Une tranche de populo-misérabilisme à la française
Conseil au futur auteur d’une anthologie du misérabilisme et du populisme contemporains : écoutez les émissions des grandes chaînes radiophoniques françaises du lundi 26 décembre 2016 entre 11.15 et 11.45 car vous y dénicherez une perle précieuse.
Vous révéler ici le nom de la chaîne radio incriminée tout comme celui de son intervenant le plus caricatural contrarierait mon désir de bienveillance à l’aube de l’année nouvelle.
L’émission traitait de l’exploit du navigateur Thomas Coville qui, la vieille, était devenu le recordman du tour du monde à la voile en solitaire et sans escale en moins de 49 jours, 3 heures et 8 minutes.
A l’annonce de ce record, l’intervenant fait d’abord la fine bouche « Cela ne m’émeut pas parce j’ai l’impression que c’est un sport de privilégiés » puis en reprend une resucée « Je ne suis pas ému comme par un autre sport, c’est trop un sport de privilégiés, me semble-t-il ».
A quel autre sport faut-il donc penser pour rester dans la mouvance politiquement correcte du moraliste courroucé ? Est-ce au foot dont les vedettes sont les modèles d’une jeunesse rêvant trop souvent de rouler en Ferrari voire d’honorer quelque jolie Zahia ?
Michel Desjoyeaux, double vainqueur du Vendée Globe, intervient au cours de l’émission. Ce travailleur de la mer, homme de sang-froid, tente d’expliquer son métier mais sans grand succès puisqu’un autre intervenant prononce sa sentence irrévocable : « Il s’agit d’un sport de bourgeois ». Ca chlingue dur le Sartre et la furie de guillotine.
Hélas, tout cela n’est que banal tout-venant, comme on dit dans les déchetteries, auquel le citoyen français lambda est archi-rompu, même s’il n’écoute pas France Inter.
Mais une perle va couronner le gâteau populiste.
En effet, notre harangueur de service lance « OK, Coville a fait une chose de super et tout mais celui qui va dormir et qui appelle le 115 (1) tout à l’heure ... »
Je ne sais pas vous mais moi je trouve qu’on touche ici le fond de la marmite populo-misérabiliste à la française. Allez savoir pourquoi, cette comparaison douteuse dont le surréalisme le dispute à la haine, a fait naître en moi une pensée fugace, celle de la Brûlé arrachant le pénis de Maigrat (2) avec tout ce qui vient autour.
Finalement, comme les friqués, les moralo-misérabilistes ne pensent qu’au fric. Pour des raisons différente, bien sûr. Entre les uns et les autres coule un Styx (3), bordé des rives de la cupidité drapée du mérite (4) et de la jalousie parée d’altruisme pleurnichard. Que votre doigt leur montre la lune, ils ne regarderont ni le doigt ni la lune mais penseront au gousset caché dont votre bras levé assure mal la garde.
Pour se dédouaner habilement, notre enragé déclare « Thomas Pesquet (5), ça m’émeut ». Quel cœur ! L’altitude modeste (400 km) de la Station Spatiale Internationale, les gigajoules qu’elle requiert et les dizaines de milliers d’employés qu’elle mobilise l’émeuvent plus que les dizaines de milliers de kilomètres parcourus par un seul homme au milieu d’éléments déchaînés avec le seul recours du vent. On a les émotions sociales qu’on mérite.
Au fait, je me demande ce que notre misérabiliste pense de Solar Impulse (6). Est-il certain qu’il nous épargnerait d’entendre que les richards, suisses ou autres, feraient mieux de s’occuper de notre RER ?
Pour terminer, je pense aux blessés de la vie qui, ce soir, vont devoir dormir dehors faute de trouver une place dans un foyer. Dieu merci, il en est qui, sur leur carton et malgré tout, vont rêver d’aventures, de celles de leur jeunesse comme de celles qu’ils pourraient encore revivre et, pourquoi pas, de celles des grands marins.
Quels que soient les haillons, ils cachent toujours un cœur.
(1) SAMU social
(2) Germinal
(3) Rappel : fleuve infernal de la mythologie grecque
(4) Exemples : " mais j’ai travaillé, Moi "ou encore " mais j’ai fait des études, Moi "
(5) Astronaute français
(6) Avion solaire de Betrand Piccart