte que je ne puis m’empêcher d’y répondre.

    Je commencerai par rappeler qu’être rationaliste n’empêche pas d’être croyant, et même qu’être rationaliste permet de fonder la croyance. Vous vous dites ami de la raison et donc rationaliste , mais ami de la raison ne signifie pas et ne suffit pas pour être ami de la sagesse ! Cependant que l’on peut etre ami de la raison tout en étant ami de la sagesse, philosophe. Et j’ajouterais même, en repensant à Kant que la première est une propédeutique à la seconde, laquelle se doit de « déblayer et d’affermir le sol, afin d’y élever le majestueux édifice de la morale » comme se proposait Kant de la faire dans sa Critique de la Raison pure. Par votre opposition science/religion, vous me faites justement penser à tous ceux qui, incapables de saisir une liaison entre la Critique de la Raison pure et la Critique de la Raison pratique,. voyaient entre elles, une opposition radicale, une contradiction insoutenable. Ils condamnaient l’illogisme du philosophe qui, après avoir démoli, par la raison spéculative, l’entier édifice du dogmatisme, prétendait maintenant le reconstruire, avec plus de solidité, grâce à une raison pratique.. Vous raisonnez donc vous aussi comme si la. diversité même des usages qu’admet la raison, suivant les objets qui l’occupent, n’impliquait pas son unité. C’est en pensant à cette incompréhension que je vous écrivais il y a longtemps déjà que la raison pure (celle que vous défendez) n’était pas la raison pratique, celle de la morale et de la religion.

    Si vous vous donnez la peine de vous abreuver à la taverne de Maitre Kant, vous pourriez trouver de quoi non seulement étancher votre soif de Raison mais également de quoi goûter à la Religion. Vous devriez lire les Critiques mais aussi ce texte récapitulatif de sa pensée la Religion dans les limites de la Simple Raison

    Certes, si une connaissance scientifique n’est pas reproductible et transmissible, elle n’est pas reconnue comme vraie. En ce sens, lorsque la raison essaie de rendre compte du monde des phénomènes, elle se doit de les expliquer par des lois physiques comme si Dieu n’existait pas, et comme si nous n’étions pas libres car bien qu’elle ait des principes qui lui sont propres, elle les applique aux données des sens dont elle est esclave et qui l’asservissent au mécanisme et aux lois du déterminisme.

    Dans l’ordre moral, au contraire, la raison se trouve à la fois indépendante et autonome : elle ne collabore plus avec des données étrangères, elle crée à la fois sa forme et sa matière, elle est Raison pure, transcendentale ; ce qui me semble-t-il est proche de l’ego transcendantal unifié et donateur de sens auquel aboutit l’epochè dans la démarche phénoménologique de Husserl. A la différence près que chez Husserl ce même ego transcendental fonde également la connaissance scientifique..

    La raison, chez Kant, se saisit d’abord elle-même comme raison pure pour atteindre ensuite son Créateur, l’Être parfait, qui voit tout, qui peut tout, qui est éternel et présent partout. Sa certitude au sujet de cet Être est aussi absolue qu’au sujet d’elle-même. Il faut cependant reconnaître qu’elle ne saurait se communiquer, puisque c’est au fond de lui-même que tout homme doit la chercher, Mais conviction subjective n’est pas conviction arbitraire et l’on peut penser que tout homme doit y arriver infailliblement, s’il la recherche avec sincérité. Et je ne résiste pas au plaisir de rappeler que c’est là le sens de ce qu’est être « musulman » comme Abraham l’était et comme il est dit dans le Coran : à savoir que chaque homme a en lui cette certitude, comme je vous l’écrivais précédemment., l’idée de Dieu est une intuition, donnée à l’homme par Dieu lui-même.. Pardon pour cet outrage à la philosophie des Lumières mais après tout le monde des Idées fait fit des frontières….

     Je vous invite donc à ne pas faire preuve de la même l’hostilité dédaigneuse que manifestaient les détracteurs de la Religion dans les limites de la Raison car cet ouvrage est la « conclusion » de toute la pensée kantiennne et il se relie très étroitement à la Critique de la Raison pratique, comme celle—ci se rattache à la Critique de la Raison pure. Je vous entends donc d’avance  naturellement, accuser Kant de mettre sa philosophie aux gages de l’Église et de la superstition religieuse comme Pascal a pu le faire alors que vous savez également que le pari de Pascal est une déduction de la raison et d’un calcul arithmétique. Chez Kant comme chez Pascal, le cœur est supérieur à la raison en ce que celle-ci est une propédeutique à celui-là puisque le but ultime est de définir une philosophie métaphysique, un « idéalisme transcendental » dirait-on avec Husserl. Et pour en revenir à ce dernier,  quand on lui demandait quel était la question philosophique la plus importante, Husserl répondait : Dieu… « A aucun moment la théologie chrétienne ne peut être invoquée comme fondement de la téléologie husserlienne » écrivez-vous, citant Francoise Dastur. Mais cette formule assertive n’est là que pour intimider d’éventuels esprits comme le mien qui se risquent sur un tel terrain, mais cela prouve également que d’autres que moi, sans doute plus « philosophes » y ont pensé….

    Comme nous l’avons déjà dit, l’issue de la crise suppose que soit réhabilitée dans ses droits originaires la raison. Cette réhabilitation consiste en une conversion à soi, un retour fondateur à la conscience transcendantale intentionnelle et donatrice de sens, par la mise entre parenthèses du monde. Mais vous ne saisissez peut-etre pas  l’extrême radicalité philosophique de Husserl : cette conversion phénoménologique se confond avec une « vocation » totale de la personne. Husserl ne cesse d’insister sur le fait que c’est bien une décision volontaire débouchant sur un choix de vie total qui est réclamée par le geste méditatif. En ce sens, le philosophe n’est pas le fonctionnaire expéditif que vous décrivez mais bien un missionnaire tout entier dévoué à sa « tâche infinie ».

     A partir de la crise se construit un véritable projet philosophique de battre la science sur son propre terrain, pas forcément directement dans une perspective religieuse, mais au moins dans un sens spiritualiste. Le premier à faire cela, c’est Bergson. La science ne connaît que la surface des choses, avance-t-il. Seule une connaissance d’un autre type – intuitive, directe – nous donne les moyens d’aller à l’intérieur des choses : la connaissance de la durée, qui nous amène au centre de l’élan vital, à l’esprit du cosmos. Le deuxième sera Husserl. Son idée est que, sous la science, on trouve la Philosophie comme science rigoureuse, « science des sciences ». Celle-ci donne ainsi accès à un ordre de réalité que la science ne peut atteindre.

    D’autre part, lorsqu’il est question d’origine chez Husserl, il ne s’agit pas du « commencement », mais du « fondement » car il se place en deça de l’histoire des faits, de l’histoire que l’on dit « réelle » ou « empirique ». Il entend dévoiler une l’historicité en tant qu’a priori, il pense l’historicité sur un mode transcendental, contrairement à un Michel Foucault pour ne citer que lui et dont je pense que par antihumanisme vous seriez plus proche, je vous dirai plus loin pourquoi. Toujours est-il que de la même façon, les Livres révélés portent sur le sens originaire qui préside à l’apparition de l’homme, en deçà de ses commencements empiriques, ce sont donc des Livres fondateurs et non historiographiques..

     Etre ami de la raison n’est pas être ami de la sagesse.

     La sagesse, la philosphie, au-delà de la raison est une aspiration au divin. C’est le cas chez les philosophes que je viens de vous citer et il est tout naturel à mon esprit de suivre cette même aspiration. Nous devons croire en Dieu, à l’immortalité et à la liberté, sans réclamer une certitude mathématique ni une vue claire de ces objets. La conviction s’impose à chacun de nous infailliblement : jamais une âme vertueuse n’a pu supporter cette idée que tout finisse avec la mort, et ses nobles aspirations l’ont toujours élevée à l’espoir de l’existence de Dieu. Cela me rappelle les propos de Sartre à qui avant de mourir on avait demandé s’il était toujours convaincu de la non existence de Dieu et qui avait répondu : j’avais oublié l’espoir…

    Sauf que je n’attends pas d’être sur mon lit de mort pour me souvenir de la condition de mon corps mortel et de la nécessité de cet espoir et de la morale qu’il fonde.

    Le Dieu des philosophes n’est pas celui des religions dites-vous, mais Dieu est justement un emprunt des philosophes à la religion comme des religieux ont pu emprunter à la philosophie des concepts et formes de raisonnement tel Thomas d’Aquin à Aristote par exemple.

    Vous critiquez sévèrement la notion d’humanisme, Montaigne serait-il donc totalitaire  ? L’humanisme, ce n’est rien d’autre qu’avoir en tête l’injonction delphique « connais toi toi-même ». Ce n’est certes pas prétendre savoir ce qu’est l’homme, même si la question « qu’est-ce que l’homme ? » est bien évidemment centrale, en revanche, l’humanisme tente de mettre l’homme et le développement de ses capacités au centre des préoccupations, en sachant que même s’il ne connaît pas la réponse, cela ne l’empêche pas de poser la question..

    « L’Homme est la mesure de toute chose » écriviez vous en citant Protagoras mais je ne me suis jamais revendiquée de la culture sophistique comme humaniste, c’est même un antihumanisme et c’est vous qui devriez vous sentir proche de Protagoras qui par agnosticisme affirme qu’il n’y a aucune loi transcendante et que les sociétés humaines sont à elles-mêmes leurs propres dieux..

    Vous me dites que vous définissez l’homme par sa liberté qui tient à son humanité chaotique, laquelle laisse nécessairement surgir cette liberté puisque le chaos n’obéit pas aux lois du déterminisme. Mais ne pas obéir aux lois du déterminisme signifie certes que toute cause ou effet est le fruit du hasard (le contraire du déterminisme) mais n’est certainement pas condition suffisante de liberté. Par exemple, si un fils d’ouvrier devient à son tour ouvrier également, par antihumanisme, vous considérerez que l’absence de promotion sociale est le fruit de son choix libre car non déterminé. En tant qu’humaniste, je serai obligée de prendre en considération ce que des disciplines humanistes m’apprennent sur ses environnements sociologique, culturel, idéologique, lesquels obéissent eux à des lois déterminées qui ont eu raison du sujet qu’il est, alors qu’il aurait peut-être aspiré à devenir joueur de golf professionnel et qu’il y serait parvenu si son environnement avait crée les conditions nécessaires. J’entends votre objection qui ressemblerait à ceci : il existe bien des cas individuels démontrant le contraire et je ne saurais vous contredire, mais ce ne sera toujours pas le fruit du hasard..

    Si, en revanche, vous voulez « sortir de l’humain » - je n’ai malheureusement de Francis Ponge que de lointains souvenirs estudiantins mais je crois que vous choisissez un mauvais argument d’autorité en le citant « on ne peut aucunement sortir de l’homme », écrivait-il pour dire que tout préoccupé qu’il fût par les choses et les objets, il s’agissait toujours de faire parler l’homme qui ressent les choses, et n’est-ce pas le propre du Parti Pris que d’être subjectif et donc référent à un sujet ? - vous êtes en contradiction avec vous-même. Car si vous vous réclamez de la phénoménologie comme vous le prétendez, c’est que vous acceptez l’idée d’un sol offert par un cogito conçu comme identité de soi à soi et que vous vous donnez pour point de départ un sujet fondateur — un ego transcendantal unifié et donateur de sens — contrairement à une approche philosophique dans la lignée de Michel Foucault par exemple qui lui cherche à mettre en évidence un sujet éclaté, fuyant hors de soi, ce qu’il a repris notamment à Nietzche. : « l’idée d’une expérience limite, qui arrache le sujet à lui-même, voilà ce qui a été important pour moi dans la lecture de Nietzsche, de Bataille, de Blanchot » lit-on dans les Dits et Ecrits II, n. 212 de Foucault.. Arracher le sujet à lui-même, n’est ce pas ce que vous appelez « sortir de l’humain » ou encore le désubjectiver en historicisant le transcendantal autant qu’il est possible, et en le vidant de toute substance ? Voilà pourquoi vous ne pouvez pas vous dire antihumaniste et vous réclamer de la pensée de Husserl.

     

     

     

     


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