Depuis le 29 octobre, on a beaucoup parlé de la mise en détention provisoire de René Dahan, ce commerçant mis en examen par un juge d’instruction de Créteil pour homicide volontaire sur la personne de Pascal Hilaire. Je me fonde pour évoquer les circonstances de ces drames sur la relation qu’en ont donnée principalement Le Figaro et Le Parisien.
Il est environ neuf heures, le 27 octobre, lorsque René Dahan se retrouve devant la porte de son appartement de Nogent-sur-Marne en face d’un trio, dont Pascal Hilaire, qui le repousse à l’intérieur. Il est aussitôt plaqué au sol par l’un des malfaiteurs, tandis que les deux autres ceinturent son épouse et la molestent. Une arme sur la tempe, René Dahan essaie d’échapper à l’emprise de son agresseur qui, pour sa part, cherche à l’étrangler. René Dahan, dans l’empoignade, réussit à détourner l’arme. Un coup part, atteint le plafond. Détenant le 357 magnum, le commerçant tire à trois reprises sur Pascal Hilaire qui, dans sa fuite, tombe par la fenêtre. Sa mort sera constatée peu de temps après. Les deux autres malfaiteurs seront interpellés, quelques jours plus tard.
Au regard de ces éléments, dont la seule source est médiatique mais qui me semblent fiables, René Dahan a été placé en détention provisoire à cause de la gravité des faits et, selon un magistrat, pour le protéger, car il aurait craint des représailles.
Cette incarcération a suscité l’intervention de Nicolas Sarkozy auprès du garde des Sceaux. "Cette affaire suscite une émotion considérable parmi nos concitoyens qui ont du mal à admettre qu’un honnête homme, agressé chez lui, menacé de mort avec une arme et craignant pour la vie de son épouse, soit en retour mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire", a déclaré le ministre d’Etat. Le ministre de la Justice lui a répondu que René Dahan ne semblait pas avoir agi "dans le cadre de la légitime défense" mais que le Parquet envisageait le placement sous contrôle judiciaire du mis en examen. Le père de Pascal Hilaire s’interrogeait : "Pourquoi il n’a pas tiré dans les jambes ?", tout en admettant le caractère " inexcusable " de l’acte de son fils et le droit qu’avait le commerçant de se défendre. Le demi-frère de Pascal Hilaire alléguait l’importance des dettes de ce dernier (loyer et factures EDF) et soulignait que le 10 novembre, il aurait eu vingt-sept ans. Ségolène Royal, à Montpellier, s’en prenait à Nicolas Sarkozy en ces termes : "Un ministre n’a pas à exploiter des faits divers pour en tirer des règles générales, ce n’est pas ma conception de l’exercice du pouvoir."
Le simple énoncé de ces échanges croisés manifeste l’amplitude de la controverse, qui dépasse le domaine judiciaire pour rejoindre le débat citoyen et social. J’ai attendu, pour écrire ce billet, que la Chambre de l’instruction de Paris ait rendu son arrêt en ce qui concernait René Dahan. Celui-ci a été placé sous contrôle judiciaire, le 10 novembre. Je suis heureux de cette décision qui était espérée par tous ceux qui ont été surpris, voire choqués par les péripéties initiales de cette affaire.
D’abord, sauf à manquer d’une partie de l’argumentation, quelle étrange motivation, pour justifier la détention provisoire de René Dahan, d’invoquer "la gravité des faits". On se sert contre lui de la gravité d’une entreprise criminelle dont il a été la première victime et qui a été le fait de trois malfaiteurs. Il est paradoxal de retourner contre le mis en examen une donnée de nature à rendre sa détention provisoire injustifiable. Par ailleurs, même si René Dahan a craint, paraît-il, une vengeance, il était d’un humour judiciaire amer de l’incarcérer en prétendant le protéger alors que, pour le moins, son statut de victime aurait imposé d’autres modalités de sauvegarde.
Mais peut-être me trompé-je ? La gravité des faits, à laquelle on se rapportait, n’était-elle pas liée à la mort de Pascal Hilaire ? Quelles que soient ses circonstances, la disparition de ce jeune homme, pour ses proches et sa famille, demeure une mort injuste, et je comprends que son père, qui a déjà eu l’honnêteté rare de qualifier ses agissements d’inexcusables, ne puisse pas aller plus loin dans l’acceptation d’un destin fatal. Mort scandaleuse pour le coeur de ceux qui aimaient Pascal Hilaire, mais qui ne doit pas interdire de se pencher sur l’existence ou non d’une légitime défense sur le plan pénal.
Le premier paragraphe de l’article 122-5 du Code pénal édicte que "n’est pas pénalement responsable la personne qui, devant une atteinte injustifiée envers elle-même ou autrui, accomplit, dans le même temps, un acte commandé par la nécessité de la légitime défense d’elle-même ou d’autrui, sauf s’il y a disproportion entre les moyens de défense employés et la gravité de l’atteinte". Nous savons que René Dahan, pour se défendre, ne va pas chercher une arme qui lui appartiendrait pour s’en servir contre son agresseur. Il parvient au contraire à s’emparer de celle de son adversaire. Nous ignorons, en revanche, pendant la bagarre entre René Dahan et Pascal Hilaire, ce qu’accomplissent ses deux compagnons en criminalité et s’ils continuent à s’en prendre à Mme Dahan. Il me semble qu’il n’aurait pas été inconcevable, au regard de l’information dont je dispose, de faire bénéficier René Dahan de la légitime défense, certes dans une conception élargie, une fois analysé l’apparent obstacle de la "disproportion" visée par le texte pénal . Admettons toutefois, puisque le garde des Sceaux semble avoir transmis à Nicolas Sarkozy le point de vue argumenté du Parquet et de la Chancellerie, que la légitime défense strictement entendue ne puisse pas venir au soutien de la cause de René Dahan.
Il n’y aurait pas légitime défense. Mais il y a défense légitime.
Ce qui ne laisse pas de me préoccuper dans cette affaire, c’est de constater avec quelle rigueur, vigueur et minutie le droit cherche à s’éloigner du bon sens. Le mari et l’épouse sont attaqués chez eux par trois malfaiteurs dont un au moins est armé. C’est une intrusion, un rapport de violence qui n’est qu’un épisode singulier et cruel de la guerre que la délinquance, minorité, mène contre la majorité de la société. Résumée de la sorte, sans des détails qui vont plus obscurcir qu’éclairer l’évidence d’une double innocence et d’une triple culpabilité, cette histoire criminelle mériterait sans l’ombre d’un doute d’être classée sans suite, du moins pour ce qui concerne l’antagonisme principal entre Pascal Hilaire et René Dahan. Pourquoi éprouve-t-on tant de difficulté à instiller dans l’esprit judiciaire les leçons de la vie, avec parfois le risque de la mort ?
Le premier paragraphe de l’article 122-5 du Code pénal vient, pour le plus grand bonheur des juristes et l’incommodité pratique du citoyen victime, apposer une grille abstraite dont la structure semble satisfaisante et protectrice mais qui est aussi éloignée de l’existence authentique et de ses imprévisibles mouvements que la passion l’est de l’amour tarifé. Ce texte exige une mesure, une maîtrise, des citoyens équilibrés, il n’est pas fait pour les héros. Comme l’a très bien dit l’épouse de René Dahan : " C’est la fin d’un cauchemar qui a débuté avec cette terrible agression à laquelle mon époux a réagi de façon héroïque, en légitime défense. Dans ce contexte, nous comprenons qu’il y ait une enquête, mais je suis choquée que le juge ait ordonné l’incarcération de René."
René Dahan est venu mettre, dans l’ordre de la loi, le désordre du courage et l’imprévisibilité de la résistance. A sa place, je ne l’aurais pas osé. Parce qu’il a osé dire non, je lui rends hommage. Dans un monde qui, collectivement, s’épouvante d’être si lâche mais qui suscite le plus souvent, de la part de chacun, résignation et indifférence, un René Dahan, commerçant à Nogent-sur-Marne, plaide pour l’immense masse de ceux qui se laissent faire. D’une certaine manière, un héros du quotidien.
Avec une tragédie dont il est responsable ? Revenons-en à la mort de Pascal Hilaire. Il est clair qu’en se battant, en détournant l’arme et en tirant sur Pascal Hilaire, René Dahan a été impliqué dans le processus qui a conduit à la disparition de celui-ci. Mais y a-t-il disproportion entre le moyen de défense et la gravité de l’atteinte ?
Certes, au chaud dans un cabinet, à l’abri des vents mauvais et des bouleversements qui mettent à bas tous les édifices juridiques élaborés par temps calme, aucune commune mesure entre cette entreprise criminelle - aussi redoutable qu’elle soit pour ce couple - et la mort de Pascal Hilaire. D’un côté une violence temporaire, de l’autre une disparition irréversible. Mais comment raisonner de la sorte ? Il s’agit de la même absurdité qui s’attache à certains comportements policiers quand on veut les voir régis par une sérénité, une réserve et une faculté d’examen qui précisément sont interdites par l’action de la violence et la violence de l’action. René Dahan, au moment où il tentait de désespérément s’en sortir et de protéger son épouse contre ces trois qui avaient fait intrusion chez lui, n’avait pas le loisir de s’arrêter, de mettre la vie en suspens et de sortir le Code pénal pour s’interroger sur la "bonne proportion" à mettre en oeuvre. Cette exigence, inscrite dans la loi, représente le comble du jésuitisme qui autorise la résistance mais prétend la limiter en fonction de critères totalement inadaptés à une certaine forme de délinquance et de criminalité. Il conviendrait que celle-ci aussi connaisse et respecte l’exigence de proportion ! René Dahan pouvait sans doute, en face de la pluralité des possibles, agir autrement, Pascal Hilaire pouvait ne pas mourir, mais le premier n’est pas, en profondeur, responsable de la mort du second. On sauve sa vie et celle de son épouse comme on peut. Pas comme on veut.
Une approche livresque du droit n’est sans doute pas la seule explication de ce hiatus entre la pureté impossible des principes et les douloureuses contraintes du réel. Je me demande s’il n’y aurait pas, dans certaines pratiques, la peur de concéder si peu que ce soit à une vision politique et sociale étiquetée d’extrême-droite et donc récusée par beaucoup. Il s’agirait de ne pas donner le moindre gage à ce qui pourrait apparaître comme une adhésion à un totalitarisme du quotidien. C’est une hypothèse dont je ne crois pas qu’elle soit complètement invalidée sur le plan judiciaire.
Enfin, loin de moi l’idée, qui serait méprisable, de dénier l’égalité en dignité de tous les êtres humains et d’avaliser une hiérarchie des morts. Il n’en demeure pas moins qu’une fois consacré, ce principe n’interdit pas, dans le cadre de la substance même de la vie et des actions honorables ou malfaisantes qu’elle autorise, de moins s’apitoyer sur cette mort injuste que sur cette défense légitime.
Pour le citoyen que je suis.